Familles, amis et connaissances

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Terme
TREZENIK, léo

Trézenik, Léo (1855 – 1902), romancier, poète, imprimeur et agitateur médiatique parisien né dans le bourg percheron de Rémalard. Et surtout, pour ce qui nous intéresse ici, tenace petit frère ennemi d’Octave Mirbeau. Leur inimitié a-t-elle commencé alors que le premier était encore enfant et le second, son aîné de sept ans, adolescent ? On ne saurait l’affirmer, mais le fait est qu’Octave traite déjà sur le mode de l’ironie le père du futur Léo Trézenik dans une lettre adressée en octobre 1867 à son camarade Alfred Bansard des Bois. Après s’être moqué des flonflons d’une grande fête organisée pour célébrer les cinquante ans de vie sacerdotale du curé doyen de Rémalard, il enfonce le clou en écrivant que le comte d’Andlau (l’aristocrate du pays) a qualifié la cérémonie de « démonstration patriotique ». « Et, poursuit-il, Épinette, quincaillier, s’est empressé de confirmer. »

Le jeune Léon n’a sans doute pas été témoin du ridicule encouru en cette occasion aux yeux d’Octave par son papa, car il doit déjà avoir rallié à cette époque le collège Saint-François-Xavier tenu par les jésuites à Vannes. Le stupide (ou opportuniste) quincaillier Pierre-Barnabé Épinette a en effet suivi l’exemple donné par les parents Mirbeau pour Octave en le plaçant dans ce havre supposé de belle éducation, de solide instruction et d’excellence morale et religieuse. C’est de ce séjour qu’il tirera son pseudonyme de Trézenik, nom de l’épinette en langue bretonne. Il en sortira, semble-t-il, en meilleur état que ne l’avait fait le jeune Mirbeau puisqu’il décrochera au terme de ses études la double couronne de bachelier ès lettres et de bachelier ès sciences.

Les sciences l’emportant d’abord dans ses préférences  (à moins que ce ne soit dans son respect pour celles de son père, mort quelques mois plus tôt), il s’engage alors dans des études de médecine à Caen. Mais il les abandonne bientôt pour suivre sa mère qui a choisi de s’établir à Paris après la mort de son mari. Il habite avec elle dans la même maison que le poète François Coppée. Est-ce ce voisinage qui incite le jeune homme à changer d’orientation ? Il jette par-dessus les moulins les études médicales pour se lancer à corps perdu dans la littérature en fréquentant les Hydropathes, un groupe de jeunes batteurs d’estrade du genre tapageur qui procèdent à des lectures publiques de leurs poèmes dans des cafés. Après les Hydropathes, les Hirsutes prendront la relève, suivis des Jemenfoutistes, puis des  Hydropathes reconstitués dont Léo Trézenik sera le vice-président. Il se fait aussi journaliste en publiant dans divers journaux des articles, parmi lesquels une série de Têtes de Turcs qui sont autant de portraits au vitriol de célébrités littéraires. Puis il crée avec deux compères un hebdomadaire, La Nouvelle Rive gauche, qui prendra en 1883 le nom de Lutèce. L’étape suivante sera un investissement dans une imprimerie d’où sortiront entre autres Les Déliquescences d’Adoré Floupette, pastiche des poètes décadents issu des plumes de Gabriel Vicaire et Henri Beauclair.

Mais l’essentiel est pour lui de se faire un nom en littérature. Après avoir donné dans la poésie un peu leste avec des recueils intitulés Les Gouailleuses et En jouant du mirliton, il frappe en 1887 un grand coup en publiant un roman à certains égards de la même veine, La Jupe, tissé d’allusions plus ou moins scabreuses aux aventures des protagonistes du milieu alors dispersé des Hydropathes, Hirsutes et autres Jemenfoutistes. Le héros en est un jeune homme nommé Kerbihan qui est encore au début de l’histoire « d’une naïveté absolue » quand il sort (tiens, tiens !) du collège des jésuites de Vannes et regagne son village natal qu’il est assez facile, au moins pour les connaisseurs de la région, d’identifier comme étant Rémalard affublé du nom de Cormenon-La-Tour. Mais là, scandale, ce pauvre Kerbihan  tombe dans les rets d’une bourgeoise obsédée sexuelle, qui se trouve être l’épouse du « seul médecin » du pays et qui lui fait subir les derniers outrages, décrits en termes imagés.

La mère d’Octave Mirbeau (née Dubosq) ayant beau être morte depuis dix-huit ans lors de la parution de ce petit brûlot, il y a lieu de penser qu’Octave, dont le père médecin habite toujours à  Rémalard, ne trouve pas cette pochade du meilleur goût. C’est très probablement ce qui explique le costume qu’il va tailler trois ans plus tard dans le roman Sébastien Roch au quincaillier de Rémalard.    

Sébastien, élève comme Kerbihan des jésuites de Vannes, y a été placé dans le roman, tout comme Trézenik dans la vie, par son père quincaillier, rebaptisé ici Elphège Roch, et décrit par Octave comme un odieux fantoche, une baudruche gonflée de suffisance, un abruti stupidement avide de reconnaissance sociale.

« M. Roch, se déchaîne Mirbeau dans un portrait digne d’une anthologie de la médisance, était gros et rond, soufflé de graisse rose, avec un crâne tout petit que le front coupait carrément en façade plate et luisante. Le nez, d’une verticalité géométrique, continuait, sans inflexions ni ressauts, entre des joues, sans ombres ni plans, la ligne rigide du front. Un collier de barbe reliait, de sa frange cotonneuse, les deux oreilles vastes, profondes, inverties et molles comme des fleurs d’arum. Les yeux, enchâssés dans les capsules charnues et trop saillantes des paupières, accusaient des pensées régulières, l’obéissance aux lois, le respect des autorités établies et je ne sais quelle stupidité animale, tranquille, souveraine, qui s’élevait parfois jusqu’à la noblesse. Ce calme bovin, cette majesté lourde de ruminant en imposaient beaucoup aux gens qui croyaient y reconnaître tous les caractères de la race, de la dignité et de la force. Mais ce qui lui conciliait, mieux encore que ces avantages physiques, l’universelle estime, c’est que, opiniâtre liseur de journaux et de livres juridiques, il expliquait des choses, répétait, en les dénaturant, des phrases pompeuses, que ni lui, ni personne ne comprenait, et qui laissaient néanmoins, dans l’esprit des auditeurs, une impression de gêne admirative. »

Voilà qui est tapé, comme on disait autrefois, avec le même mode de cruauté, d’ailleurs, que le roman de Trézenik, puisque le quincaillier Pierre-Barnabé Épinette est mort depuis quatorze ans quand Octave lui décoche cette flèche du Parthe.

Un prêté pour un rendu. Les hostilités vont-elles en rester là ? Que nenni. Trois mois après avoir encaissé cet uppercut, Trézenik réagit en annonçant dans un journal satirique parisien, Le Roquet, dont il est devenu le rédacteur en chef, le lancement prochain d’un concours pour le « massacre d’Octave Mirbeau », classé par ses soins parmi les littérateurs « arrivés » sur lesquels il se propose d’inviter ses lecteurs à se faire les crocs avec promesse de rémunération pour les plus voraces.

Ce projet mirbeauphobe ne verra toutefois pas le jour, et Octave aura la sagesse de se contenter d’ironiser dans Le Figaro du 20 septembre 1890 sur « certains jeunes » qui le « font rire avec les œuvres qu’ils promettent toujours et qu’ils ne donnent jamais (…) avec leurs journaux et leurs revues, leurs manifestes et leurs programmes. »

La hache de la guerre ne sera plus déterrée, en tout cas publiquement. Mais il n’existe, pour autant qu’on sache, aucun signe d’une quelconque réconciliation entre les deux hommes. C’est bien dommage, car quand on lit Trézenik après Mirbeau – et il en vaut la peine – on ne peut qu’être frappé par la ressemblance de leurs détestations, tour à tour acérées et désabusées (« neurasthéniques »), du clergé et de ses abus de pouvoir, de l’esprit de lucre et des injustices qu’il génère, des puissants et des misères qu’ils répandent, de l’amour et de ses multiples déboires. Ils ont aussi en commun un art consommé de l’observation et de la description des mœurs rurales.

Auteur de romans qu’il faudrait rééditer, Cocquebins, L’Abbé Coqueluche, Le nombril de M. Aubertin, Trézenik n’est pas loin de l’auteur de L’Abbé Jules quand il met en scène dans son Magot de l’oncle Cyrille un paysan léguant ses biens « aux quinze familles les plus nécessiteuses de la commune » d’Hauteboue (autre avatar du nom de Rémalard…) Et en lui faisant préciser : « Je dis nécessiteuses et non méritantes ; par conséquent, peu m’importe que leur misère provienne du chef de paresse ou d’ivrognerie du père ou de la mère ou des deux. J’entends qu’on se borne au fait de misère sans en chercher les causes. » 

Oui, Octave et Léo, Léo et Octave, ces deux-là étaient fait pour s’entendre…

 

 

M.C.


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