Familles, amis et connaissances

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Terme
UTRILLO, maurice

UTRILLO, Maurice (1883-1955), peintre de Montmartre, paysagiste quasi exclusif, Utrillo naît à Paris de Suzanne Valadon (1867-1938) et d’un père inconnu – on trouva quelques biographes pour accréditer l’hypothèse cocasse de la paternité de Toulouse-Lautrec, qui sut en effet exploiter les qualités de modèle de la mère. Dès 1900, les premières crises alcooliques nécessitent cures de désintoxication et internements en maison de santé, litanie tragique qu’il enchaînera une partie de son existence. Son œuvre, énorme et pléthorique, étonne par le nombre inversement proportionnel des sujets : quartiers populaires de Paris, décors urbains anémiés, vues de la place du Tertre, Utrillo se révèle essentiellement dans le traitement mélancolique d’une ville baudelairienne, asphyxiée par les cloisonnements de classe, marquée par la misère, et qui, au fond, coïncide davantage avec la littérature citadine d’un Gustave Geffroy qu’avec la fiction romanesque d’Octave Mirbeau qui, elle, connaît çà et là les vastes espaces naturels respirables et profonds. La critique s’accorde à fixer à 1916 la fin de son originalité, date à laquelle, s’il est excessif de prétendre qu’il se survit à lui-même, on note un sensible tarissement de la créativité initiale, dont les spécialistes rendent compte en avançant deux motifs : celui de l’étroitesse des motifs, celui de sa personnalité.

C’est précisément sur le terrain de cette dialectique entre tempérament et création que se situe l’intervention de Mirbeau dans le discours sur Utrillo. La rencontre a lieu lors du Salon d’automne 1910, où le jeune Utrillo expose un Pont Notre-Dame. Conduit par Francis Jourdain avenue Trudaine, chez le marchand de tableaux Louis Libaude, Mirbeau en ressort enthousiasmé, comme devant « les Pissarro de la meilleure époque ». C’est là qu’il se porte acquéreur de La Rue de l’abreuvoir, à Montmartre, présent dans la vente de la collection Mirbeau du lundi 24 février 1919.  Achetée une bouchée de pain, elle est revendue mille francs en 1919. D’après Dorgelès, Mirbeau, fier d’avoir « déniché ce peintre inconnu dans un galetas de Montmartre où il peignait en écumant », brosse ce portrait de l’artiste : « Fou à lier, mon cher… J’ai dû lui arracher ce chef-d’œuvre des mains ! Il voulait le crever ! Il n’avait rien mangé depuis huit jours… Il boit de l’alcool de ses réchauds… Un génie, mon cher ! » Au vrai, à travers cet engouement pour le paysagiste de Montmartre, on retrouve l’énergique spontanéité de Mirbeau à s’enflammer pour un créateur ardent et souffrant, au tempérament assez voisin d’Alfred Jarry, mort trois ans auparavant.

Un ouvrage permet d’avoir un aperçu inédit des relations entre Mirbeau et Utrillo, et par là devient le texte de référence. Il s’agit de la monographie de Suzanne Valadon, mère de Maurice, Child of Montmartre. Étonnamment, l’étude est rédigée en anglais, et il nous a été impossible d’en consulter une version française. Le mythe d’Utrillo en peintre maudit est de beaucoup redevable à l’évocation maternelle de l’itinéraire verlainien de son artiste de rejeton – rappelons que c’est sur la recommandation du corps médical que Suzanne se décida à initier Maurice aux passions de l’art. Suzanne Valadon revient longuement sur l’impact de l’addiction alcoolique sur la créativité de son fils, décrit les alternances entre sobriété et crises suicidaires, le tempérament miné par l’angoisse de mort, dépeint un artiste conscient que sa postérité sera grande. Avec force, elle évoque sa capacité d’aimer et de haïr simultanément : n’y a-t-il pas là une première affinité avec Mirbeau ? Contrairement aux souvenirs relatés par Dorgelès, Valadon souligne le peu de cas fait par Mirbeau des tendances à l’alcoolisme de son fils. En conflit avec ses pairs, en situation de désaccord chronique avec sa famille, vivant douloureusement le dédain de la critique, Utrillo puisa au contraire dans l’intérêt que Mirbeau lui témoigna une source d’affection pour l’auteur de L’Abbé Jules, et de façon assez surprenante, un motif de réconciliation relative et ponctuelle avec la presse. « Entre tous, il aimait Octave Mirbeau, pas seulement en vertu de son tact et de ses manières courtoises, mais du fait de sa compréhension de ses propres problèmes. Mirbeau était un homme loyal, d’une parfaite honnêteté, dévoué à l’art, et ne demandant pas mieux que de laisser ses collègues se complaire dans les dessous de la vie de mon fils. » L’anecdote est croustillante, qui montre Mirbeau en interviewer dandy, face à un Maurice Utrillo bohème et négligé dont on redoute les crises de colère incoercibles. Mais entre Utrillo et Mirbeau, c’est affaire d’empathie. Le critique sait y faire, s’attachant à l’œuvre sans en considérer les implications biographiques, a fortiori pathologiques. Une telle discrétion préside à ce que Suzanne Valadon n’hésite pas à nommer relation d’amitié entre les deux hommes. Combien de temps dura-t-elle ? Quand débuta-t-elle ? Qu’en est-il de la série de textes consacrés à Utrillo et que Valadon prétend parus dans L’Événement ? La pleine lumière n’a pas été faite sur les rapports entre les deux hommes.

S. L.

 

Bibliographie : Roland Dorgelès, Bouquet de Bohême, Albin Michel, 1989 ;  Jean Fabris, Utrillo. Sa vie son œuvre, Éd. Frédéric Birr, 1982 ; Pierre Michel et Jean-François Nivet, Octave Mirbeau, L’Imprécateur au cœur fidèle, Séguier, 1990.



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