Familles, amis et connaissances

Il y a 286 entrées dans ce glossaire.
Tout A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Z
Terme
VAN GOGH, vincent

VAN GOGH, Vincent (1853-1890), ce peintre hollandais est une des figures emblématiques de l’histoire de l’art, le précurseur du fauvisme et de l’expressionnisme.

 

Biographie de Van Gogh


Fils de pasteur, Van Gogh se tourne d’abord vers  la religion. En 1879, il part comme prédicateur en Belgique. Malheureusement son caractère exalté et ses opinions politiques et sociales trop avancées pour le clergé vont provoquer sa révocation. Il tombe alors dans la dépression et c’est la peinture – pour lui un autre moyen de communiquer – qui l’aide à surmonter cette crise. C’est donc à vingt-sept ans que la vocation artistique s’impose à lui. Pendant dix ans, jusqu’à sa mort prématurée, il va s’adonner à la peinture avec fougue, avec passion, avec folie. Autodidacte, il doit d’abord se former et pour cela, pendant deux ans, il discipline son dessin en copiant Millet qu’il admire, mais également les reproductions qu’il trouve dans les revues. Grâce à ce travail acharné, il acquiert une bonne maîtrise, comme en témoignent ses natures mortes ou ses célèbres Mangeurs de pommes de terre (1885). En 1885, son père meurt et Van Gogh quitte Nuenen pour Anvers. Là, il découvre Rubens et les estampes japonaises. Sous cette double influence son rapport à la couleur se modifie. Cette évolution va se confirmer à Paris, où il rejoint son frère Théo en 1886. Après un rapide passage dans l’atelier de Cormon, où il fait la connaissance de Lautrec, il se lie d’amitié avec Pissarro, Gauguin, Bernard, Signac, il fréquente la boutique du père Tanguy. Sa palette s’éclaircit, sa touche se précise et ses sujets deviennent plus légers. Toutefois les œuvres de cette période ne sont pas les plus représentatives. Fatigué de Paris,  il décide de partir vers le Midi et d’y réaliser son rêve : « L’Atelier de l’avenir ». Il arrive à Arles en février 1888. Alors commence une période de travail intense. Réagissant contre le caractère allusif de l’Impressionnisme, il exalte les couleurs au maximum, il emploie des touches courbes, tourbillonnantes, cherchant par le trait à saisir l’essence des choses. Enthousiaste et toujours désireux de fonder cette communauté d’artistes, il persuade Gauguin de venir le rejoindre. Mais leurs relations se détériorent rapidement. Van Gogh, lors d’une violente dispute, menace son ami d’un rasoir. Le soir même, le 24 décembre 1888, il se tranche l’oreille. Il est aussitôt interné. Pendant les dix-huit mois qui lui restent à vivre, Van Gogh va tenter par un travail forcené de juguler ses crises. Conscient de son état, en mai 1889, il décide de se faire interner à l’asile de Saint-Rémy où il peint de nombreuses toiles majeures (comme Les Blés jaunes ou La Nuit étoilée, 1889). Après plusieurs crises, le 16 mai 1890, il quitte Saint-Rémy pour Auvers-sur-Oise où le docteur Gachet, l’ami et le collectionneur des peintres, l’accueille. Pendant ces deux mois il peint soixante dix toiles brûlantes de passion. Ces œuvres témoignent de l’angoisse qui le ronge. Le 27 juillet 1890, il décide de mettre fin à sa vie et meurt deux jours plus tard dans les bras de son frère, qui a été son soutien le plus précieux, le plus fidèle, comme en témoigne leur correspondance.

 

Van Gogh et Mirbeau, une étonnante fraternité


Comment cet homme, tiraillé entre ses aspirations et ses réalisations, assoiffé d’infini et terrassé par ses limites, aurait-il pu laisser indifférent Octave Mirbeau ? Sa vie, son art, sa vénération pour la nature, tout chez Van Gogh le séduit. À l’instar de l’écrivain, le peintre torturé par les angoisses de la création puise sa force et son génie dans la nature, la grande inspiratrice de ses œuvres : « N’est-ce pas l’émotion, la sincérité du sentiment de la nature, qui nous mène ? » (lettre à Théo, 29 juillet 1888). Malheureusement, quand Mirbeau découvre  l’œuvre de Vincent, c’est à l’occasion de sa première exposition posthume. Plein d'amertume et de tristesse, il décide de clamer son admiration pour cet homme que le public et la presse ont ignoré. Pour ce faire il va lui consacrer deux articles élogieux, plusieurs pages de son roman La 628-E8 (1907), quelques lignes dans certains autres de ses écrits (« Paul Gauguin », 1891, « Le Père Tanguy », 1894), et il s’inspirera largement de la vie et des œuvres de ce « suicidé de la peinture » pour créer le héros de son récit Dans le ciel. Il va également être un des premiers acquéreurs des toiles du peintre en achetant au père Tanguy Les Tournesols et Les Iris. Comme le constatent F. Cachin et L. Farnoux-Reynaud, Mirbeau a lancé Van Gogh. Ce ne sont pas de simples pages bien écrites qu’il va publier dans L’Écho de Paris et Le Journal, mais un superbe acte de foi, où il professe tout l'amour qu'il porte à cet artiste en qui il devine son double. Ce qui frappe tout d'abord Mirbeau, c'est la similitude de leur destin et de leur art. De mêmes illusions et un semblable enthousiasme naïf bercent les débuts de ces deux hommes. Alors que le futur critique s'engage dans le monde politique, où il défraie la chronique avec ses Grimaces, le peintre se lance corps et âme dans la religion, espérant par cette voie aider le pauvre et l'opprimé. Pour Mirbeau, qui revendique l'art et la culture pour tous, le dévouement de Vincent est exemplaire ; il a su, dans le plus grand dénuement, prêcher aux mineurs l'amour du prochain. Mais si l’auteur de L’Abbé Jules admire « l'ardent besoin de prosélytisme » qui a poussé ce peintre vers le peuple et les foules, il s’extasie surtout devant le long parcours semé d'embûches, d'échecs et de déceptions qui a conduit le peintre à trouver un autre langage pour exprimer son amour de l'homme et de la beauté : la peinture. « [Van Gogh exprime cet amour] [...] par la forme, par la couleur... par l'harmonie de la forme et de la lumière... par la peinture !... Et Van Gogh, qui n'a jamais peint... se fait peintre. Ce sera encore une manière d'apostolat et parler une fois encore de beauté ! » (Le Journal 1901). Une semblable déception va conduire Mirbeau à délaisser le monde hypocrite de la politique pour gagner celui de la littérature, dans lequel il s'engage avec passion.

 

Les angoisses de la création


Mais de nouvelles angoisses commencent pour l'écrivain. Malgré la qualité de ses livres Mirbeau, persuadé de sa médiocrité, produit peu. Ses rares romans – Le Calvaire (1886), L’Abbé Jules (1888) ou encore Sébastien Roch (1890) –, source inépuisable de souffrance, le laissent aux prises avec les tourments les plus vifs. Van Gogh connaît, lui aussi, les angoisses de la création, mais pour combattre ses inquiétudes, son remède est tout autre : un travail titanesque. Le critique est fasciné par cette puissance de travail qui lui fait si souvent défaut. « Vincent Van Gogh s'acharna. Le travail sans trêve, le travail avec tous ses entêtements et toutes ses ivresses s'empara de lui. Un besoin de produire, de créer, lui faisait une vie sans halte, sans repos, comme s'il eut voulu regagner le temps perdu. Cela dura sept ans. » (L’Écho de Paris, 31 mars 1891). Mais Van Gogh a beau chercher dans le travail forcené une échappatoire à ses angoisses, le “subterfuge” échoue. Mirbeau comprend d’autant mieux « l’inquiétude mortelle » qui ronge Vincent que tous les doutes, toutes les impuissances qui habitent le peintre, l’écrivain les partage : « Cette impuissance, je ne la sens, peut-être que parce que j'ai connu tous les doutes, tous les troubles, toutes les angoisses de Vincent Van Gogh, et cette faculté cruelle d'analyse, et cette dureté à se juger soi-même… » (La 628-E8). S'inspirant de lui-même, mais aussi de Van Gogh, Mirbeau raconte, dans un récit cruel, cet implacable échec auquel sont voués tous les artistes sincères : « Je [Lucien] me sens, cher petit, de plus en plus dégoûté de moi-même. À mesure que je pénètre plus profond dans la nature, dans l’inexprimable et surnaturel mystère qu’est la nature, j’éprouve combien je suis faible et impuissant devant de telles beautés. La nature, on peut encore la concevoir vaguement, avec son cerveau, peut-être, mais l’exprimer avec cet outil gauche, lourd et infidèle qu’est la main, voilà qui est, je crois, au-dessus des forces humaines... » Dans le roman Dans le ciel, l'écrivain s'adonne à une description très expressive ; les œuvres de Vincent, torturé par son exaltation créatrice et sa rage de travail, nous apparaissent dans toute leur violence. Mais il s'attache aussi à recréer par le langage une œuvre plastique déterminée, des tableaux précis (La Nuit étoilée sur le Rhône), mais qui ne sont pas nommés :  « C'étaient [...] d'étranges nuits, des plaines invisibles, des silhouettes échevelées et vagabondes, sous des tournoiements d'étoiles, les danses de lune ivre et blafarde qui faisaient ressembler le ciel aux salles en clameurs d'un bastringue. C'étaient des faces d'énigme, des bouches de mystère, des projections de prunelles hagardes, vers on ne savait quelles douloureuses démences. » L'intention esthétique du critique est nette, il veut traduire la fascination qu'exercent sur lui certaines toiles de l'artiste, mais surtout rendre encore plus poignant – car véridique – le destin tragique du peintre. Ces toiles, on les connaît, cette vie aussi. Comme Van Gogh qui,  « [...] avec des colères sauvages [...] s'emportait contre sa main, sa main lâche et débile, incapable d'exécuter, sur la toile, tout ce que son cerveau concevait de perfection et de génie... [...] est mort de cela, un jour. » Lucien, anéanti par ce sentiment intolérable d’impuissance, se suicide. Cet insigne hommage que l'écrivain rend au peintre – faire de leurs deux vies un roman unique – illustre parfaitement les sentiments profonds qui animent le critique.

 

Le chantre de la nature


Mirbeau voit dans ce tempérament génial, tourmenté et bouleversant, l'écho de ses passions, de ses angoisses, de ses ardeurs et de ses excès. Mais leur fraternité ne s'arrête pas à leur vie, tout leur être communie, une même conception de l'art et de l'artiste les anime. Tous deux rejettent le “diktat académique” qui donne la primauté au dessin au détriment de la couleur et de la lumière, tous deux vouent le même culte à la nature. Si Mirbeau admire chez le peintre le style très personnel – « Dans une foule de tableaux mêlés les uns aux autres, l'œil, d'un seul clin, sûrement reconnaît ceux de Vincent Van Gogh [...] parce qu'ils ont un génie propre qui ne peut être autre, et qui est le style, c'est-à-dire l'affirmation de la personnalité » (ibid.) –, il admire encore davantage cette compréhension profonde de la vie. Il sait, et c'est là le signe du génie pour Mirbeau, ne jamais s’éloigner de la nature : « Même quand il peint les soirs d’été, avec des astres fous et des chutes d’étoiles, et des lumières tourbillonnantes... il n’est que dans la nature et dans la peinture... » (Le Journal, 17 mars 1901).

La correspondance du peintre confirme le sentiment de l'écrivain : « Je mange de la nature », confie-t-il à son ami Émile Bernard. Grâce à ce contact physique, ses toiles ne représentent plus seulement un aspect objectif, extérieur, le caractère du modèle, mais un aspect subjectif, intérieur, le tempérament du peintre ; ses œuvres sont des états d’âme. À travers la nature, il exalte son moi. Van Gogh répond donc à toutes les attentes de Mirbeau. Non seulement, il ne prend qu’un seul guide, la nature, mais il imprime à cette nature le sceau de sa personnalité. Il la transforme et la recrée. « Il ne pouvait pas oublier sa personnalité, ni la contenir devant n’importe quel spectacle et n’importe quel rêve extérieur. […] Aussi ne s’était-il pas absorbé dans la nature. Il avait absorbé la nature en lui ; il l’avait forcée à s’assouplir, à se mouler aux formes de sa pensée, à le suivre dans ses envolées, à subir même ses déformations si caractéristiques. » (31 mars 1891). Par les couleurs, par les formes, par leurs accords et leurs oppositions, il recrée l’unité organique entre sujet et objet, entre le sentiment humain et la réalité naturelle. Grâce à lui, la matière picturale acquiert une existence exaspérée et autonome. Avec Van Gogh le tableau ne représente pas, il est : « Lorsqu'il décrit le paysage qu'il fait en ce moment, ou qu'il rêve de faire, le lendemain, il ne dit pas qu'il y a des champs, des arbres, des maisons, des montagnes... mais du jaune et du bleu, du rouge et du vert... et le drame de leur rapport entre eux...  » (17 mars 1901). Le peintre, en s’appropriant la nature, offre donc au public sa façon de voir et de sentir. Il satisfait ainsi aux exigences de Mirbeau. Pour l'écrivain, en effet, l’artiste doit cristalliser et synthétiser les beautés éparses et chaotiques de la nature afin d’en donner une version épurée. Il devient, de cette façon, l’interprète privilégié, le médiateur indispensable entre la nature et le spectateur. Mirbeau est un des rares à réaliser l’ampleur des découvertes du peintre et à tenter de les déchiffrer. Le public, habitué à voir dans la peinture un objet en soi, ne comprend pas ce que l’artiste lui offre. Le critique va donc essayer de le familiariser en éduquant son œil et en lui en révélant le sens. Pour ce faire, Mirbeau ne décrit et n’analyse pas les toiles de ce peintre suivant des critères très techniques, il préfère user d’un vocabulaire riche et varié, coloré et lumineux, plus adapté à évoquer la vie et la nature : « C'étaient des arbres, dans le soleil couchant, avec des branches tordues et rouges comme des flammes.» (Dans le ciel). Sa critique se fait hommage ; son écriture prolonge les émotions ressenties. L'écrivain ne veut pas déflorer l'art de cet artiste qui a compris et senti mieux que personne ce que la nature recelait ; il ne cherche pas à expliquer ou justifier sa passion pour cette œuvre, qui symbolise à ses yeux la peinture idéale, ni pour cet homme, qui, avec ses excès, ses passions, ses angoisses, incarne son double : il veut simplement la faire partager.

L. T.-Z.

 

Bibliographie : Laurence Tartreau-Zeller, « Van Gogh, l'idéal de Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 1, 1994, pp. 76-80 ; Laurence Tartreau-Zeller, Octave Mirbeau – Une critique du cœur, Presses du Septentrion, Lille, 1999, pp. 517-543.

 

 


Glossary 3.0 uses technologies including PHP and SQL