Familles, amis et connaissances

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Terme
LEBLANC, georgette

LEBLANC, Georgette (1869-1941), cantatrice, actrice et femme de lettres française. Née à Rouen dans la bourgeoisie normande, elle fut éduquée par sa mère et des gouvernantes. À Paris, après un mariage raté, elle retrouva son frère aîné, Maurice Leblanc, qui débutait dans les lettres. Elle parvint à se faire engager en 1893 par Alfred Bruneau, ami d’Émile Zola, dans L’Attaque du moulin, opéra naturaliste français aux accents wagnériens, d’après la nouvelle du même Zola. Malgré son succès, elle se brouilla avec l’Opéra-Comique et tenta sa chance à Bruxelles, au Théâtre de la Monnaie. Elle chanta Beethoven, Bizet, Massenet, connut Eleonora Duse, et surtout rencontra, en 1895, le poète et écrivain Maurice Maeterlinck, célèbre en Belgique, en France et en Europe, depuis l’appui retentissant de Mirbeau, cinq ans auparavant. De 1895 à 1918, sa carrière se confondit intimement avec celle de Maeterlinck, qui la suivit à Paris. Inspiratrice, interprète, compagne, elle se fit appeler Georgette Leblanc-Maeterlinck, mais échoua à créer le rôle de Mélisande, devant l’opposition irrévocable d’Albert Carré, le nouveau directeur de l’Opéra-Comique, qui imposa Mary Garden. Elle prit sa revanche en créant Monna Vanna au théâtre (1902), au succès rapidement européen.

La même année, Octave Mirbeau l’accusa d’être le « mauvais génie « de Maeterlinck. Ils s’étaient rencontrés, en 1897, et Mirbeau lui avait manifesté une certaine bienveillance, puisqu’elle était la compagne de son protégé. Dans ses lettres, il alla même jusqu’à la compter parmi les quelques rares femmes de génie en France, l’invitant à venir donner un récital chez lui et l’applaudissant dans les locaux du Journal. Pourtant, en 1902, il prit le parti d’Albert Carré et de Debussy dans le scandale fait autour de la création de Pelléas et Mélisande. Maeterlinck souhaitait la chute de l’opéra de Debussy, Carré et le compositeur ayant, selon lui, bafoué ses droits. Dans ses Souvenirs (1931), Georgette Leblanc publia une lettre écrite à l’intention de Mirbeau, qu’elle n’osa pas envoyer. En pleine tourmente, elle s’avouait meurtrie par l’accusation de celui de qui elle avait espéré, en vain, aide et compréhension : « Je n’espère pas que vous croirez cette lettre… je pense même que vous serez étonné et un peu choqué de l’exaltation qui la dicte.[…] Vous avez jugé de cette affaire et vous vous êtes trompé sur mon compte sans y attacher plus d’importance que cela n’en comporte. » Elle faillit chanter Mélisande à Bruxelles en 1906. Debussy, apprenant par la presse qu’elle avait été exclue de la distribution, lui écrivit qu’il n’y était pour rien, qu’il le regrettait, « ne doutant pas que vous en auriez fait une création plus qu’intéressante… » (8 octobre 1906)

Elle aimait la littérature. En 1904, son beau roman, Le Choix de la vie, lui valut le soutien enthousiaste de Rachilde dans le Mercure de France. Revenue à l’Opéra-Comique pour créer Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas et Maeterlinck (1907), elle se produisit l’année d’après à Montpellier, dans Castor et Pollux, le chef-d’œuvre de Rameau. Au Théâtre-Réjane, elle fut la Lumière (1911) de L’Oiseau bleu, la féerie de Maeterlinck qui se transforma en succès mondial après sa création à Moscou dans la mise en scène de Stanislavski. Profitant de la vogue américaine de l’œuvre, elle chanta enfin Mélisande à l’opéra de Boston, joua dans Monna Vanna, et publia The Girl who found the Bluebird, en 1912. L’année suivante : The Children’s Bluebird. Après sa rupture avec Maeterlinck (1918), elle s’exila aux États-Unis, en revint pour jouer et coproduire L’Inhumaine, admirable film de Marcel L’Herbier (1924). Puis ce furent dix-sept années de bohème, en compagnie de sa gouvernante et de l’écrivain d’avant-garde américaine Margaret Anderson, du Paris de la rive gauche à l’Italie de Gabriele d’Annunzio, en passant par le « prieuré » de Gurdjieff, avec l’aide, souvent contrainte et parcimonieuse, de Maurice Leblanc, richissime auteur d’Arsène Lupin.

Georgette Leblanc avait vécu dans les marges de la nouvelle époque, mais selon ses principes libertaires et esthétiques, quand elle mourut au Cannet, entourée de ses deux compagnes, le 26 octobre 1941, ne précédant son frère Maurice que de quelques jours en cette deuxième année de l’occupation de la France.

M. B.-J.

 

 

 

Bibliographie : Maxime Benoît-Jeannin, Georgette Leblanc (1869-1941), Le Cri, Bruxelles, 1998 ; Jacques Derouard, Maurice Leblanc, Arsène Lupin malgré lui, Librairie Séguier, 1989 ; Georgette Leblanc, Souvenirs (1895-1918), Grasset, 1931.

 

 


LEMOINE, victor

LEMOINE, Victor (1823-1911), est un horticulteur floral de Nancy, issu d’une lignée de jardiniers et de pépiniéristes. Après ses études, il voyage et apprend le métier d’hybrideur, chez Van Houtte à Gand (Belgique), figure européenne de l’horticulture et chasseur de plantes en Amérique. Un fois installé à Nancy, il devient rapidement célèbre en créant de nombreuses variétés florales, parmi lesquelles des potentilles, des fuchsias, des spirées, des pélargoniums, des montbretias, des heucheras, des bégonias, des deutzias, des glaïeuls et surtout des lilas. Avec son fils et sa femme, dès le début de la guerre de 1870, « armés d’un pinceau, de pinces fines, d’une aiguille et de petits ciseaux », ils réussissent, au fil des années, le croisement d’une centaine de lilas, dont le célèbre Syringa x hyacinthiflora, aux fleurs ressemblant à celles des hyacinthes. Ces lilas français conquirent les jardins d’Europe et d’Amérique, ce qui vaut à Lemoine une médaille d’or à l’Exposition universelle de 1889. En 1894, il est nommé officier de la Légion d’Honneur.

Mirbeau, dans Le Journal du 29 avril 1894, une fois n’est pas coutume, apprécie cette distinction, car, comme il l’écrit en novembre 1891 à son ami Caillebotte, non seulement Lemoine « est un charmant homme, très intelligent », mais il est aussi « l’horticulteur le plus scientifique de France. » Malheureusement, actualité oblige : la chronique qui promettait de parler de « l’étonnante beauté des fleurs et l’art charmant des jardins » s’efface pour faire place à la protestation contre l’arrestation de son ami Félix Fénéon.

Victor Lemoine a été le premier étranger à recevoir la grande médaille commémorative de la Royal Horticultural Society.

J. C.

 


LOMBARD, jean

LOMBARD, Jean (1854-1891), ancien syndicaliste et écrivain anarchisant et autodidacte, d’origine prolétarienne, mort prématurément « dans une inexprimable misère ». Il est surtout connu comme auteur de deux puissants romans historiques :  L’Agonie (1888), dont l’action est située à Rome sous le règne d’Héliogabale, et Byzance (1890), dont l’action se déroule au huitième siècle. Tous deux sont écrits en un style fort rugueux. Peu avant sa mort il a achevé un livre de psychologie militaire, Un Volontaire de 1792, qui a été publié l’année suivante.

Mirbeau lui a rendu hommage dans un émouvant article nécrologique, « Jean Lombard », (L'Écho de Paris, 28 juillet 1891), à la fin duquel il a lancé une souscription pour venir en aide à sa veuve et à sa petite fille, ce qui les a sauvées d’une misère noire. Il voit en Jean Lombard un « visionnaire »,  « un puissant et probe écrivain, un esprit hanté par des rêves grandioses et des visions superbes, un de ceux, très rares, en qui se confiait notre espoir », et aussi « un penseur profond qui observe, explique les passions humaines, dans le recul, pourtant si incertain, de l’histoire ». Il y insiste sur ses origines plébéiennes : « Jean Lombard avait gardé de son origine prolétaire, affinée par un prodigieux labeur intellectuel, par un âpre désir de savoir, par de tourmentantes facultés de sentir, il avait gardé la foi carrée du peuple, son enthousiasme robuste, son entêtement brutal, sa certitude simpliste en l’avenir des bienfaisantes justices. » Il reconnaît que quelques lecteurs pourraient être « choqués par ce style barbare, polychrome, et forgé de mots techniques, pris aux glossaires de l’antiquité », mais, pour sa part, il en apprécie la « grande allure », les « sonorités magnifiques », le « fracas d’armures heurtées, de chars emportés », qui est « comme l’odeur même, de sang et de fauves, des âges qu’il raconte ». Surtout il admire « la puissance de vision humaine, d’hallucination historique, avec laquelle ce cerveau de plébéien a conçu, a reproduit les civilisations pourries de Rome, sous Héliogabale, et de Byzance », présentant ainsi L’Agonie : « L’Agonie, c’est Rome envahie, polluée par les voluptueux et féroces cultes d’Asie, c’est l’entrée, obscène et triomphale, du bel Héliogabale, mitré d’or, les joues fardées de vermillon, entouré de ses prêtres syriens, de ses eunuques, de ses femmes nues, de ses mignons ; c’est l’adoration de la Pierre noire, de l’icône unisexuelle, du phallus géant, intronisé dans les palais et les temples, avec d’étonnantes prostitutions des impératrices et des princesses ; tout le rut forcené d’un peuple en délire, toute une colossale et fracassante et ironique folie, sombrant en des massacres de chrétiens, et l’incendie des quartiers de Rome. »

Mirbeau reprendra une bonne partie de cet article dix ans plus tard, lorsque l’éditeur Ollendorff lui demandera de préfacer une réédition de L’Agonie, illustrée par Auguste Leroux (préface de L’Agonie, 1901).

P. M.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


LOMBROSO, cesare

LOMBROSO, Cesare (1835-1909), criminologue et anthropologue italien, auteur notamment  de : Le Génie et la folie (1864, traduit en 1889 sous le titre L’Homme de génie), où il rapproche les génies hors normes des fous ; L’Homme criminel (1876, traduction française 1887), où il développe la thèse du criminel-né obéissant à une prédestination génétique ; La Femme criminelle et la prostituée (1895), et Le Crime, causes et remèdes (1900), où il insiste sur les causes biologiques de la prostitution et de la délinquance, dédouanant ainsi la société de toute responsabilité.

Mirbeau s’est souvent élevé contre les thèses de Lombroso, socio-biologiques avant la lettre, et s’est employé à les ridiculiser, notamment dans le chapitre XIX des 21 jours d’un neurasthénique  et dans sa farce Interview (1904).  Pour lui, Lombroso n’est qu’un pseudo-savant, qui utilise son expérience médicale et ses recherches anthropométriques dérisoires dans l’espoir de protéger l’ordre social supposé civilisé, mais qui serait, à l’en croire, constamment menacé par l’existence de ces marginaux que sont les génies, les prostituées, les vagabonds et les criminels en tous genres, tous mis dans le même sac d’infamie. Pour discréditer les thèses lombrosiennes, Mirbeau entreprend une démonstration par l’absurde de leur vanité, par le truchement du docteur Triceps des 21 jours. Extrapolant les thèses de Lombroso à l’ensemble des classes dites « dangereuses », il prétend démontrer, par une « expérimentation rigoureuse », que les pauvres sont des dégénérés : « Je me procurai une dizaine de pauvres offrant toutes les apparences de la plus aiguë pauvreté... Je les soumis à l’action des rayons X... […] Le décisif fut une série de taches noirâtres qui se présentèrent au cerveau et sur tout l’appareil cérébro-spinal... Jamais, je n’avais observé ces taches sur les cerveaux des malades riches, ou seulement aisés... Dès lors, je fus fixé, et je ne doutai pas un instant que, là, fût la cause, de cette affection démentielle et névropathique : la Pauvreté... […] Je séquestrai mes dix pauvres dans des cellules rationnelles appropriées au traitement que je voulais appliquer... Je les soumis à une alimentation intensive, à des frictions iodurées sur le crâne, à toute une combinaison de douches habilement sériées... bien résolu à continuer cette thérapeutique jusqu'à guérison parfaite... je veux dire jusqu'à ce que ces pauvres fussent devenus riches... […] Au bout de sept semaines... l’un de ces pauvres avait hérité de deux cent mille francs... un autre avait gagné un gros lot au tirage des obligations de Panama... un troisième avait été réclamé par Poidatz, pour rendre compte, dans Le Matin, des splendides représentations des théâtres populaires... Les sept autres étaient morts... Je les avais pris trop tard !.. » Pour le même Triceps, tous les génies sont des fous : « Remarquez bien, mes amis, que ce que je dis de Zola, je le dis également d’Homère, de Shakespeare, de Molière, de Pascal, de Tolstoï... Des fous... des fous... des fous... »

Ce que Mirbeau reproche avant tout aux thèses de Lombroso, c’est d’attribuer à la nature, qui n’en peut mais, ce qui relève en réalité de la culture et de l’organisation sociale, et de participer à une normalisation qui condamnerait tous les artistes de génie. Elles ne sont pas seulement aberrantes du point de vue méthodologique, mais elles constituent surtout une grave menace pour qui est en quête d’émotions esthétiques et rêve de transformation sociale.

            P. M.

 

            Bibliographie : Pierre Michel,  « Mirbeau et Lombroso », Cahiers Octave Mirbeau, n° 12, mars 2005, pp. 232-246 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau critico di Lombroso », Colloque Cesare Lombroso de Gênes, septembre 2005.

 

 

 


LORENTOWICZ, jan

LORENTOWICZ, Jan (1868-1940), est un écrivain polonais francophone et francophile, qui a passé plus de dix ans à Paris, jusqu’en 1903. C’est au cours de ce séjour qu’il a participé, en 1892, à la fondation du Parti Socialiste Polonais, et a collaboré au Mercure de France, où il tenait la rubrique de la littérature polonaise. Critique littéraire et dramatique renommé, il a notamment publié une histoire de la littérature polonaise. Il a dirigé le théâtre des Variétés de Varsovie en 1918, puis a. été le premier directeur du théâtre national de la Pologne indépendante. Il a aussi présidé un temps le Pen Club polonais et a été membre de l’académie polonaise de littérature..

            Dans son étude de la “la nouvelle France littéraire”, Nowa Francja literacka - Portrety i nrazenia (Varsovie, Wydawnictwo, Wl. Okreta, 1911, 566 pages),  Lorentowicz a consacré un long chapitre à  « Oktawiusz Mirbeau » (pp. 148-210). Chose curieuse : c’est la première étude d’importance de l’écrivain, et le paradoxe est qu’elle paraisse à l’étranger, dans un pays très catholique. À côté de données biographiques puisées dans le Journal de Goncourt et souvent controuvées, on trouve des analyses plus sérieuses, à défaut d’être originales. Lorentowicz souligne notamment le paradoxe de la popularité  d’un écrivain en révolte contre la bourgeoisie, mais piégé par un succès ambigu dû à un réalisme violent qui confine parfois au sadisme. S’il admire le polémiste, il émet bien des réserves : sur la critique d’art, trop unilatérale à ses yeux ; sur les grandes comédies, où Mirbeau a fait trop de concessions au public ; sur les romans autobiographiques, dont il regrette la composition négligée et le manque de vérité psychologique) ; et même sur Le Jardin et Le Journal, qui lui semblent destinés au grand public et imprégnés d’un « naturalisme hystérique ».

. P. M.

 


LORRAIN, jean

LORRAIN, Jean (1855-1906), pseudonyme de Paul-Alexandre-Martin Duval, écrivain décadent. Journaliste, il a collaboré au Chat noir, au Décadent, au Mot d’ordre, à L’Événement, où il a notamment rendu compte de L’Abbé Jules, à L’Écho de Paris, puis au Journal, où il signe ses chroniques du pseudonyme de Raitif de la Bretonne. Poète (Le Sang des dieux), dramaturge (Yanthis), et surtout conteur et romancier, il s’est spécialisé dans la peinture de personnages pervers et de milieux frelatés : Très russe (1886), Monsieur de Bougrelon (1895), Monsieur de Phocas (1901), Contes pour lire à la chandelle (1897), Le Vice errant (1901), La Maison Philibert (1904), etc. Éthéromane, syphilitique, provocateur, il affichait son homosexualité et sa dilection pour les forts des halles, se complaisait dans les milieux interlopes, jouait à la fois au dandy et au personnage scandaleux et aimait à colporter des anecdotes grivoises et à médire de tout le monde. Il a été violemment anti-dreyfusard.

C’est par le truchement de Paul Hervieu que Mirbeau a fait sa connaissance au cours de l’hiver 1887, à la demande de Lorrain. Ils ne sont pas devenus amis pour autant, mais il l’a reçu quelquefois chez lui avec sa mère, et Lorrain a eu l’occasion d’évoquer, dans L’Écho de Paris du 4 juillet 1895, la maison et le jardin de Carrières-sous-Poissy. Par la suite leurs relations se sont gravement dégradées, et ils ont échangé des lettres violentes et insultantes à l’automne 1899, à une époque où l’affaire Dreyfus les avait éloignés à tout jamais. Mirbeau soupçonnait son confrère de l’honorer de lettres anonymes, s’en est plaint auprès de lui et a reçu en réponse une proposition de se retrouver sur le pré, ainsi qu’un télégramme où Lorrain qualifiait Alice de « fille de trottoir », ce qui a achevé de l’exaspérer.  Le 18 décembre 1899, il lui refuse « l’honneur de [lui] envoyer des témoins » et ajoute : « N’ayez donc pas l’orgueil ou l’inconvenance de penser que ce soient les événements – vous voulez rire – qui m’aient séparé de vous. C’est tout simplement l’affreux et l’insurmontable dégoût que j’ai de votre personne. On méprise vos insultes comme on mépriserait celles d’une fille du trottoir ou d’un souteneur de la berge. Comme eux, vous êtes du ressort de la police correctionnelle. Qu’elle vous garde en attendant qu’elle vous coffre. » Et,  en cas de récidive, il se propose de botter son « joli derrière à tout faire » d’un « énergique coup de pied ». La réponse de Lorrain, deux jours plus tard, est d’une violence inouïe, et aussi passablement incohérente, peut-être sous l’effet de l’éther : « Des ordures naturellement, vous écrivez, il pleut de la merde. Et du dégoût, des dégoûts, du dégoût, vous pouvez avoir du dégoût, vous, m’sieu Mirbeau, mais vous n’avez jamais eu que des intérêts, de sales intérêts qui ont dicté toute votre sale conduite et la boue vous étouffe et le fiel vous étrangle, et de rage de vous savoir percé à jour, vous voyez rouge pour ne pas voir blanc, et jaune pour ne pas voir rouge. / Des dégoûts, vous... ce que vous êtes d’abord et ce que vous étiez jadis, l’agent électoral préféré du duc de Mouchy, et vous parlez des autres. [...] Quant à vos menaces, inutile de jouer les Terreurs ! J’ai dressé des souteneurs plus malins que Bibi, j’ai même reçu plus d’un coup de couteau et je n’en suis pas mort. / Vous comprenez entre les lignes, chéri, donc, mon vieux copain, surveille tes pattes, et tais ta gueule. Je ne te raterai pas si tu bouges. Compris ? » Cela n’empêchera pas Lorrain, quatre ans plus tard, d’essayer de rentrer en grâce auprès de Mirbeau par le truchement de Jules Claretie, après le triomphe des Affaires sont les affaires à la Comédie-Française (« la plus belle pièce que j'aie vue au théâtre depuis près de dix ans », écrit-il à l’administrateur le 29 octobre 1903). En vain, naturellement.

P. M.

Bibliographie : Samuel Lair, « Lorrain et Mirbeau ; deux modernes », in Jean Lorrain (1855-1906) – Autour et alentours, Actes du colloque de Fécamp, Société des amis de Jean Lorrain, 2007 ;  Jean Lorrain, Du temps que les bêtes parlaient, Paris, éd. du Courrier français, 1911, pp. 231-239 ; Éric Walbecq, « Jean Lorrain et Octave Mirbeau &raqu

LOTI, pierre

LOTI, Pierre (1850-1923), pseudonyme de Julien Viaud, a mené une double carrière d'officier de marine et de romancier. Lieutenant de vaisseau depuis 1881, il a publié des récits marqués au coin de l’exotisme et où il met à profit son expérience de marin et de voyageur : Aziyadé (1879), Le Roman d'un spahi (1881), Le Mariage de Loti (1882), Mon frère Yves (1883), Pêcheur d'Islande (1886), Ramuntcho (1897), Judith Renaudin (1898), Les Derniers Jours de Pékin (1902) et L’Inde sans les Anglais (1903). Son fils a publié son Journal intime (1878-1881). En 1891, il a été élu, contre Zola, à l'Académie Française et y a prononcé l'année suivante un discours de réception très hostile au naturalisme.

  Dans un premier temps, Mirbeau a manifesté son admiration pour ses romans, notamment pour Pêcheur d'Islande. Dans l’article qu’il lui consacre en 1886, et où il en profite pour ironiser sur le compte de Maupassant critique littéraire (« Pierre Loti » (Gil Blas, 12 juillet 1886), il voit en Loti « un des écrivains français de ce temps, qui [l]’ émeuvent et [l]’empoignent le plus » : « Il a des yeux de voyant et une âme de poète. Son style est clair, sobre et en même temps raffiné et tout plein de suggestions. En deux lignes, il fait surgir devant vous tout un paysage ; en deux mots, il donne la vie à un être humain. Il ne se borne pas à enregistrer sèchement des faits ; il les explique par la sensation, et ses sensations sont toujours justes, quelquefois nouvelles. Il a beaucoup vu, beaucoup réfléchi, beaucoup noté les changeants spectacles des pays où il a passé, les aspects moraux des humanités parmi lesquelles il s’est attardé. Et puis il est bon, car il a vécu près de l’homme, d’une vie de lutte et de souffrance, et il a eu pitié de lui. [...] Un grand souffle de poésie agreste et maritime passe sur ces récits et les anime, comme le vent du large anime les ajoncs des landes.» Une seule réserve vient tempérer ses éloges : « Le seul reproche qu’on pourrait lui adresser, c’est précisément de voir trop souvent l’homme par son côté noble, de s’efforcer de le grandir ; c’est de ne point aller toujours jusqu’au fond de la vérité psychologique, de s’arrêter parfois devant les brutalités nécessaires, d’hésiter devant le mot qu’il faut dire. Mais c’est la pitié qui en est cause, cette pitié tendre que reflètent si bien les nostalgies de ses livres. » Par la suite, Mirbeau est devenu beaucoup moins amène à son endroit et cette réserve initiale s’est muée en une critique rédhibitoire, quand il a découvert Knut Hamsun dans La Revue blanche, en 1893. De fait, la comparaison ne plaide pas du tout en faveur du Français, qui se révèle décidément trop superficiel à ses yeux : à côté du texte d’Hamsun, écrit-il à un ami, « les pauvres petites pages frileuses de Loti dans Pêcheur d'Islande ne sont que de la gnognotte » (Correspondance générale, tome II, p. 763). Il n’est qu’un peu moins brutal dans l’article qu’il consacre au Norvégien deux ans plus tard : « Il faudrait lire en entier ces courtes et impressionnantes pages, qui ont un autre accent d'humanité frénétique et bestiale que celui de Pêcheur d'Islande. L'apparition soudaine des grands steamers dans la brume, les hallucinations qu'elle provoque dans la nuit, sont rendues par Knut Hamsun avec une force, une terreur, une grandeur d'expression inconnues à M. Pierre Loti » (« Knut Hamsun », Le Journal, 19 mars 1895).

P. M.

 

Bibliographie : Jean-François Nivet, « Octave Mirbeau admirateur, contempteur et zélateur de Loti », Revue Pierre Loti, 1986, pp. 19-25

 

 


LUGNE-POE, aurélien

LUGNÉ-POË, Aurélien (1869-1940), acteur, metteur en scène et directeur de théâtre, est le fondateur, en octobre 1893, du théâtre de l’Œuvre, dont le premier spectacle, Rosmersholm, d’Ibsen, a été donné aux Bouffes du Nord. Peu après, en décembre, il crée Pelléas et Mélisande, de Maurice Maeterlinck, et, trois ans plus tard, Ubu roi, d’Alfred Jarry, qui fait scandale et lui vaut des cris de « Lugné-Pot-de-Chambre ». Il monte aussi des pièces d’August Strindberg et de Gerhardt Hauptmann, et met en scène la Salomé d’Oscar Wilde. Ce faisant, il a participé, avec André Antoine, au renouvellement du théâtre français. Mais alors qu’Antoine incarne le naturalisme théâtral, Lugné représente la tendance symboliste au théâtre, ce qui ne les empêche pas, paradoxalement, de monter tous les deux des pièces d’Ibsen, prouvant du même coup la vanité de certaines oppositions convenues et le caractère souvent factice des -ismes. Lugné a dirigé l’Œuvre jusqu’en 1899, puis de nouveau après la guerre. Il a laissé trois volumes de souvenirs (1931-1933).

Malgré ses réticences à l’égard des jeunes poètes symbolistes et de ce qu’il considérait comme des « gamineries », Mirbeau s’est intéressé aux tentatives de Lugné-Poë et les a soutenues à sa manière. C’est ainsi qu’il accepte de signer, sur Pelléas et Mélisande, un article quasiment promotionnel, rédigé par Camille Mauclair, co-fondateur de l’Œuvre (L’Écho de Paris, 9 mai 1893). Lorsque Lugné envisage de monter Peer Gynt, d’Ibsen, il sollicite les conseils de Mirbeau, qui juge prudemment le drame injouable, n’étant pas « fait pour la scène », et craint pour son ami « beaucoup d’ennui et beaucoup d’insuccès » ; mais, après la représentation, dont Lugné a tout de même pris le risque,  malgré certains passages qui lui ont paru un peu hermétiques, Mirbeau ne lésine pas sur les éloges et rend hommage à l’énergie du metteur en scène, à sa ténacité, à son enthousiasme et à son désintéressement, dans un article ironiquement intitulé « Les Pintades » (Le Journal, 15 novembre 1896). Nouvel hommage au théâtre de l’Œuvre le 15 février 1897, dans la Revue blanche. Enfin, en 1900, Mirbeau fait appel à Lugné-Poë pour lui proposer de monter Les Mauvais bergers comme il a rêvé de voir sa pièce mise en scène et interprétée, au cours d’une  tournée à travers la France, avec Suzanne Desprès, la compagne de Lugné, dans le rôle de Madeleine ; mais le projet  semble bien avoir avorté, à cause de la défaillance de l’impresario.

P. M.

 


MAETERLINCK, maurice

MAETERLINCK, Maurice (1862-1949), poète, auteur de théâtre et essayiste belge de langue française, prix Nobel de littérature 1911. Né à Gand dans une famille flamande de propriétaires fonciers, il devint avocat et publia à compte d’auteur La Princesse Maleine et Serres chaudes, qui le rendirent célèbres grâce au soutien enthousiaste d’Octave Mirbeau, à la une du Figaro (24 août 1890). Sous l’influence de Villiers de l’Isle-Adam rencontré à Paris (1885-1886), Maeterlinck écrivit plusieurs drames qui, tous, reçurent l’assentiment indéfectible de son découvreur. Pelléas et Mélisande, dont l’édition fut dédiée à Mirbeau, secoua l’avant-garde symboliste dans le Paris de 1893, et le dédicataire, cette fois aussi, ne marchanda pas son appui. La pièce fut mise en scène par Aurélien Lugné-Poe, la première eut lieu le 17 mai aux Bouffes-Parisiens. Elle eut pour spectateurs tout ce qui comptait dans le milieu artistique le plus raffiné de l’époque, dont Claude Debussy, lequel, dès cet instant, eut la certitude d’avoir trouvé l’œuvre idéale avec laquelle composer l’opéra dont il rêvait. Le soutien de Mirbeau ne devait jamais se démentir comme en témoigne sa correspondance publiée. Elle est empreinte de sympathie et de respect, les deux protagonistes s’appréciant mutuellement sans vraiment se connaître.

La rencontre avec la cantatrice Georgette Leblanc en 1895 – elle était de sept ans sa cadette – apporta à Maeterlinck une stimulation intellectuelle et affective extraordinaire, leurs relations épistolaires en faisant foi, ainsi que la dédicace qu’il fit placer en exergue de La Sagesse et la Destinée, ses premières méditations à succès (1898). Ce livre fut précédé par Le Trésor des humbles (1896), un recueil d’essais, dont le premier, « Le Silence », était dédié à Georgette Leblanc, qui en avait été aussi l’inspiratrice. Goûté dès ses premières œuvres en Allemagne, en Angleterre et dans les pays nordiques, en plus de la France et de son pays natal, Maeterlinck se présenta volontiers à Mirbeau comme un pauvre, alors qu’il était un héritier, parla d’offrir ses droits d’auteur aux misérables (ce qu’il ne fit jamais), et commença à percevoir, à partir de La Sagesse et la Destinée, de confortables émoluments. Il pratiqua en une alternance parfaite l’écriture d’essais et de drames. Avec Aglavaine et Sélysette (1896), il essaya de sortir de sa veine symboliste, mais n’y réussit qu’imparfaitement. La pièce fut jouée sans succès à l’Odéon (14 décembre 1896). Ce fut Monna Vanna, une incontestable réussite (1902), qui renouvela son théâtre et mit fin à la période du tragique quotidien, ce qu’il appelait lui-même ses « shakespitreries ».

Mirbeau eut à nouveau l’occasion de rompre des lances pour son protégé. Debussy avait enfin achevé son opéra et l’œuvre allait être créée à l’Opéra-Comique (1902). Maeterlinck, auteur de la pièce originale, entendait bien réserver le rôle de Mélisande à son égérie, qui aspirait elle-même, depuis des années, à incarner le rôle. Mais Albert Carré, metteur en scène, directeur de l’Opéra-Comique, opposa son veto et sortit opportunément de sa manche la jeune Mary Garden, déjà maîtresse du chef d’orchestre André Messagier. Propulsée par ces deux dirigeants de l’Opéra-Comique, la jolie soprano écossaise n’eut aucune peine à s’imposer à Debussy, qui décida de s’en remettre à leur décision. Soucieux de la carrière de celui qu’il appuyait sans faiblir depuis douze ans, Mirbeau intervint alors dans le conflit et essaya de calmer sa colère. En vain. Néanmoins, il publia un long article, où il espérait démontrer à son ami combien il se trompait (« Maurice Maeterlinck », Le Journal, 27 avril 1902).. S’opposer au choix de Carré, souhaiter la « chute retentissante » de l’opéra de Debussy, qui était aussi son œuvre, n’avait aucun sens. Debussy était « le seul interprète de votre génie, plus qu’un interprète, une âme créatrice fraternellement pareille à la vôtre ». Mirbeau visait, sans la nommer, Georgette Leblanc, qu’il accusait en privé d’être le « mauvais génie » de Maeterlinck, mais aussi probablement le compositeur Gabriel Fauré, à qui Maeterlinck avait commandé une musique de scène pour sa pièce jouée à Londres (1898), ce qui devait être ressenti comme un camouflet par Debussy. Mirbeau avait décidé de se tenir au-dessus de la mêlée et d’adopter la position du vieux sage vis-à-vis d’un jeune confrère un peu fou, aveuglé par une femme perverse. Quand avait-il vu et entendu Mary Garden ? Probablement pas avant la répétition du 19 avril 1902. Toutefois, pas plus qu’il ne nomme Georgette Leblanc, il ne mentionne Mary Garden, la question des interprètes étant peut-être, dans ces moments-là, négligeable à ses yeux. Il parla très élogieusement de la nouvelle pièce de Maeterlinck, Monna Vanna, sans plus citer celle qui allait jouer le rôle titre, Georgette Leblanc, et il dit combien ce drame historique, « un autre chef-d’œuvre, mais très différent », prouvait sa complète maturité. Mirbeau souligna également l’érotisme de la pièce, tel qu’il l’avait ressenti à sa lecture, ne l’ayant pas encore vue sur scène : « C’est une femme et des hommes aux prises avec l’amour et ses contradictions et qui exhalent véritablement une odeur de chair », insista-t-il. Et, cette fois, il ne compare plus seulement Maeterlinck à Shakespeare, mais aussi à Hugo. Il sera si frappé par l’aspect sexuel du drame qu’il imaginera, dans La 628-E8, les spectateurs allemands mis en appétit par la pièce déchaîner leur instinct génésique dès leur retour au foyer conjugal. En 1902, il termine son paternel article par une prédiction : le génie de Maeterlinck lui apportera d’autres joies dans l’avenir. « Celui », ajoute Mirbeau, « qu’il n’est point besoin d’aller demander aux magiciennes de la main, des cartes et du marc de café… » Ce que Maeterlinck avait précisément fait et qu’il avait raconté dans Le Temple enseveli, essayant de savoir, grâce à la voyance, si Carré allait mourir bientôt.

Le succès annoncé par le clairvoyant critique alla à la fois à l’opéra de Debussy et au drame historique de Maeterlinck, qui gagnait sur les deux tableaux. Ainsi que Mirbeau le rappela au début de son article du Journal, aussi fondateur pour la gloire de son protégé que celui, inaugural de 1890, du Figaro, Maeterlinck, en moins de deux ans, donna au public une succession de livres et d’œuvres, dont cette « miraculeuse Vie des abeilles [1901], où le miracle, écrit Mirbeau, est que la science la plus stricte et la plus scrupuleuse observation du naturaliste aient, pour une fois, emprunté la forme et le langage de la poésie la plus haute ! » Son théâtre complet en trois tomes et le livret de Pelléas et Mélisande furent publiés chez l’éditeur belge Lacomblez(1901/1902). Le Temple enseveli (1902) marcha sur les traces des succès précédents. Et  Monna Vanna  connut un triomphe à Paris avant de se lancer à la conquête de l’Europe. Dès ses débuts, Maeterlinck ne fut jamais une cause perdue. Ses craintes de se voir surexposé par le premier article de Mirbeau sur lui furent vaines. Quant au grand journaliste, il sous-estima (lettre du 28 ou 29 aoűt 1890) l’influence de sa réputation et de son nom, quand il affirma au jeune auteur effarouché : « Ces bruits-là durent ce que dure un article de journal : un jour à peine. Et puis cela s’éteint. » Sur la route de Maeterlinck, tout fut aplani. Et jusqu’au succès mondial de L’Oiseau bleu – 1906-1916, et au-delà par le cinéma – et le prix Nobel de littérature 1911 (1 million d’€), sa carrière ne sortit jamais des rails de la gloire. Il eut une vie littéraire exceptionnellement longue, puisqu’il mourut sereinement à Nice le 6 mai 1949. Après le prix Nobel, il avait fait paraître encore une trentaine de nouveaux titres, le dernier étant Bulles bleues, souvenirs heureux (1948).

M. B.-J.

 

Bibliographie : Maxime Benoît-Jeannin, Georgette Leblanc(1869-1941), Le Cri, Bruxelles, 1998 ;  Georgette Leblanc, Souvenirs (1895-1918), Grasset, Paris, 1931 ; Octave Mirbeau, Combats littéraires,  L’Age d’Homme, Lausanne, 2006, pp. 309-318 et 546-549 ; Gillian Opstad, Debussy’s Mélisande, The lives of Georgette Leblanc, Mary Garden and Maggie Teyte, The Boydell Press, Woodbridge, UK, 2009.

 


MAGNARD, francis

MAGNARD, Francis (1837-1894), journaliste, est entré au Figaro en 1863 en est devenu rédacteur en chef en 1873 et co-gestionnaire en 1879, à la mort de Villemessant. Il en a fait un quotidien de haute tenue, certes conservateur et mondain, mais relativement libéral et ouvert. Lui-même était cultivé et exigeant et Mirbeau avait un certain respect pour lui. Il a publié un roman, L’Abbé Jérôme (1869). Il était le père du compositeur Albéric Magnard.

Deux mois après son entrée au Figaro, en août 1882, Mirbeau s’est brouillé avec lui, fin octobre, à cause de son pamphlet contre la cabotinocratie (voir Le Comédien), que Magnard lui avait pourtant commandé, mais qu’il a été obligé de désavouer face au scandale et à la réaction outragée des acteurs les plus célèbres du temps. Cependant Mirbeau était trop avisé pour refuser à jamais de collaborer de nouveau à un quotidien aussi respecté, et Magnard, de son côté, était bien placé pour savoir que la collaboration d’un journaliste tel que Mirbeau ne présenterait que des avantages pour son journal. Simplement, en le réintégrant dans son équipe rédactionnelle en novembre 1887, il a prudemment exigé de pouvoir donner son imprimatur avant toute publication, et Mirbeau a dû s’engager à lui soumettre au préalable le sujet des chroniques projetées, ce qui le contraignait à une certaine forme d’autocensure. Magnard devait en particulier veiller à ce qu’il ne piétine pas trop allègrement les plates-bandes de ses confrères de la critique littéraire et de la critique d’art, qui était tenue par Albert Wolff, très hostile aux impressionnistes. L’article le plus célèbre que Mirbeau a publié dans Le Figaro sous la houlette de Magnard est « La Grève des électeurs », le 28 novembre 1888. 

P. M.

 


MAILLOL, aristide

MAILLOL, Aristide (1861-1944), peintre, lissier, céramiste, dessinateur et sculpteur français. Né à Banyuls, il est resté toute sa vie très lié à son Roussillon natal et à la Méditerranée. Élève de Gérôme et de Cabanel à l’École des Beaux-Arts, il commence par admirer Puvis de Chavannes, puis, en 1889, découvre Gauguin. Jusqu’en 1900, il pratique la peinture et la tapisserie dans un esprit proche des Nabis. Rien d’intimiste cependant chez lui, mais un goût pour la nature, le plein air, la lumière (La Femme à l’ombrelle, vers 1895, Musée d’Orsay, Paris). À partir de 1900, il est essentiellement sculpteur. Soutenu par Vollard, il expose, au Salon de 1905, Méditerranée, un nu féminin assis, aux formes simplifiées et au modelé régulier, qui a valeur de manifeste contre la torsion expressionniste à l’œuvre chez Rodin, Camille Claudel et Bourdelle. En 1908, il sculpte L’Action enchaînée, monument qu’on lui a commandé en hommage à Auguste Blanqui. À la suite d’un voyage en Grèce, il se tourne de plus en plus vers une beauté immuable résidant dans l’harmonie de gestes débarrassés des passions. Les nus féminins allégoriques, qu’il multiplie jusqu’à la fin de vie, sont tous caractérisés par des volumes arrondis, un modelé lisse et un grand sens de la monumentalité. Ce néo-hellénisme l’a rendu extrêmement populaire. En 1965, à l’initiative de Malraux, dix-huit de ses statues sont installées dans le jardin des Tuileries, formant une sorte de musée en plein air. Maillol a par, ailleurs, été un remarquable illustrateur (Les Églogues de Virgile, Chansons pour elle, de Verlaine, L’Art d’aimer, d’Ovide, Daphnis et Chloé, de Longus, etc.).

Mirbeau a vu, en 1902, la première exposition personnelle du sculpteur chez Vollard. Il a été séduit et a acheté une Léda en bronze. Lorsque la Ligue des Droits de l’Homme envisagea d’ériger un monument en hommage à Émile Zola, il proposa Maillol (Rodin s’était récusé) : « Je ne trouvais pas, à défaut de Rodin, un statuaire plus digne de cette mission que Maillol. » Mais ce fut Constantin Meunier qui fut choisi (Combats esthétiques, II, 357-365). En 1905, il publia une longue étude, la plus longue de toute sa critique d’art, en forme de plaidoyer pour le sculpteur (Combats esthétiques, II, 374-399). Il y qualifie Maillol de « maître incomparable de la statuaire moderne ». Pourvu d’ « un tempérament très original et très rare […], il s’est influencé et discipliné soi-même, à la vaste et féconde école de la nature. Ce fut son seul atelier et son seul musée. » Mirbeau prend soin de mentionner l’avis de Rodin (« Maillol a le génie de la sculpture ») et, décrivant son intérieur, de noter qu’ « à la place d’honneur, sur le buffet, un puissant plâtre de Rodin » trône. Maillol n’est cependant pas présenté comme un continuateur de Rodin, mais, comme lui, « il a nettement compris que si l’art peut être et est variable à l’infini, la forme, elle, demeure impérieusement une, à travers toute la vie, et toutes les vies. » Poursuivant sa campagne en faveur du sculpteur catalan, il le mentionne chaque fois qu’il le peut. Il salue la commande, par le comte de Kessler, d’une statue monumentale pour le musée de Weimar. Lors de la visite que Paul Gsell lui rend, en 1907, il défend, devant sa Léda, l’art du sculpteur, en proposant une nouvelle fois ce paradoxe : l’art de Maillol, c’est la vie (Combats esthétiques, II, 424).

Il faut signaler, par ailleurs, que Mirbeau a ignoré Bourdelle, alors que c’est plutôt lui que l’on s’attendait à voir défendre, à la suite de Rodin et de Camille Claudel.



C.L.



Bibliographie : Octave Mirbeau, Sur la statue de Zola, Caen, L’Échoppe, 1989 ; Octave Mirbeau, Combats esthétiques, tome II, Paris, Séguier, 1993.

 


MAKART, hans

MAKART, Hans (1840-1884), peintre et décorateur autrichien, prototype de l’artiste officiel et  académique, célébré pour son sens des couleurs et son talent décoratif. En 1869 l’empereur lui a offert un immense atelier, qu’il a aussitôt rempli d’une multitude de sculptures, de tapis et de bibelots et qui est vite devenu un salon fort couru. Au service de son protecteur, il a peint le plafond de la maison de chasse de l’impératrice (1882) et organisé les grandes fêtes de la Cour (celle des noces d’argent de l’empereur François-Joseph, en 1879, est restée célèbre, sous le nom de « Makart-Parade »), ce qui a fait de lui une figure incontournable de la vie mondaine et culturelle de Vienne. Outre des portraits et des scènes allégoriques, il a peint de grandes machines historiques : Lavoisier en prison, La Peste de Florence, et surtout L’Entrée de Charles-Quint à Anvers (1878), qui fit scandale à cause de la présence de femmes nues dans la procession. Décédé prématurément, il eut droit à des funérailles grandioses. D’après les historiens d’art, Makart aurait fortement influencé Gustav Klimt.

Mirbeau a consacré à Makart un article nécrologique au vitriol, dans La France du 10 octobre 1884. Il voyait en lui, non un artiste, mais « un haut fonctionnaire, un ministre, et rien de plus », dans la lignée de ces peintres « médiocres, myopes et souples », qui sont devenus « les instruments passifs de la propagande gouvernementale et des personnages politiques ». Pour lui, Makart était exactement le peintre qu’il fallait à Vienne, « ville sans art, sans littérature, sans musique, sans philosophie », et à « cette société sans idéal et sans goût, que remuent seulement les brutalités des décorations tapissières, les décadences de la chair morbide et des nudités impures ». Étonné par les naïvetés de ses « lubricités », qui « ne sont que les grossissements confus des rêves au-delà du possible qui hantent l’esprit des collégiens et des solitaires, Mirbeau qualifiait  La Peste de Florence de « tableau purement obscène », symptomatique du « trouble cérébral dans lequel se débattait l’idéal malade et attaqué aux moelles de Makart », qui s’était toujours avéré incapable de saisir « la moindre parcelle de vérité humaine » et n’a cessé de « flotter dans le vague, poursuivi par des inspirations indéfinies ». Quant à sa réputation de « coloriste », Mirbeau la jugeait imméritée, car en réalité Makart ne s’était jamais soucié des effets de la lumière ni de « l’harmonie des tons ».

Deux ans auparavant, dans son roman “nègre”, L’Écuyère, Mirbeau s’était inspiré ouvertement de Makart pour imaginer le peintre Alexandre Mazarski, à qui il attribuait carrément L’Entrée de Charles-Quint à Anvers. Le chapitre II comportait une longue description de l’atelier de ce portraitiste mondain, venu tout droit de son modèle viennois : « L’atelier, éclairé par une large baie habillée d’un store en soie rouge, allongeait ses profondeurs de Hall dans une paix grandiose et muette de chapelle. Un balcon de bois ajouré coupait la pièce en hauteur, drapé d’étoffes d’Orient, qui semblaient des caparaçons d’apparat, les housses riches de haquenées immobiles; un escalier double en fer à cheval descendait par une pente molle tapissée, avec, au centre, un marbre debout, une Almée nue de Schoenewerk, se voilant la face de ses deux bras tordus, les hanches pleines, comme laiteuses, soulevées par des pudeurs, dessus un socle en peluche cramoisie. Au pied, dans une vasque de malachite, un jet d’eau pleurait goutte à goutte. C’était un éblouissement d’armes rares que les murs, égayés de toiles de prix [...], enguirlandés de ceintures, de tapis de soie, pavés de plats de Rhodes et de Perse qui s’ouvraient comme des yeux glauques, au-dessus des cabinets italiens marquetés d’écaille et de pierres dures et des vitrines flamandes aux tablettes de glaces allumées d’orfèvreries rococo. [...] »

P. M.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, « Hans Makart », La France, 10 octobre 1884.


MALLARME, stéphane

MALLARMÉ Stéphane (1842-1898), poète symboliste. Il enseigna l’anglais à Tournon, Besançon, Avignon, puis Paris (1873). De 1874 à 1875, il rédigea la gazette La Dernière mode, puis publia L’Après-midi d’un faune, en 1876. Vers et prose, en 1893, contient les plus importantes de ses pièces. En prose, on lui doit une traduction d’Edgar Poe (1888) – « ce n’est point une traduction, c’est la résurrection de Poe en vou», lui confie un Mirbeau sous le charme –, Pages (1891) et Divagations (1897). Aux côtés de Verlaine, avec un effort plus systématique pour définir sa théorie esthétique, il doit être considéré comme le maître de la poésie symboliste. Chantre de l’obscurité dans l’art, il se revendique d’un hermétisme qu’il justifie par une poétique basée sur le pouvoir de suggestion des mots, aux dépens d’une peinture descriptive de l’objet. Cette exigence le mènera dans ses dernières productions à des textes d’une rare mais singulièrement complexe beauté.

Si nous nous rangeons à l’hypothèse défendue par Pierre Michel selon laquelle Mirbeau signa ses chroniques, un temps, Tout-Paris, force est de reconnaître que les premières critiques ne furent pas tendres à l’endroit de Mallarmé : le goût français de la clarté achoppe à l’incohérence du fond. En avril 1880, Mirbeau embouche donc la trompette de l’intransigeance française sur le terrain de la logique : Mallarmé, chantre de l’obscurité, se coupe de son public. Mieux inspiré sera le Mirbeau de 1889, qui, dans Le Figaro, prête à un écrivain allemand des propos nettement francophiles en matière de littérature, qui reconnaît dans les vers décriés neuf ans plus tôt, ceux de Hérodiade, la trace d’un verbe qui se moule sur les contours de la chose invoquée autant que évoquée.

C’est qu’en théorie, le genre même de la poésie, a fortiori sibylline, ne semblait pas devoir rapprocher les deux hommes – mais n’oublions pas que le jeune Mallarmé destine à l’origine au théâtre son dialogue Hérodiade. Et c’est en connaisseur avisé que le poète ne tarit pas d’éloges sur la qualité des pièces de Mirbeau ; on ne connaît guère d’appréciations plus synthétiques que ses lignes sur L’Épidémie, par exemple. On sait en outre que Mallarmé – chez qui Sartre décelait une manière de terrorisme de la politesse – appréciait l’œuvre et la personne de Zola, par exemple, non à l’aune de sa propre esthétique quintessenciée, mais selon des critères qui englobaient personnalité, subjectivité, place de l’imaginaire. C’est bien ce qui suscite sa fascination devant l’œuvre de Mirbeau. Les romans donnent résolument lieu aux plus pénétrantes analyses critiques du poète : en l’abbé Jules, en 1888, il trouve « un douloureux camarade, que personne ne saura oublier. […] Avoir mis debout un pareil quelqu’un, voilà assez pour un livre. » Sébastien Roch ne suscite guère moins d’enthousiasme, en 1890 : « Le sujet n’était que risque, avec un autre ; et tourne tout à l’humanité : ce pauvre enfant aura eu un père, que vraiment vous fûtes : auctor. […] Tout dit votre période littéraire par excellence, et définitive, la maîtrise – un quelqu’un sûr et mûr. » Mallarmé a su déceler en Mirbeau un romancier capable d’insuffler à ses créatures une humanité et une part de dignité qui en font nos frères.

Rarement admiration aussi profonde a en effet généré des affinités si durables. Comme Monet, comme Rodin, dans son panthéon à usage personnel, les dieux de Mirbeau intègrent Mallarmé, qui le lui rend bien. Le poète fait partie des convives des Bons Cosaques crées par Mirbeau, ou des familiers de Carrières-sous-Poissy ; il apparaît au sein de la correspondance comme un confident épistolier régulier, intervient auprès de Mirbeau afin d’obtenir de lui une série de chroniques d’art sur les peintres anglais qu’il incite Mirbeau à aller voir à Londres, au printemps 1894.

Par surcroît, la sensibilité anarchiste du poète, bien réelle, n’est pas si éloignée de celle du libertaire Mirbeau. Tous deux témoigneront avec succès en faveur du critique et journaliste Félix Fénéon, en avril 1894, accusé d’acte de terrorisme. Aussi bien, il est étonnant de considérer comment les deux hommes font cause commune sur un terrain insolite lorsqu’il est question de Mallarmé, celui de l’action. Le rôle important joué par Mirbeau au sein de la presse de son temps a soulevé l’admiration du poète, au moins autant que sa place dans le champ de l’art. « Vous êtes le brave », celui qui contribue à « sauver l’honneur de la presse », reconnaît volontiers Mallarmé. En 1895, Mirbeau ferraille violemment contre le principe même des expositions, et obtient le soutien sans faille du poète.

Pour finir, il est permis de constater que Mirbeau n’a pas mis en scène un poète à la manière de Mallarmé (Camille Mauclair n’a-t-il pas donné un Soleil des morts, en 1898), l’auteur de Dans le ciel donne corps en revanche à un peintre assez proche de l’esthétique idéaliste, en 1892-1893, que sa vocation de perfection formelle poussera à la folie, puis à la mort : la tentation du silence qui hanta le maître de Valvins n’est-elle pas la même que celle qui inhibe toute forme de création, chez le peintre Lucien ?

S. L.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, (sous la signature de Tout-Paris), « Les Impressionnistes », Le Gaulois, 2 avril 1880 (recueilli dans Premières chroniques esthétiques, Presses de l’Université d’Angers, 1996, pp. 265-268) ; Octave Mirbeau, « Quelques opinions d’un Allemand », Le Figaro, 4 novembre 1889 (Combats littéraires, pp. 301-304).

 

 


MANET, édouard

MANET, Édouard (1832-1883), peintre, pastelliste et dessinateur français, qui a été un temps l’élève de Thomas Couture, avant de rompre avec le classicisme et l’académisme. Il a été l’ami de Baudelaire, dont il a subi l’influence et qu’il a représenté dans La Musique aux Tuileries (1862), et d’Émile Zola, qui l’a défendu contre la critique tardigrade et dont il a fait le portrait, resté fameux (1868). Il apparaît comme le chef de file de la peinture nouvelle, qui met en rage les bourgeois misonéistes par le choix de ses sujets, souvent provocants, et par sa manière de peindre, contraire à tous les canons en vigueur ; mais, s’il est l’inspirateur de Pissarro et de Monet, il n’est pas pour autant impressionniste stricto sensu. Très souvent refusé au Salon, parce que ses envois choquent les habitudes picturales de l’École des Beaux-Arts, il expose son Déjeuner sur l’herbe au Salon des Refusés de 1862, et, l’année suivante, fait scandale avec son Olympia, que la presse couvre d’injures. Il a peint des portraits, des paysages et des scènes de la vie moderne. Parmi ses toiles les plus célèbres : Lola de Valence (1862), Le Joueur de flûte (1866), L’Exécution de Maximilien (1867), Le Balcon (1869), Le Chemin de fer (1874), Argenteuil (1882), Nana (1877), Bar aux Folies-Bergère (1882), etc. En 1874, il illustre la traduction du Corbeau d’Edgar Poe par Mallarmé. Fantin-Latour  lui a rendu hommage dans son tableau de groupe, Un atelier aux Batignolles.

Nous ignorons quand Mirbeau et Manet ont eu l’occasion de se rencontrer, mais il est plausible que le journaliste ait fréquenté un temps l’atelier du peintre, qui lui a adressé deux lettres, malheureusement non retrouvées, à une date non précisée par le catalogue de la vente Mirbeau de 1919. Dans ses premiers « Salons » de L’Ordre de Paris, parus sous la signature d’Émile Hervet, Mirbeau semble partagé dans son appréciation de Manet : d’un côté, il a tendance à considérer avec une certaine distance critique l’inachèvement choquant de ses toiles, ébauchées « à la va-te-faire-fiche », au regard des exigences habituelles avec lesquelles lui-même n’a pas encore rompu ; mais, de l’autre, il juge sa façon de peindre « juste » et « vivante », comme le confirment éloquemment les réactions des bourgeois quand il leur arrive de découvrir avec horreur une toile de Manet : « Vous n'êtes pas, peut-être, sans connaître un bourgeois quelconque : prenez-le délicatement entre le pouce et l'index, et déposez-le avec précaution devant une toile de M. Manet. Vous verrez aussitôt un beau phénomène se produire : si votre bourgeois a des cheveux, ils se dresseront sur sa tête comme des piquants sur le dos d'un porc-épic. [...]  Car M. Manet a pour spécialité de jeter les bourgeois, et généralement les orléanistes, dans des rages incommensurables. C'est justement ce qui fait que nous bénissons trois fois par jour la Providence, qui a bien voulu donner à M. Manet un talent capable de procurer des attaques d'apoplexie aux Philistins » (« Le Salon XIV », L’Ordre de Paris, 28 juin 1874). Huit ans plus tard, il constate avec satisfaction qu’« on ne rit plus devant les tableaux de M. Manet » et pronostique : « On n’admire pas encore, mais cela viendra » (Paris-Journal, 4 mai 1882). Dans ses « Notes sur l’art » de La France, en 1884-1885, il loue Manet d’avoir « exprimé la vie » avec « la disproportion de ses formes, l’exagération de ses grimaces et de ses grâces maladives » (8 novembre 1884).

Après la mort de Manet, auquel il ne consacre pourtant aucun article, Mirbeau ne manque jamais de citer son nom parmi les plus grands et, en 1889, à l’occasion de l’exposition centennale, il note avec satisfaction que « l’on s’aperçoit enfin que l’Olympia, si durement insultée, est un pur chef-d’œuvre d’art classique » (Le Figaro, 10 juin 1889).  Au même moment, Monet lance une souscription qui permettrait d’acheter Olympia à la veuve de Manet, pour 20 000 francs, et de l’offrir à l’État afin qu’il soit exposé le plus tôt possible au Luxembourg, puis au Louvre, Mirbeau donne aussitôt 300 francs (alors que Zola refuse de souscrire...)  et, en janvier 1890, lorsque la souscription est close, il aide Monet à rédiger la lettre au ministre accompagnant la remise du tableau. Il intervient aussi dans Le Figaro, à la demande de Monet, pour moucher Antonin Proust, ancien ami et modèle de Manet, qui prétend que « le temps n’est pas encore venu pour Édouard Manet d’entrer au Louvre », ce qui lui vaut une lettre de remerciement de la sœur du peintre.

P. M.

 

 

 

 

 

           

 

 

 


MARC, françois

MARC, François, est  un jardinier et viticulteur de Vaudreuil (commune proche des Damps), que Mirbeau a connu vers 1890. Dans un article titré « Encore un ! » paru dans Le Figaro du 22 octobre  1890, Mirbeau voit en sa personne  un « homme de génie ». Monet a eu la primeur de cette découverte quelques mois plus tôt (lettre à Claude Monet, mi-mai 1890). Ce jardinier est génial parce que, autodidacte, il a appris de lui-même à observer la nature, les plantes « et à percer leur secret » ; en effet, il est « doué d’un tempérament chercheur » qui le dispense d’aller puiser des théories dans les bouquins. Son courage et sa ténacité lui permettent aussi de créer sa propre méthode de travail, en rupture  avec les traditions viticoles et familiales. C’est ainsi qu’« il introduisait l’anarchie dans les vignes soumises à de longues années d’autorité » et obtenait  de tellement belles grappes de raisin, dans une région peu favorable à la viticulture, que les jurys le soupçonnaient de les obtenir dans des serres – alors que son exploitation n’en était pas équipée ! De la même façon,  Auguste Rodin s’était vu refuser une statue admirable au Salon, au prétexte qu’elle était trop belle pour ne pas avoir été moulée sur un modèle.

Finalement, il finit par être reconnu à l’Exposition universelle de 1889 et publia un résumé de 9 pages de sa méthode, après quatre mois d’un labeur qui faillit lui coûter la vie ! Mirbeau aimait rencontrer ce jardinier-poète, car il parlait des fleurs avec « des délicatesses d’expression qu’envierait un poète ». Jules Huret, Edmond de Goncourt et Marguerite Audoux avaient la même sensation en écoutant Mirbeau parler des ses fleurs. François Marc produisait aussi des chrysanthèmes « d’une folie de forme et d’une beauté de couleurs », qu’il ne manqua pas de réserver pour son ami Monet.   

J. C.

 


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