Familles, amis et connaissances

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Terme
GAUGUIN, paul

GAUGUIN, Paul (1848-1903), peintre français post-impressionniste, qui a aussi réalisé des poteries et des sculptures sur bois. Petit-fils de Flora Tristan, il a commencé la peinture tardivement, après s’être engagé dans la marine à seize ans et avoir bourlingué à travers le monde, puis travaillé à la Bourse comme agent de change, jusqu’en 1882. Accepté au Salon de 1876, il a ensuite rejoint les impressionnistes, avec lesquels il a exposé à cinq reprises, jusqu’en 1886, non sans quelques démêlés. Pendant cette période de formation, il a passé plusieurs mois à Rouen, en 1884, et y a réalisé quelque quarante toiles (Les Toits bleus). En 1886, il s’installe à Pont-Aven, où il fait la connaissance du jeune Émile Bernard, dont il subit l’influence. Il découvre aussi les estampes japonaises. De retour à Paris, il connaît de sérieuses difficultés financières et s’embarque de nouveau : pour Panama, où il compte travailler, sans trop se fatiguer, au percement du canal, puis pour la Martinique. Là il abandonne l’impressionnisme et tâche de conférer à sa peinture une dimension spirituelle en recourant de plus en plus à une vision synthétique, plutôt qu’analytique : Le Calvaire, Le Christ jaune – dont Mirbeau a laissé un très beau commentaire –, La Lutte de Jacob avec l’ange. Malade, il revient à Paris en novembre 1887 et y expose chez Théo Van Gogh, frère de Vincent. Après un nouveau séjour à Pont-Aven, il passe trois mois à Arles avec Vincent Van Gogh (Les Alyscamps), avant de se disputer avec lui – c’est au cours d’une de ces disputes que Van Gogh se coupe une oreille. En 1890, après avoir songé à vivre à Madagascar, il décide de partir pour Tahiti, mais, faute d’argent pour payer son billet de bateau, il doit organiser une vente de tableaux qui, grâce au battage médiatique de Mirbeau, sollicité par Mallarmé, lui rapporte près de 10 000 francs, le 23 février 1891, et lui permet de rompre les amarres. À Tahiti, il a de multiples aventures féminines, a des démêlés avec l’administration coloniale et peint des toiles où l’exotisme et le primitivisme sont compliqués de symbolique locale et syncrétique : Noa-Noa, La Orana Maria, La Femme au Mango, Manao Tupapau, Te aa no areois. Au bout de deux ans, déçu, il rentre à Paris, expose chez Durand-Ruel sans grand succès de ventes, puis, après un nouvel échec, repart pour la Polynésie, en juillet 1895. En 1897, il y peint une grande toile symbolique, qui est à ses yeux une manière de testament : D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?. En 1901, il s’installe dans une des îles Marquises, Atuana, où il ne cesse d’écrire, de peindre et de sculpter (Oviri) et où il meurt, le 8 mai 1903. Il y est enterré. En 1952, on a publié le fac-similé de ses carnets. Gauguin a exercé une grosse influence sur nombre de peintres du vingtième siècle.

C’est en janvier 1891 que Mirbeau, alerté par son ami Stéphane Mallarmé, et aussi, non sans réticences, par Camille Pissarro, commence à s’intéresser à Gauguin, va voir ses poteries et ses toiles chez Schuffenecker et reçoit le peintre, accompagné de Charles Morice, dans sa maison des Damps. Il sent chez lui une manière d’esprit fraternel, dont les recherches, les aspirations et les douloureuses contradictions lui semblent un écho des siennes. Comme Gauguin a besoin de vendre ses toiles un prix suffisant pour payer son voyage vers Tahiti, il accepte de lui servit de caisse de résonance et de lui consacrer deux articles, également intitulés « Paul Gauguin », qui paraissent, l’un dans L’Écho de Paris le 16 février, et l’autre, non sans difficultés, dans Le Figaro, le 18  février, quelques jours avant la vente, fixée au 23. Dans le premier, où il retrace le parcours original du peintre, Mirbeau se fait le relais complaisant des confidences du peintre et de l’image qu’il souhaite donner de lui : « artiste très exceptionnel, très troublant, qui ne se manifeste guère au public et que, par conséquent, le public connaît peu », il a eu une « révélation presque soudaine » de sa vocation, et « toutes les circonstances de sa naissance, de ses voyages, de ses souvenirs, de sa vie actuelle, amalgamées et fondues l'une, dans l'autre », ont alors déterminé chez lui « une explosion de ses facultés artistes, d'autant plus forte qu'elle a été plus retardée et lente à se produire » ;  d’une « nature inquiète, tourmentée d'infini », et « jamais satisfait de ce qu'il a réalisé, il va, cherchant, toujours, un au-delà », jusqu’à ce qu’il parvienne « à la synthèse spirituelle, à l'expression éloquente et profonde » et que sa main soit « devenue l'esclave, l'instrument docile et fidèle de son cerveau ». Quant à son œuvre, Mirbeau la juge « étrangement cérébrale, passionnante, inégale encore, mais jusque dans ses inégalités poignante et douloureuse, car pour la comprendre, pour en ressentir le choc, il faut avoir soi-même connu la douleur et l'ironie de la douleur, qui est le seuil du mystère » : « Parfois elle s'élève jusqu'à la hauteur d'un mystique acte de foi ; parfois elle s'effare et grimace dans les ténèbres affolantes du doute. Et toujours émane d’elle l'amer et violent arôme des poisons de la chair. Il y a dans cette œuvre un mélange inquiétant et savoureux de splendeur barbare, de liturgie catholique, de rêverie hindoue, d'imagerie gothique, de symbolisme obscur et subtil ; il y a des réalités âpres et des vols éperdus de poésie, par où M. Gauguin crée un art absolument personnel et tout nouveau, art de peintre et de poète, d'apôtre et de démon, et qui angoisse. Dans le second article, beaucoup plus court, et qui a subi des coupes imposées par le rédacteur en chef du Figaro, Mirbeau qualifie derechef Gauguin de « peintre très exceptionnel » et son art de « très étrange, très raffiné et très barbare », et il évoque en particulier « une de ses miraculeuses poteries », « poèmes tangibles aux oxydations imprévues, aux colorations si riches et si sourdes fondues l’une dans l’autre », et dont les « fleurs sexuelles » ont des « enroulements tentateurs ». À Claude Monet, qui est plus que réticent face à l’orientation de Gauguin et que ses éloges pourraient quelque peu froisser, Mirbeau prend cependant soin d’avouer que, en comparaison des toiles de son ami, celles de Gauguin prennent « un aspect fracassant, un peu vulgaire ».

Gauguin est emballé par ces deux articles parus dans la grande presse et qui lui garantissent un bon prix pour ses toiles et il remercie chaudement le critique. Après l’article de L’Écho, dont il va faire la préface du catalogue de son exposition : « Ils sont rares, les hommes de talent qui consacrent, comme vous le faites, leur plume au bien. L’estime que les artistes ont pour vous vous dédommagera peut-être un jour des difficultés. » Et après celui du Figaro : « À travers les concessions que vous étiez obligé de faire pour Le Figaro, j’y ai vu une grande compréhension de mon terrible moi que je porte lourdement, et j’ai grandement à vous en remercier. Je crois en outre que votre article fera tout à fait son effet moral. » Il semble que Mirbeau soit également intervenu auprès de Clemenceau pour que Gauguin bénéficie d’une mission et d’une réduction sur le prix du billet.

Deux ans plus tard, toujours reconnaissant, de Tahiti, le peintre fait parvenir au critique, par le truchement de Daniel de Monfreid, un dessin de lui, La Femme au renard. Lorsqu’il expose une cinquantaine toiles chez Durand-Ruel, Mirbeau se fend d’un nouvel article, « Retour de Tahiti » (L'Écho de Paris, 14 novembre 1893), où il en profite surtout pour enfoncer Pierre Loti, venu en touriste à Tahiti, en lui opposant Gauguin, dont les œuvres tahitiennes, alimentées par les « mythes du passé » dont il s’est nourri en Polynésie, n’en sont  pas moins la « continuation » des œuvres antérieures : « Les préoccupations d’art et d’intellect sont les mêmes », mais, à la faveur de « l’exil », « l’âme a grandi » et « le cerveau s’est élargi ». Néanmoins l’enthousiasme de Mirbeau a bien baissé : sans doute chapitré par Pissarro, qui n’a que méfiance à l’égard de la religiosité et du symbolisme de Gauguin et qu’irrite sa soif de réclame,  il prend ses distances d’avec un primitivisme mis au service d’un syncrétisme religieux qui lui est complètement étranger et qui va lui sembler de plus en plus incompatible avec ses propres combats éthiques.

Les Lettres de Gauguin à Octave Mirbeau ont été publiées en 1992 par Pierre Michel, aux Éditions à l’écart (24 pages).

P. M.

 

Bibliographie : Sarah Mallory, » Paul Gauguin and Octave Mirbeau : Two Men Brave Enough To Stun the "Society of the Spectacle" », site Internet de la Société Mirbeau, 2005, 11 pages ; Pierre Michel, « Gauguin et Mirbeau », préface de Paul Gauguin, Lettres à Octave Mirbeau, À l’écart, 1992, pp. 5-12 ; Octave Mirbeau, « Paul Gauguin », L'Écho de Paris, 16 février 1891 ; Octave Mirbeau, « Paul Gauguin », Le Figaro, 18 février 1891 ; Octave Mirbeau, « Retour de Tahiti », L'Écho de Paris, 14 novembre 1893 ; Anne-Marie Sarda, Un Après-midi avec Mallarmé et Gauguin, Musée Mallarmé, Vulaines, 1996, pp. 6-12 ; Laurence Tartreau-Zeller,  « Mirbeau face à Gauguin : un exemple de la nécessité d'admirer », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 241-255.

 

 

 

 

 


GEFFROY, gustave

GEFFROY, Gustave (1855-1926), écrivain et critique d’art, débute dans le journalisme, en entrant en 1880 à La Justice de Clemenceau, dont il restera l’ami fidèle. Il y fait des chroniques, réunies en 1887 sous le titre Notes d’un journaliste, de la critique d’art, résolument en faveur d’un art nouveau (Pissarro, Cézanne, Rodin, Monet, sont quelques-uns des grands noms qu’il défend avec constance, à l’instar de Mirbeau, auxquels il convient d’ajouter ceux de Carrière, Focillon, ou Bracquemond, artistes révérés de façon plus relative par Mirbeau). Les huit volumes de La Vie artistique regroupent ses meilleurs articles. On lui doit aussi douze volumes sur les musées d’Europe, de 1904 à 1913, des études sur Gustave Moreau (1900), Daumier (1901), Rubens (1902), Constantin Guys (1904), Lalique (1922). Il est surtout l’auteur d’une biographie de Blanqui, L’Enfermé (1897), de récits, Pays d’Ouest (1897), de romans, comme Cécile Pommier (1924). Membre de l’Académie Goncourt dès sa création, il est administrateur de la Manufacture nationale des Gobelins en 1908.

Hommes de cœur, Geffroy et Mirbeau entament une correspondance à partir de 1888. Un  sentiment de fraternité, d’évidentes affinités nourrissent une relation qui ne prendra fin qu’avec la mort de Mirbeau en 1917 (une lettre de Geffroy à Marie Descaves, en 1913, atteste la permanence des liens de fraternité entre les deux hommes). Portés par une même affectivité, leurs sensibilités respectives trouvent à s’exprimer dans des registres assez éloignés : là où le Breton de souche se replie aisément en une attitude de résignation, parfois de colère muette, le Normand se dépense en manifestations éclatantes d’indignation et de révolte. Mais les goûts sont là, qui rapprochent ces deux caractères : une sensibilité d’écorché qui avoue sa dilection pour la solitude de la nature, volontiers bretonne, et qui aiguillonne un sentiment quasi panthéiste ; une exigence esthétique, en matière de littérature comme sur le terrain de l’art, placée très haut ; une méfiance partagée face aux institutions, aux corps constitués, aux concessions dues à la politique, davantage assumée par l’anarchiste Mirbeau que par le socialiste Geffroy ; une compassion sincère, enfin, pour la misère des perpétuelles victimes de l’ordre social, mieux incarnée en la figure impécunieuse de Geffroy, que sous les traits du grand bourgeois Mirbeau. L’affaire Dreyfus les verra embrasser tous deux la cause du capitaine, et, une fois n’est pas coutume, Geffroy se laisse aller à un lyrisme qui n’est pas de composition : « Excellent déjeuner à Bordeaux, arrosé d’une excellentissime bouteille pour fêter l’arrestation du colonel Henry. Enfin, voilà les documents de Cavaignac, fabriqués par ce salaud ! » Reste que la sensibilité de Geffroy le dispose surtout au rôle d’intercesseur affectueux, tentant par exemple de rafistoler les morceaux d’une amitié momentanément brisée entre deux personnalités aussi fortes que Mirbeau et Rodin. Ce dernier est lucide, au vrai, qui verra chez Monet, Mirbeau et Geffroy les âmes fraternelles qui réconfortent : « À vous donc, mon cher ami, mon compagnon de route, avec mon très cher Mirbeau et Geffroy, groupe que j’aime. » Il est vrai que l’année 1889 matérialise pleinement la solidité des liens littéraires et artistiques entre les deux écrivains : la préface au catalogue de l’exposition Monet-Rodin chez Petit est répartie sur les deux têtes, Mirbeau se chargeant de Monet, Geffroy de Rodin. Du reste, nombre de préfaces verront le jour, les deux auteurs s’en étant fait une manière de spécialité. C’est aussi la dimension du critique d’art qui, chez Geffroy, incite Mirbeau à lui consacrer la seule chronique dont il fasse l’objet, parmi les Combats esthétiques Gustave Geffroy »). Paradigme du critique impressionniste, proche de la nature, Geffroy, par la richesse suprême de ses sensations, sert de repoussoir à la critique dogmatique,   poussiéreuse et impersonnelle des Sarcey et consorts. Stylisticien consommé, savant évocateur de formes, esprit philosophe, Geffroy comble les attentes de Mirbeau sur le terrain du discours esthétique.

L’ombre portée de Goncourt, plus que de Daudet, « éclaire » une part de l’héritage naturaliste des deux cadets, tous deux portés par l’attention à la misère humaine et la quête d’une écriture impressionniste qui puise à l’occasion dans la recherche du mot rare et de la syntaxe neuve. En 1896, à la mort de Goncourt, les deux artistes figurent sur la liste de la future Académie, Geffroy en tant que huitième et dernier couvert. Les correspondances respectives des deux hommes sont jalonnées de notations au jour le jour qui accusent l’importance accordée à ce moment chaotique de l’histoire littéraire. Sa naissance au forceps, l’affaire de l’élection de Jules Renard à la mort de Huysmans, l’attribution des prix, ponctuent d’autant de rencontres l’accord fondamental entre Mirbeau et Geffroy.

Non encore éditée, la correspondance générale de Geffroy jette une lumière intéressante sur les rapports entretenus par les deux hommes. En filigrane d’un amitié sincère et réciproque, se développe l’admiration de Geffroy pour le maître Mirbeau ; certains courriers sont inattendus, comme cette lettre de Geffroy à Descaves, qui demande à ce dernier un compte rendu du Journal d’une femme de chambre à passer dans Le Journal : en vain…

S. L.

 

Bibliographie : Samuel Lair : « Quelques observations sur les relations de Mirbeau et Geffroy à travers leur correspondance », Cahiers Octave Mirbeau, n° 16, 2009, pp.90-98 ; Christian Limousin, « L’ami Geffroy », Cahiers Goncourt, n° 4, 1995-1996, p.230-244 ; Christian Limousin, « Gustave Geffroy et Eugène Carrière », Bulletin de liaison des Amis d’Eugène Carrière, n° 8, p.16-30 ; Christian Limousin, « Un juste : Gustave Geffroy », Bulletin de la Société des amis de Maurice Rollinat, n° 36, 1998, p.32-43 ; Octave Mirbeau, « Gustave Geffroy », L'Écho de Paris, 13 décembre 1892.

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GESLIN DE BOURGOGNE, yves-marie-charles

GESLIN DE BOURGOGNE, Yves-Marie-Charles (1847-1910), officier français d’origine aristocratique, qui a été le condisciple de Mirbeau au collège des jésuites de Vannes. Entré à Saint-Cyr en 1867, il est devenu capitaine en 1871, lieutenant-colonel en 1889, colonel en 1892, puis général de brigade en 1898. Il a été nommé officier de la Légion d’Honneur le 10 juillet 1899. Mais il a été relevé de son commandement (41e brigade d’infanterie, à Nantes), le 19 janvier 1901, à la suite d’un discours antirépublicain prononcé le 15 mai 1900 lors de la réunion annuelle des anciens élèves du collège Saint-François-Xavier, et on l’a expédié à Saint-Brieuc, en disponibilité. Il sera réintégré le 30 décembre 1901, grâce à l’intervention de Mirbeau auprès de Joseph Reinach, et il recevra le commandement de la 39e brigade d’infanterie, à Saint-Lô.

Dans un article consacré à ses souvenirs du collège de Vannes, « Pétrisseurs d’âmes » (Le Journal, 16 février 1901), Mirbeau évoque son ancien camarade en ces termes : « Autant qu’il m’en souvienne, c’était un petit garçon assez bon garçon, d’intelligence moyenne, pas trop travailleur, pas trop paresseux non plus, un élève quelconque, de ceux dont on ne dit rien et dont on n’eût jamais rien dit, là-bas, s’il n’avait eu une importante supériorité. Il franchissait à saute-mouton des distances immenses… Malgré ce talent, rien, en lui, ne présageait l’orateur ardent qu’il est devenu, et l’espoir de la cavalerie qu’il n’est plus. Mais peut-être que cette petite figure effacée que je revois au fond de mes souvenirs n’est pas l’actuel général Geslin de Bourgogne. » Là-dessus Geslin lui adresse une lettre, qui n’a pas été retrouvée, à laquelle Mirbeau répond en plaidant curieusement coupable : « Je viens de recevoir ta lettre. Elle me comble de joie et aussi de remords. De joie, parce que j’ai senti, dans cette lettre, battre l’âme d’un homme fort et bon ; de remords, parce que j’ai parlé de cet homme avec légèreté et sans justice. Et je t’en demande pardon. Je voudrais maintenant pouvoir effacer ces stupides lignes de la page imprimée, comme je les ai effacées de mon coeur. Je les effacerai un jour, publiquement, je t’en réponds. Tu as eu raison de faire ce que tu as fait, car, dans la vie, rien ne vaut comme de crier sa foi et de crier son amour, quels qu’ils soient. Je voudrais que tu m’aimes un peu. Si éloignés que nous soyons l’un de l’autre par nos idées, un lien commun nous rapproche : leur sincérité, et la passion du bien. J’ai eu une vie morale terriblement tourmentée. Je suis un pauvre être flottant, indécis et troublé. Sous l’apparence de mon bonheur, il y a ce mal terrible que j’appellerai le mal métaphysique et tout ce qu’il contient d’angoisses et de doutes. »

C’est à cause de ce sentiment lancinant de culpabilité que le dreyfusard Mirbeau va intervenir, en décembre 1901, en faveur d’un militaire antidreyfusard, afin de le faire réintégrer dans l’armée par un ministre de la Guerre dreyfusard, le général André, grâce à l’intercession de l’historien de l’affaire Dreyfus, Joseph Reinach ! Nouvel exemple de ce qu’il appelle « l’ironie de la vie » (voir la notice)... Par avance, il adresse à Geslin cette incroyable invitation, avant qu’il ne rejoigne son nouveau corps : « Dès que tu viendras à Paris, fais-moi signe, je t’en prie. Et fais-moi l’amitié de penser que tu as en moi un vrai et fidèle ami, qui se ferait couper en quatre pour toi. Parce que tu es un brave homme, et que tu as, en toi, une âme ardente que j’ai méconnue, triple imbécile que je suis, quand j’aurais dû l’adorer. » Une fois la réintégration de Geslin obtenue, Mirbeau remercie Reinach : « Moi, je trouve délicieux et émouvant que notre brave Geslin vous doive de recouvrer son existence de soldat, et qu’il me le doive aussi un peu, puisque j’ai pu vous intéresser à lui. Et c’est charmant de n’être pas des sectaires. »

P. M.


GIDE, andré

GIDE, André (1869-1951), écrivain né d’une mère normande et d’un père cévenol, professeur de droit à Paris, tous deux protestants, s’est très tôt voulu poète et s’est voué à la littérature, commençant à 17 ans à tenir un Journal qui l’accompagnera jusqu’à sa mort, et multipliant les écrits dans les genres les plus divers (poèmes, romans, récits, traités, soties, théâtre, écrits autobiographiques, essais, etc.), animé par une très haute idée de la littérature et de sa mission. C’est ainsi qu’il a toujours jugé que toute œuvre devait « manifester », que les critères esthétiques et éthiques, intrinsèquement liés, devaient l’emporter sur toute autre considération, et toute sa vie, il s’est montré exigeant avec lui-même comme avec les autres. Entré en littérature sous l’égide du Symbolisme, il s’en libère à partir de1895 avec Paludes  (1895), et, dans Les Nourritures terrestres (1897), il exprime son attente d’un bonheur terrestre, à l’écoute des voix de la nature. Avec Corydon (1911-1920-1924), il défend le caractère naturel de l’homosexualité et réclame sa reconnaissance ; Les Caves du Vatican (1914) est une sotie qui clôt, pense-t-il, toute sa phase d’œuvres ironiques ; Si le grain ne meurt (1924-1926), le récit autobiographique de sa jeunesse jusqu’à ses fiançailles, en 1895 ; Les Faux-Monnayeurs (1926), un roman qui renouvelle considérablement le genre, à la fois roman du roman et roman d’aventures. Il luttera ensuite contre les méfaits de la  colonisation, militera en faveur de la révolution soviétique, et obtiendra le prix Nobel de littérature en 1947.

         Dès 1890, il lit Le Calvaire de Mirbeau, qui l’intéresse, puis Sébastien Roch, envoie à leur auteur sa première œuvre, Les Cahiers d’André Walter (1891), et continuera à lui adresser ses œuvres dédicacées jusqu’aux Caves du Vatican. Mais bientôt, Gide se montre agacé par ses articles et ses polémiques, et en 1898, il écrira que ses articles « sont stupides » : « Certainement c’est parce qu’il a du génie ; mais c’est fâcheux qu’il n’ait pas plus de talent. » Puis : « S’il était plus vrai, M. Mirbeau serait moins brutal, et s’il était moins brutal, il ne serait plus rien du tout. » Plus tard, à propos des Vingt et un jours d’un neurasthénique, que « les monstres [lui] sont absolument indispensables », et il lui reproche de donner trop facilement dans l’outrance, la caricature et la polémique. Manifestement, chacun d’eux se fait une idée bien différente de la littérature : tandis que Mirbeau attaque la poésie et particulièrement Vielé-Griffin, et se lance dans des combats de toutes natures, Gide affirme la primauté de l’art.

         Cela n’empêche pas les deux hommes de manifester en faveur de Dreyfus, et Gide prend la défense de Mirbeau lorsqu’il est attaqué pour d’anciennes déclarations antisémites, proclamant le droit au changement. Plus tard, ils se rencontrent aussi dans leur admiration commune pour La Faim de Knut Hamsun.

         Le Jardin des supplices (1899), dont Gide n’a jamais parlé, contient pourtant un épisode manifestant de troublantes analogies avec le crime gratuit de Lafcadio, dans les Caves du Vatican, les deux meurtres étant commis sans raison dans un train, par « instinct vital », par des êtres en proie au sentiment de s’égaler à Dieu créateur par leur geste de folie, pensant aussi renouer par là avec l’homme primitif.

         En 1900-1901, les deux hommes se fréquentent lorsque Gide rallie La Revue blanche, dont Mirbeau est un pilier. Et en 1903, c’est Alice, la femme de Mirbeau, qui s’adresse à la femme de Gide pour lui proposer l’échange de leurs servantes. Puis, en 1908, Mirbeau fait de grandes déclarations d’amitié à Gide, qui a dit son admiration pour Les affaires sont les affaires, au moment de ses difficultés à faire jouer Le Foyer à la Comédie-Française (« De tous nos amis spirituels, vous êtes, mon cher Gide, le premier inscrit sur la liste de notre répétition générale »), et il lui envoie La 628-E8.

         Gide a assez souvent sollicité le concours du puissant journaliste en faveur de l’un ou l’autre de ses amis ou protégés : Ghéon, Charles-Louis Philippe, Michel Yell, Marguerite Audoux, Jacques Copeau, car il sait que c’est un homme influent, un homme de cœur, d’une « générosité foncière », dont l’œuvre abonde en traits de génie, même si elle est inégale et n’est pas celle d’un artiste. Tous deux différaient, mais ils ont su s’apprécier et se respecter.

A.G.

Bibliographie : Alain Goulet, « Octave Mirbeau devant André Gide », in Octave Mirbeau : passions et anathèmes, Caen, Presses de l’Université de Caen, « Colloque de Cerisy-la-Salle », 2007, pp. 151-170 ; Pierre Masson, .  « Gide et Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, mai 1997, pp. 386-399.


GODEFROY-LEBEUF, alexandre

GODEFROY-LEBEUF, Alexandre  (1852-1903), est  un horticulteur, pépiniériste, botaniste et éditeur de journaux, qui était en relation avec Monet et Mirbeau par l'intermédiaire de Caillebotte. Il exerçait ses activités professionnelles à Argenteuil (comme pépiniériste) et à Paris (comme semencier), où il était appelé « le planteur de Montmartre ». Depuis des générations, sa famille était spécialisée dans le négoce de plantes exotiques. Le jardin colonial d’un certain Godefroy-Lebeuf, négociant de plantes exotiques, s’étendait autrefois près de l’impasse des Brouillards, appelée ensuite impasse, puis rue Girardon, où Godefroy avait son établissement de plantes exotiques. Il est l'introducteur de nombreuses plantes tropicales en raison de ses connaissances botaniques dans le domaine des orchidées, des plantes à caoutchouc, des caféiers, des cacaoyers... Il est particulièrement connu pour ses hybridations d'orchidées, ses introductions d'hévéas en Afrique à partir de graines du Brésil.

Plaintes d'un horticulteur sur la triste situation de la section de culture au Museum d'histoire naturelle (1881), un de ses premiers ouvrages,  est une critique très sévère et argumentée de la section culture du Jardin des Plantes et, plus précisément, de son responsable, qui brille par son incompétence. Ces plaintes acerbes révèlent une verve et un tempérament de pamphlétaire qui ne devait pas déplaire à ses amis Mirbeau et Monet. Godefroy était consulté régulièrement par Bory Latour-Marliac pour l'hybridation des nymphéas. Lors de l'exposition universelle de 1889, la trentaine de variétés produites ont fait l'émerveillement de Claude Monet, qui en a passé commande dès 1894.

Mirbeau a contribué à quelques articles dans des revues de vulgarisation de son ami Godefroy : Le Jardin, journal bi-mensuel d’horticulture générale, et L'Orchidophile, journal des amateurs d'orchidées. Mais à ce jour aucun n'a été identifié.

J. C.

 


GONCOURT, edmond de

GONCOURT, Edmond de (1822-1896), romancier français. Edmond et Jules (1830-1870) de Goncourt se sont très tôt consacrés à la littérature. En 1851, ils publient un premier roman*, une œuvre fantaisiste qui n’eut aucun succès, En 18…. Les deux frères se tournent ensuite vers l’histoire : Histoire de la Société française pendant la Révolution (1854), Histoire de Marie-Antoinette (1858). Ils reviennent au roman avec Les Hommes de lettres (1860), œuvre qui donne une image très critique du monde de la bohème et du petit journal. En 1862, les Goncourt font leur entrée dans la haute société et sont reçus pour la première fois à Saint-Gratien chez la princesse Mathilde. Les romans se succèdent : Renée Mauperin (1864), portrait de la jeune fille moderne, Germinie Lacerteux (1865), le premier roman naturaliste, Manette Salomon (1867), très beau roman de l’artiste, et Madame Gervaisais (1869), peinture d’une Rome baroque et religieuse qui va exercer son tragique envoûtement sur une femme sceptique. Après la mort de Jules, Edmond revient difficilement à l’écriture ; il publie en 1877 La Fille Élisa, une œuvre naturaliste qui met en scène une prostituée meurtrière condamnée à la réclusion silencieuse. Il tente bientôt de dépasser le naturalisme désormais investi par Zola en cultivant une veine plus fantaisiste et plus poétique avec son roman du cirque, Les Frères Zemganno (1879), ou son roman de l’actrice, La Faustin (1892). L’ultime roman de Goncourt est un nouveau roman de la jeune fille, composé à partir de documents intimes que lui ont adressés des lectrices : Chérie (1884). En 1887, Edmond commence la publication d’extraits de son Journal. En 1895, Poincaré lui remet lors d’un grand banquet la rosette d’officier de la Légion d’Honneur. Le vieil écrivain meurt chez son ami Daudet, à Champrosay. 

Octave Mirbeau entre en relations avec Edmond de Goncourt le 31 mars 1877 en lui adressant une lettre de félicitations à propos de La Fille Elisa ; « le jeune homme inconnu » fait partie, quinze jours plus tard, du petit groupe d’écrivains qui vont sacrer, lors du fameux dîner Trapp, Flaubert, Goncourt et Zola « les trois maîtres de l’heure présente » (Journal, 16 avril 1877) ; les aînés rendent l’invitation à leurs six disciples (Maupassant, Hennique, Céard, Alexis, Huysmans et Mirbeau) le 9 mai 1878.

Mirbeau noue des liens plus personnels avec Edmond à partir de 1886 ; il lui rend visite à Auteuil ;  les deux hommes se retrouvent à des dîners comme ce Dîner de la Banlieue qui rassemble le 15 juin 1889 Gallimard, Toudouze et Monet. Le Journal nous raconte les visites de Goncourt aux divers domiciles de Mirbeau ; le 11 juillet 1889, c’est un dîner à Levallois-Perret, « un vilain endroit » ; le 6 juillet 1895, Edmond découvre la propriété de Carrières-sous-Poissy, aime la maison lumineuse et son parc fleuri,  tout en trouvant certaines « colorations » « abominables » ; le 22 février 1896, il dîne dans le pied-à-terre de l’Alma. Le célibataire d’Auteuil est un gourmet qui apprécie la cuisine raffinée d’Alice Regnault et les vins rares que lui sert son hôte. Au fil des rencontres s’esquisse le portrait physique d’Octave dont la dominante est le teint sanguin du visage : « Je considère l’aimable violent, dont le cou et le bas du visage ont le sang à la peau d’un homme qui vient de se faire la barbe » (Journal, 11 juillet 1889).

Les deux écrivains sont tous deux, chacun à leur manière, des dépressifs à qui une longue relation va apporter du réconfort. Goncourt encourage l’auteur de L’Abbé Jules et évoque le « plaisir nerveux » que donne la prose de Mirbeau dans une lettre du 9 avril 1888. Goncourt connaît des heures de tristesse et il a besoin de se distraire pour échapper au silence et à la solitude de la Maison d’Auteuil ; ce taciturne aime les causeurs et il apprécie la verve brillante d’un Daudet mais s’intéresse aussi aux ragots volontiers colportés par un Jean Lorrain ou un Octave Mirbeau. Le Journal revient sur les qualités de causeur de Mirbeau, « un causeur verveux, spirituel, doublé d’un potinier amusant » (15 juin 1889) ; le 24 avril 1890, Goncourt parle encore de cette « conversation « volontiers potinière, mais de temps en temps avec des envolées au-dessus des potins ». Mirbeau dévoile l’envers du décor, les secrets d’alcôve et les turpitudes du petit monde des lettres ; s’il accable Bourget ou Maupassant, il témoigne plus d’admiration pour Rodin. Le Journal nous fait  aussi de façon décousue le récit de vie de Mirbeau ; les hasards d’une conversation d’Eugénie Labille amènent un témoignage sur l’enfant agité de Rémalard (Journal, 26 août 1889) ; le 20 janvier 1886, Mirbeau fait état de  ses violences et confie avoir mis en pièces le petit chien adoré d’une maîtresse dont il était jaloux ; il avoue une période d’opiomanie (15 juin 1889). Les caricaturistes se sont parfois moqués de la crédulité de Goncourt, notamment dans le pamphlet intitulé Le Journal des Goncours. Edmond note sans doute des propos qui ne sont pas toujours fiables, mais il est peut-être moins dupe qu’on ne pourrait le croire et le naïf prend ses distances quand il parle, le 1er juin 1890, des « cancans extravagants faits par les potiniers des lettres ».

La relation Goncourt-Mirbeau va plus loin que ces plaisirs partagés de la médisance. Mirbeau admire et défend Goncourt dans ses articles. Le 19 juin 1887, il publie dans Le Figaro une étude sur le Journal des Goncourt intitulée  « La Postérité » où il montre comment le diariste remet à leur place les fausses gloires ; il regrette cependant une sévérité, qu’il estime injuste, à l’égard de Flaubert. L’imprécateur sait se montrer fidèle et s’engager en faveur de ses amis et il défend Edmond contre les critiques de Bonnières dans un article du 17 mars 1891 à L’Écho de Paris, « Le Cas de M. de Goncourt », où il brosse d’Edmond le portrait que celui-ci entendait léguer à la postérité: « Cette vieillesse solitaire et abandonnée un peu, cette vieillesse après tant d’orages, tant de déceptions fièrement supportées, tant d’amertumes hautainement endurées, cette vieillesse toute vibrante encore des bravoures et des ardeurs d’une jeunesse passionnée du Beau, est une des choses qui me sont le plus émouvantes. » Edmond allait témoigner d’une durable gratitude pour cet article, qui lui était allé au cœur. Il note dans le Journal, dès le 16 mars 1891, à propos de Mirbeau : « Ç’a été mon seul défenseur, mon seul champion » ; un mois avant de mourir, Goncourt redit encore sa reconnaissance pour ce fameux article dans son Journal du 14 juin 1896. Edmond avait placé Mirbeau dans le Saint des Saints de sa bibliothèque en demandant à Rodin d’illustrer de portraits à la plume de Mirbeau son exemplaire de Sébastien Roch. La consécration suprême fut, bien sûr, d’avoir désigné Mirbeau dans le testament fondateur de l’Académie comme l’un des membres de la future institution.

Bien des forces centrifuges auraient pourtant pu séparer les deux hommes, et tout particulièrement leurs idées politiques. Mirbeau défend la Commune, non pas dans ses chefs, mais dans la masse malheureuse qui avait cru au mouvement. A la lecture d’un article où Mirbeau soutient Ravachol dans l’Endehors, Goncourt note simplement : « C’est embêtant… » (Journal, 6 mai 1892). Cet homme foncièrement conservateur avait, en fait, une grande capacité à nouer des liens avec des adversaires politiques qui partageaient ses goûts littéraires. La relation Goncourt-Mirbeau a, certes, ses temps morts, mais elle ne se dégrade pas, contrairement à tant d’amitiés qui virent à l’aigre dans le Journal. Mirbeau aime le théâtre novateur d’Edmond et il apprécie le Journal, qui suscite des réserves de plus en plus vives au fil des publications ; il admire les qualités morales de son vieil ami d’Auteuil, à propos duquel  il confiera dans une lettre à Gustave Geffroy du 12 juillet 1889 : « Je l’aime infiniment. »

P.-J. D.

 

Bibliographie : Pierre Dufief, « Correspondance Goncourt-Mirbeau », Cahiers Mirbeau, n° 13, 2006, pp. 200-208 ; Edmond et Jules de Goncourt,  Journal, Robert Laffont, collections Bouquin, tome III, 1989 ; Octave Mirbeau, Correspondance générale, édition établie et annotée par Pierre Michel, Lauisanne, L’Âge d’homme, tomes I, II et III, 2003-2009.

 

 


GONZALES, eva

GONZALÈS, Eva (1849-1883), femme peintre française, fille du romancier Emmanuel Gonzalès et épouse du graveur Henri Guérard. Elle a été l’élève et le modèle d’Édouard Manet et a fait partie du groupe impressionniste, mais elle n’a pas participé aux expositions collectives. D’abord influencée par Manet, elle a choisi sa propre voie : scènes intimes et tonalités claires. Elle est décédée brusquement, d’une embolie, cinq jours seulement après la mort de son maître. Sa toile la plus célèbre est Loge aux Italiens (1874). Le 15 janvier 1885 a eu lieu, dans les salons de La Vie moderne, une exposition rétrospective de 88 toiles : paysages (Dieppe, Pontoise) et scènes intimistes (Toilette, Lever, Réveil, Sommeil, Nichée, etc.).

À cette occasion, qu’il « applaudit des deux mains », Octave Mirbeau lui a consacré un article, intitulé « Eva Gonzalès » et paru dans La France du 17 janvier 1885. Il est surtout frappé par « la gaieté lumineuse et douce qui vibre » dans les toiles exposées, par « la simplicité », « la sincérité » et « la sérénité » qui s’en dégage : « Aucune mièvrerie de femme, aucun désir de faire joli et sympathique, et pourtant quel charme exquis ! Et quelle élégance naturelle ! Quelle sensibilité de l’œil ! Quelle vision chaste et tranquille des choses et des êtres ! » Il admire qu’il n’y ait là « aucune rouerie de métier » et que cela ne sente pas « le procédé ». Et il apprécie que, à la différence des naturalistes, elle ne se contente pas de copier « servilement les formes », mais qu‘elle soit allée « sous les formes chercher la vie et l’expression de la vie ». Certains trouveront peut-être que « son dessin n’est pas irréprochable, mais qu’importe ? » L’essentiel, c’est l’« l’émotion » et « le frisson de la vie », et il les retrouve chez Eva Gonzalès.

P. M.


GORKI, maxime

GORKI, Maxime (1868-1936), célèbre écrivain russe. Il a mené une vie aventureuses et nomade, avant d’entamer une carrière de journaliste et de romancier. Il s’est servi de sa riche expérience pour évoquer les couches populaires les plus misérables, notamment les va-nu-pieds et les marginaux chers à Mirbeau,, dans des contes, des romans (Thomas Gordeieff, traduit en 1901, Dans la steppe, traduit en 1902, La Mère, 1907, traduit en 1909, Enfance, 1913, Les Vagabonds) et des pièces de théâtre (Les Bas-fonds, 1902, Les Petits bourgeois, 1902). En révolte contre le régime tsariste, qui a fait casser son élection à l’Académie, il a participé à la révolution de 1905, ce qui lui a valu d’être emprisonné dans la Forteresse Pierre et Paul,  avant d’être libéré et contraint à l’exil, grâce à une pétition d’intellectuels dont Mirbeau a pris l’initiative. Après le triomphe de la révolution bolchevique, il a été récupéré par le régime, est devenu un écrivain officiel et a eu droit à de grandioses funérailles.

Mirbeau possédait quatre volumes de traductions françaises de romans de Gorki, qui lui a  envoyé sa photo dédicacée pour le remercier de son efficace intervention. Monet et Rodin avaient accepté de signer la pétition rédigée par leur chantre et ami, mais Paul Hervieu – tout comme Maurice Barrès, ce qui est moins étonnant – avait refusé, et Mirbeau avait vu dans ce refus l’aboutissement d’une évolution déplorable qui l’éloignait peu à peu de son ancien confident.

P. M. .


GOUNOD, charles

GOUNOD, Charles (1818-1893), célèbre compositeur français. Il a laissé de la musique orchestrale (un concerto pour violoncelle et deux symphonies), beaucoup de musique religieuse (quatre Requiem, plusieurs messes, des oratorios comme Mors et vita, et un célèbre Ave Maria), mais c’est surtout avec ses nombreux opéras qu’il a connu le succès, notamment Mireille (1864), Roméo et Juliette (1867) et surtout Faust (1859), triomphe mondial qui ne s’est jamais démenti.

Mirbeau n’appréciait pas du tout Gounod, ni l’homme, ni sa musique, et, jugeant sa gloire usurpée, il a consacré deux articles du Journal à le dégommer, suscitant du même coup un beau scandale. Dans « César Franck et Monsieur Gounod » (27 décembre 1896), il oppose Franck, le méconnu qu’il encense, à Gounod, « sorte d’universel prophète, à la barbe fleurie d’extases », dont le « mysticisme » et la « barbe blonde » plaisent aussi bien à « nos plus belles pécheresses » qu’aux « femmes en chemise transparente et bas noirs » : « Il était, à la fois, le Péché et le Repentir, l’Ivresse et le Remords, le Ciel et l’Enfer »... Et il lui reproche, non seulement de n’avoir rien compris et de ne pouvoir rien comprendre à la « beauté souveraine » de la musique de Franck, mais de s’être comporté comme un goujat lors de la première exécution de La Rédemption. Pour finir, il voit en Faust une « prétentieuse, larmoyante et plate opérette », qu’il tourne en dérision (« Bidet pur, bidet radieux... ») ; et il qualifie Gounod de « musicien pour cabinets de toilette, dont les mélodies semblent, dans une odeur fade de parfumerie, l’égouttement savonneux des lavabos et des bidets »...Dans « Ce que l’on écrit » (17 janvier 1897), il évoque les innombrables protestations de lecteurs : des « âmes neurasthéniques et charmantes » choquées par un tel « blasphème » ; des nationalistes outrés par ce qu’ils considèrent comme une trahison ; et des critiques musicaux, scandalisés qu’un ignorant se permette de leur en remontrer. Mais il persiste et signe, toujours critique face à la « vulgarité » et à la « pauvreté de l’inspiration » de Gounod.

P. M. 

 


GOURMONT, remy de

GOURMONT, Remy de (1858-1915), écrivain aux multiples facettes, à la fois poète, romancier, essayiste, conteur, philosophe et critique. D’origine normande, il grandit dans la Manche, fit de peu studieuses études de Droit à Caen et caressa bien vite l’ambition d’une carrière d’homme de lettres. À l’automne 1881, il intègre la Bibliothèque nationale de France à un poste subalterne au Service du Catalogue. Gourmont entame ses collaborations à divers journaux (Le Contemporain, La Vie Parisienne, Le Monde), tout en rédigeant plusieurs ouvrages pour enfants et autres prix scolaires entre 1882 et 1893 (Un volcan en éruption, Bertrand du Guesclin, Les Derniers Jours de Pompéi, Chez les Lapons…). Si Paul Valéry eut sa « nuit de Gênes », Gourmont eut en 1886 son « frisson esthétique » à la lecture de La Vogue qui lui révéla ce qui allait sceller son devenir d’écrivain par Sixtine (1890) et Le Livre des Masques (1896 et 1898) : le Symbolisme. Il ne restait plus à Gourmont qu’à trouver une tribune à la hauteur du héraut, le Mercure de France, qu’il contribua à créer aux côtés d’Alfred Vallette et Louis Denise notamment. Mais la publication en avril 1891 de son article « Le Joujou patriotisme » lui coûta sa place à la Bibliothèque nationale et lui valut une cabale orchestrée par le journaliste Henry Fouquier. Cette même année il est atteint d’un lupus tuberculeux qui le défigure, il mènera dès lors une vie recluse centrée sur écrire, lire, penser. Son œuvre de critique va s’affirmer au travers d’ouvrages majeurs tels Le Latin mystique (1892), l’Esthétique de la langue française (1899), La Culture des idées (1900), Le Chemin de velours (1902), puis les différents volumes d’Épilogues et de Promenades littéraires (sept tomes de 1904 à 1927), dont Cocteau dira plus tard que c’est « l’intelligence même ». Quelques recueils de poésies jalonnent son itinéraire de pensée, dont Les Saintes du paradis (1899), Oraisons mauvaises (1900) ; des contes : Le Pèlerin du silence (1896), D’un pays lointain (1898), Couleurs (1908) ; et plusieurs romans : Le Songe d’une femme (1899), Simone (1901), Une nuit au Luxembourg (1906), Un cœur virginal (1907) sans oublier son roman inédit anarchiste, Le Désarroi (2006). Parallèlement, Gourmont, qui mène une intense activité de revuiste au sein de la Revue des Idées, entre autres, constitue un ensemble de trois volumes de Promenades philosophiques (1905, 1908, 1909). À la fin de sa vie, il se lia avec André Rouveyre et Guillaume Apollinaire. Seul et malade, profondément affecté par la Guerre, comme en témoignent Pendant l’orage (1915), Dans la tourmente (1916), Pendant la guerre. Lettres pour l’Argentine (1917), il connut cependant l’euphorie de l’amour inespéré en la personne de Natalie Barney, l’Amazone. Il mourut d’une congestion cérébrale le 27 décembre 1915.

            C’est au cœur de la tourmente causée par le Joujou patriotisme que Gourmont et Mirbeau tissèrent des liens. L’impact désastreux de cet article fut tel que seul Mirbeau prit la défense du jeune Gourmont, dont il partage les points de vue : tous deux récusent le patriotisme belliciste, rejettent l’esprit revanchard à l’égard de l’Allemagne, espèrent une entente culturelle entre la France et l’Allemagne. Mirbeau en ardent défenseur de la liberté d’expression fera gaillardement face, avec Gourmont, aux violentes attaques qui s’ensuivirent, en tête desquelles celles d’Henry Fouquier, alias Nestor. Dans son article « Les Beautés du patriotisme » du 18 mai 1891 paru dans Le Figaro), Mirbeau dénonce les excès du patriotisme et loue les mérites de Gourmont et, implicitement, ceux de toute la jeune génération symboliste comme il l’avait déjà dit à Jules Huret. De cet incident naquit une profonde amitié entre les deux hommes, dont leur correspondance témoigne. Mirbeau lui sera d’un précieux secours pour qu’il parvienne à retrouver une situation dans les lettres. Passée la tourmente de l’article, la littérature occupe à nouveau leurs esprits et leurs échanges, Gourmont conclut désormais ses lettres par « Bien affectueusement à vous, mon cher Mirbeau ». Mirbeau ne figure pas dans le Livre des Masques, comme cela fut envisagé, mais Gourmont lui consacrera une longue étude, précise et soignée, dans le premier volume des Promenades littéraires, qui parut en 1904. Il y exprime la « générosité foncière » de « l’écrivain passionné », de « l’explorateur littéraire et social », du « philosophe qui contemple l’avenir en regardant le présent et qui ne craint, ni de dénoncer une iniquité, ni d’admirer le génie naissant d’un jeune homme, fût-il seul à sentir ainsi, à parler ainsi. » Malgré ces lignes élogieuses, leurs relations vont se distendre petit à petit. La reconnaissance de Gourmont cédant la place à une certaine ingratitude à l’égard de son protecteur, qui voit son roman Le Journal d’une femme de chambre lui conférer gloire, renommée, et suspicion dans l’œil de Gourmont.

V. G.

 

            Bibliographie : Olga Amarie, « “Mon amitié n’est pas d’occasion, elle est de toujours” (Remy de Gourmont à Octave Mirbeau) », Cahiers Octave Mirbeau, n° 13, 2006, pp. 214-226   ; Vincent Gogibu, « Une lettre de Gourmont à Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, 2007, pp. 214-217  ; Gérard Poulouin, « Dix-neuf lettres à Octave Mirbeau », Nouvelle Imprimerie Gourmontienne, n° 1, automne 2000 ; Gérard Poulouin, « Remy de Gourmont et Octave Mirbeau : de l'amitié à la rupture », Cahiers Octave Mirbeau, n°8, 2001, pp. 341-363.


GRAVE, jean

GRAVE, Jean (1854-1939), cordonnier autodidacte, est un théoricien et un activiste anarchiste. Avec de bien maigres moyens, il s’est lancé dans une généreuse tentative pour aider les travailleurs à « s'affranchir intellectuellement » afin de devenir « aptes à s'affranchir matériellement » : il a fondé à cette fin un hebdomadaire libertaire, La Révolte (1887-1894), dont il a été le directeur, et auquel a succédé Les Temps nouveaux (1895-1914). Soucieux d’ouvrir et de cultiver l’esprit de ses lecteurs, il a ajouté à La Révolte un supplément littéraire où il reproduisait des textes d’auteurs, le plus souvent non anarchistes eux-mêmes, qui acceptaient d’abandonner leurs droits, à l’instar de Mirbeau (mais Zola, lui, a refusé, et la Société des Gens de Lettres a engagé une action contre Grave). Il est l’auteur de La Société mourante et l’anarchie (1893), préfacé par Mirbeau, de La Société future (1895), écrit en prison, de L’Individu et la société (1897), et de deux romans : La Grande famille (1896) et Les Aventures de Nono (1900). Plusieurs fois condamné et incarcéré pour délits de presse, il a été acquitté lors du Procès des Trente, en août 1894. Ses souvenirs ont été publiés sous deux titres différents : Le Mouvement libertaire sous la IIIe République, en 1930, et Quarante ans de propagande anarchiste, en 1973.

            Aspirant à donner de l’anarchisme une image moins rebutante et plus culturelle, Grave ne pouvait que s’intéresser à un écrivain aussi visiblement révolté et subversif que Mirbeau, dont nombre de textes, chroniques et extraits de romans, ont été publiés dans le supplément littéraire de La Révolte. Aussi est-ce tout naturellement vers lui qu’il se tourne, par l’intermédiaire de Camille Pissarro, quand il est confronté à la Société des Gens de Lettres présidée par Zola ; lorsqu'il est en quête d'un éditeur et d'un préfacier pour La Société mourante et l'anarchie ; lorsqu'il souhaite faire connaître au grand public les horreurs du Dépôt, par lequel il a transité, en avril 1892 ; lorsqu'il est emprisonné, en janvier 1894, à l'occasion de la réédition de La Société mourante, puis impliqué dans le Procès des Trente ; et encore lorsqu'en avril 1895 il se prépare à lancer Les Temps nouveaux. Mirbeau lui apporte volontiers son aide, qui se révèle très efficace :

- Par son intervention dans la grande presse, en août 1891, il contribue au report sine die du procès intenté par la Société des Gens de Lettres (voir « À propos de la Société des Gens de Lettres », , et « Encore la Société des Gens de Lettres »).

- Par sa préface pédagogique , il aide puissamment à la diffusion de La Société mourante et l’anarchie.

- En février 1894, il met en lumière les aberrations des poursuites engagées contre Grave (voir « Pour Jean Grave »), puis témoigne en sa faveur, contribuant ainsi à son acquittement lors du Procès des Trente.

- À en croire les rapports de police, c'est Mirbeau qui soutient de ses phynances Les Temps nouveaux, leur épargnant ainsi la noyade à laquelle semblait les condamner un déficit permanent.

Pour autant les relations, nouées tardivement, entre l'illustre écrivain et l'ancien cordonnier ne sont pas toujours au beau fixe, à une période où Mirbeau est souvent dépressif et traverse une très grave crise. Ainsi un inexplicable rendez-vous manqué, dont Mirbeau ne s’est pas excusé, a-t-il laissé Grave amer et perplexe. À en juger par leur correspondance (publiée en 1994), il semble que, nonobstant leur commun idéal libertaire, leurs relations reposent sur un certain malentendu : l’un est avant tout un artiste doté d'une curiosité universelle, ouvert à toutes les angoisses existentielles et à toutes les beautés créées par le génie humain, sans jamais s'astreindre à aucune discipline partisane ni à aucune autocensure ; l’autre est avant tout un militant quelque peu enfermé dans des certitudes dogmatiques, et de surcroît obnubilé, de par la force des choses, par les tâches quotidiennes,  les soucis matériels et les préoccupations politiques immédiates.

P. M.

 

            Bibliographie : Pierre Michel, « Octave Mirbeau et Jean Grave », préface de la Correspondance Mirbeau – Grave, Au fourneau, 1994, pp. 7-14.

 

 


GREGORI, louis-vincent-anthelme

GRÉGORI, LOUIS-VINCENT-ANTHELME (1842-1910) : journaliste français, né à Belley dans l’Ain d’un père italien, devenu français lors du rattachement de la Savoie à la France. Après des études à l’École normale supérieure, il s’essaye au journalisme dans diverses publications réactionnaires (La Sarthe, La Province, Le Clairon, Le Gaulois), tout en menant une carrière d’auteur dramatique (Les Libérateurs en 1901, Les Prétendants, 1902). Agioteur sans talent, président d’un syndicat de défense des actionnaires, il va de déboires en déboires au point d’être cité en justice plus souvent qu’à son tour.

Toutefois, si l’Histoire retient son nom, c’est moins pour ses talents littéraires que pour sa participation à l’épisode final de l’Affaire Dreyfus. En effet, parce qu’il n’a pas supporté la panthéonisation de Zola, il décide le jour de la cérémonie, le  4 juin 1908, de tirer sur le capitaine Dreyfus. Poursuivi pour « coups et blessures » et non pas « tentative de meurtre », comme on aurait pu s’y attendre, il est  acquitté et transformé, illico presto, en icône du nationalisme le plus radical.

Mirbeau, dreyfusard de la première heure, a naturellement peu affaire avec un tel individu. Il reste qu’il a connu l’homme dans les années 80, notamment au moment de la création des Grimaces. En effet, pendant que Mirbeau se chargeait, en tant que rédacteur en chef, des articles, Grégori s’occupait de l’administration. La fin de l’expérience marqua sans doute la fin de leur relation.

 

Y.L.

 

Bibliographie : Michel Drouin, « Qui était Grégori ? », dans Alain Pagès (dir.), Zola au Panthéon, l’épilogue de l’Affaire Dreyfus, Presses Sorbonne nouvelle, 2010, pp.55-64.


GROSCLAUDE, étienne

GROSCLAUDE, Étienne (1858-1932), journaliste et humoriste. Il a fait ses débuts au Gaulois, où, avec la complicité d’Alfred Capus, il a publié des fantaisies à quatre mains signées Dupuis et Cotonnet. Il a participé en 1883, aux côtés de Mirbeau, à l’aventure des Grimaces, où il tenait la rubrique de nouvelles parisiennes et ne s’aventurait que rarement sur le terrain politique. Il a collaboré aussi au Gil Blas, à L’Écho de Paris et au Journal. Début 1886, il a publié chez Laurent Les Gaietés de l’année, dont son ami Mirbeau a rendu compte élogieusement. En 1896, il a curieusement été envoyé en mission à Madagascar, ce qui lui a inspiré Un Parisien à Madagascar (1898). Mémorialiste plein de fantaisie et de gaieté, il a publié en 1912 des Mémoires d’outre-bombe… Joueur invétéré, il a perdu beaucoup d’argent dans les casinos.

Mirbeau appréciait vivement la verve, la fantaisie et l’originalité de Grosclaude : « Politique, littérature, philosophie, art, science, monde, M. Étienne Grosclaude a touché à tout de sa plume fantaisiste et libre, de son esprit brillant, mordant et, malgré les pétillantes légèretés desquelles il se joue, remarquablement ouvert à toutes les belles choses, d’une tenue littéraire absolument irréprochable. Je l’avoue, j’ai été vivement charmé ; j’ai été complètement conquis à la gaieté ironique de cet esprit très particulier, derrière lequel on voit si bien une âme délicate, enthousiaste et généreuse. M. Grosclaude se distingue de ses confrères en chronique parisienne en ce qu’il a beaucoup plus d’esprit qu’eux d’abord, et ensuite en ce qu’il ne se sert jamais de son esprit pour rire de ce qui est beau. [...] M. Étienne Grosclaude est supérieurement doué. Il doit être lassé de s’entendre toujours répéter qu’il est spirituel. Certes, il l’est, mais il a des qualités plus hautes et plus nobles que l’esprit : une éducation littéraire solide, une vision originale des choses, des dons précieux de critique, une imagination très ardente et très personnelle » (« La Chronique », Le Matin, 12 février 1886). Il n’en déplorait que plus son dommageable peu de sérieux dans la vie quotidienne, et notamment ses pertes au jeu, dont il a été le témoin lors de ses séjours à Menton.

P. M.


GUILLAUMIN, émile

GUILLAUMIN, Émile (1873-1951), paysan et écrivain français. Toute sa vie il a vécu de sa toute petite exploitation et il est resté attaché viscéralement à la terre de son Bourbonnais natal, qu’il n’a quittée que lors de sa mobilisation, en 1914, sans jamais entamer une “carrière littéraire” à proprement parler. C’est son dur labeur de cultivateur qui lui a inspiré son premier roman, La Vie d’un simple (1904), qui a enthousiasmé Mirbeau et a obtenu un succès inattendu, mais qui n’a cependant pas obtenu le prix Goncourt 1904. Il a également publié Près du sol (1906), Rose et sa Parisienne (1908), La Peine aux chaumières (1909),  qui lui ont valu d’être sommairement classé parmi les écrivains rustiques et régionalistes. Il a été aussi un actif syndicaliste, soucieux de l’intérêt du plus grand nombre et qui a défendu les intérêts des métayers contre les gros propriétaires terriens.

Mirbeau a vivement apprécié la spontanéité, la sincérité et la qualité d’observateur de cet écrivain prolétarien et autodidacte. Après avoir découvert La Vie d’un simple, interviewé par Louis Vauxcelles, au dire du journaliste, « il entonna le los d’un cultivateur des environs de Bourbon-l’Archambault, cet Émile Guillaumin qui vient, en ses Mémoires d’un métayer, de décrire avec un si probe réalisme la vie paysanne, les champs et les bestiaux, et les marchés de la petite ville » (« Au pays des Lettres- Chez M. Octave Mirbeau », Le Matin, 8 août 1904). Quelques mois plus tard, il est le seul, avec son ami Gustave Geffroy, à voter pour Guillaumin pour le deuxième prix Goncourt.  Au lendemain du prix Goncourt 1906, qui a suscité la contestation de ses protégés Charles-Louis Philippe et Eugène Montfort, il regrettera encore qu’on n’ait pas décerné le prix 1904 à Guillaumin : « Sa Vie d'un simple est une chose admirable, rare, délicieuse, un des plus beaux livres qu'on ait faits depuis longtemps... » (Claude Cazaubon, « Autour du prix Goncourt », Gil Blas, 18 décembre 1906). Il n’est pas sûr pour autant que les deux écrivains se soient jamais rencontrés, et des échanges de lettres ne sont pas attestés.

P. M.

 


GUITRY, lucien

GUITRY, Lucien (1860-1925), célèbre acteur français, père de Sacha Guitry, avec qui il a été brouillé pendant treize ans. Entré au Conservatoire en 1876, il a fait ses débuts en 1878, puis a passé neuf ans à Saint-Pétersbourg, au théâtre Michel, avant de jouer, à Paris, au théâtre de la Porte Saint-Martin, au théâtre des Variétés et surtout au théâtre de la Renaissance, dont il a pris la direction, après un passage de quelques mois à la Comédie-Française, comme directeur de la scène, en 1901-1902. Il a joué dans des pièces de Porto-Riche, Alfred Capus, Maurice Donnay Edmond Rostand et Henri Bernstein. Il s’était fait construire un somptueux hôtel particulier sis au 18 de l’avenue Élisée Reclus.

Mirbeau et Guitry se fréquentaient et étaient liés d’amitié. C’est Lucien Guitry qui, en 1897, s’est entremis auprès de Sarah Bernhardt pour qu’elle reçoive Les Mauvais bergers à la Renaissance. Il y a lui-même interprété le rôle principal de Jean Roule, cependant que la quinquagénaire Sarah incarnait la jeune Madeleine.  Lorsque Les affaires sont les affaires a été reçu à la Comédie-Française, en octobre 1901, Mirbeau a espéré que Guitry serait chargé de la mise en scène, mais son passage éclair n’a pas permis d’exaucer son vœu. En 1906, après le refus du Foyer par Jules Claretie, Guitry a  aussitôt proposé à Mirbeau de monter sa pièce à la Renaissance, mais un problème de distribution retardait trop la création, et, pour finir, Claretie s’est résigné à accepter de monter cette comédie subversive à la Maison de Molière. En 1923, dans une pièce de son fils Sacha, Un sujet de roman, Lucien Guitry a incarné le grand écrivain incompris et trahi par sa femme, dont le modèle n’était autre que Mirbeau.

P. M.

 

 

 


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