Familles, amis et connaissances

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Terme
SACHER-MASOCH, leopold von

SACHER-MASOCH, Leopold von (1836-1895), célèbre journaliste et romancier autrichien, dont le nom est surtout passé à la postérité par le terme de « masochisme », créé par Krafft-Ebing en 1886 dans sa Psychopathia Sexualis.. Originaire de Galicie, région qu’il évoque souvent dans ses récits, il est l’auteur d’un grand cycle romanesque, Le Legs de Caïn (Das Vermächtnis Kains), resté inachevé, dans lequel figure notamment la fameuse Vénus à la fourrure (Venus im Pelz, 1870). C’est dans ce récit que s’épanouit sa conception « masochiste » des relations entre hommes et femmes. Cet idéal de liaison contractuelle entre une femme dominatrice et un homme esclave consentant, il a en vain tenté de le réaliser durablement, d’abord avec deux de ses maîtresses, ensuite avec sa femme, Aurora Rümelin, qui a pris le nom de l’héroïne du roman, Wanda von Dunajew, et avec laquelle il a passé effectivement un véritable contrat d’esclavage. Mais elle s’en est vite lassée : en 1882, elle a fini par l’abandonner pour partir avec l’aventurier  Jacques Saint-Cère (voir la notice), et ils ont divorcé en 1886. Il a dirigé une revue, Auf der Höhe, de 1881 à 1885. Il a passé ses dernières années dans son château de Lindheim.

Mirbeau et Sacher-Masoch ont fait connaissance à Paris en 1887, et Octave a alors introduit Leopold dans l’atelier d’Auguste Rodin. Sacher-Masoch a consacré à « Octave Mirbeau » un élogieux article de sa revue Magazin für die Literatur das In- und Ausland  (n° du 5 janvier 1889, pp. 30 sq.). Il y traite de  L’Abbé Jules, du Calvaire et de deux contes, « Le Veuf » et « Vers le bonheur », et juge Mirbeau bien supérieur à Zola, malgré quelques résidus naturalistes. On comprend qu’il ait été intéressé par des récits où l’homme a un comportement que l’on peut aisément qualifier de masochiste, bien qu’il n’y ait pas de contrat en bonne et due forme. Mais un thème plus important encore les rapproche : celui de la violence de l’Histoire et de la condamnation à mort qui pèse sur tous les êtres vivants, obligés de s’entre-tuer et de s’entre-dévorer pour survivre. C’est ce que Mirbeau appelle « la loi du meurtre » et Sacher-Masoch « le legs de Caïn ».

P. M.


SAINT-CERE, jacques

SAINT-CÈRE, Jacques (1855-1898), pseudonyme de Armand Rosenthal, était un aventurier et un petit escroc d'origine allemande, mais qui a opté pour la nationalité française. En exil en Allemagne, en attendant la prescription de condamnations pour grivèlerie, il dirigé avec Sacher-Masoch la revue Auf der Höhe, puis devient l'amant de Wanda von Dunajew, la propre épouse de Sacher-Masoch, et s’en sépare en 1888, après avoir fait venir en France le mari de sa compagne l’année précédente... Ayant réussi à se faire passer pour un éminent germaniste (il publie en 1886 L'Allemagne telle qu'elle est), il s’introduit au Figaro et y obtient la prestigieuse rubrique de politique étrangère. Il touche alors  des sommes énormes, qu’il gaspille en dépenses somptuaires. Début 1896 un scandale révèle qu'il n'était qu'un maître chanteur : il est incarcéré le 9 janvier pour avoir fait chanter le richissime « petit sucrier » Max Lebaudy (mort à vingt-deux ans, le 24 décembre 1895, à l'hôpital militaire d'Amélie-les-Bains). Il est néanmoins libéré quelques mois plus tard, bénéficiant d’un non-lieu, faute de preuves, mais sa santé en est fort détériorée, et il meurt prématurément le 29 mai 1898.

Au cours de cette affaire, Mirbeau s’est curieusement intéressé à lui et a pris sa défense contre la lâcheté générale, tous les anciens amis de Saint-Cère se défilant les uns après les autres, et contre ce qu’il considérait comme un lynchage médiatique, où l’antisémitisme tenait sa partie. Du coup le maître-chanteur devient à ses yeux une victime à défendre contre les charognards, au même titre que le millionnaire Max Lebaudy quinze jours plus tôt (voir « Pitié militaire », Le Journal, 29 décembre 1895). Mirbeau s'en prend violemment à la presse immonde, dont le « hideux spectacle » le révulse et lui « soulève le cœur de dégoût », dans un article au titre-choc, « La Police et la presse » (Le Gaulois, 15 janvier 1896) : « Il n'est pas de jour où la presse ne dénonce quelqu'un. Et aussitôt elle instruit son procès, juge et condamne. [...] Abandonnant sa mission, reniant son caractère, qui est de défendre les droits de la liberté humaine contre les abus de l'autorité, elle se fait l'instrument des plus basses délations, et, ce qui est pire, le réceptacle des insinuations les plus perfides. Sans contrôle, sans raisons, pour le plaisir, elle déshonore. Elle transforme en infamies les actes les plus permis, elle embrouille inextricablement les affaires les plus simples. Et si par hasard quelques uns des accusés prouvent à la Justice qu'elle s'est trompée, la tare que leur aura faite le journal n'en demeurerait pas moins, sur eux, éternellement [...]. Sous prétexte d'information, la presse est devenue quelque chose comme la succursale de la préfecture de police et l'antichambre du cabinet du juge d'instruction. » Mais Mirbeau ne se contente pas de mettre sa plume au service du réprouvé : sollicité par Saint-Cère, il intervient avec efficacité pour lui permettre de reprendre place au Gaulois et de s’introduire au Cri de Paris des frères Natanson. Dès le 7 février, Saint-Cère le remercie avec effusion pour sa solidarité : « Vous êtes le seul qui ayez eu le cœur de vous souvenir du camarade disparu –cela ne m'étonne pas de votre part. » 

P. M.

 

            Bibliographie : Pierre Michel, « Mirbeau, Jacques Saint-Cère et l’affaire Lebaudy », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, mai 1996, pp. 197-212.


SAINT-PAUL, baron de

SAINT-PAUL, Gaston Paul Verbigier, baron de (1821-1878), homme politique bonapartiste. Originaire de Fabas (Ariège), le baron de Saint-Paul est fils d’un général d’Empire anobli par Napoléon pour avoir pénétré le premier la brèche de Saragosse. Sous-préfet à Castres, puis à Brest, préfet de la Meurthe, puis du Nord, il devient sénateur de 1869 à 1870 dans les rangs des partisans du régime impérial. Candidat bonapartiste, il est élu député de l’arrondissement de Saint-Girons, en Ariège, le 20 février 1876. En pleine crise constitutionnelle, au lendemain du coup de force du 16 mai 1877, lorsque Albert de Broglie prend la tête d’un gouvernement d’union des droites, dit « d’ordre moral », il confie le Ministère de l’Intérieur à un bonapartiste à poigne, Oscar de Fourtou. Celui-ci appelle le baron de Saint-Paul, ami personnel et influent de Mac-Mahon, pour diriger le personnel, avec pour objectif d’empêcher les républicains de revenir en force à l'Assemblée nationale. Saint-Paul place alors dans son fief d’Ariège des hommes de confiance. Lasserre, un de ses anciens employés des forges de Liverdun, devient préfet, et Octave Mirbeau, qui vient de collaborer à L’Ordre de Paris, où il signait des chroniques dramatiques, est nommé chef de cabinet. Mirbeau prend ses fonctions le 29 mai 1877, à l’âge de 29 ans.

On comprend que, rejoignant les Pyrénées lointaines dans les bagages du baron de Saint-Paul, figure emblématique du saint-gironnais, Octave Mirbeau ait été crédité à tort par les observateurs parisiens du titre de sous-préfet de Saint-Girons. Une erreur tenace qui a donné lieu à quelques « témoignages » surprenants, ceux notamment de Paul Hervieu (« M. Octave Mirbeau », Le Jour, 28 avril 1883) et de Félicien Champsaur (« M. Octave Mirbeau », L'Événement, 25 novembre 1886), présentant le sous-préfet Mirbeau semant « la terreur parmi les misérables habitants de ces altitudes inclémentes ». En fait, Mirbeau vivait et travaillait à Foix, et accessoirement, collaborait anonymement au journal bonapartiste L’Ariégeois. C’est là qu’il a vécu l’échec électoral du 14 octobre 1877. Sur les trois sièges que détenaient les conservateurs, seul Saint-Paul conserve le sien, et encore, pour peu de temps, puisque son élection est invalidée et qu’il est battu le 7 juillet suivant. Contraint à la démission le 15 décembre 1877, Mirbeau se voit confier la rédaction de L’Ariégeois, où il écrira de nombreux articles de janvier 1878 à janvier 1879, certains signés, d’autres anonymes. En bon serviteur du baron de Saint-Paul, Mirbeau y combat les républicains, qu’ils soient politiciens, journalistes, instituteurs ou même curés. Était-il alors, comme il l’a laissé entendre ensuite dans Un gentilhomme, un prostitué de la plume ? Ou adhérait-il au bonapartisme (voir la notice) qui dénonçait les mensonges et tromperies de la pseudo-République et défendait sous beaucoup d’aspects la cause des sans-voix ? Ce qui est sûr, c’est qu’il prend du plaisir dans des combats locaux et querelles de clocher qui avec le recul paraissent bien insignifiants. En fait, il apprend. Il enrichit son « herbier », comme il dira dans Un gentilhomme, de personnalités humaines et il aiguise son regard sur l’administration et la politique. Le baron de Saint-Paul meurt le 25 novembre 1878 dans son château de Poudelay, près de Fabas. Octave Mirbeau consacre un long article à ses funérailles dans L’Ariégeois du 4 décembre. Le cortège qu’il décrit, où « l’on n’entendait que les cahots du char roulant sur la terre raboteuse, un piétinement vague et confus, des murmures de prières, de sanglots étouffés, et dans le lointain, des voix tristes qui chantaient », évoque la procession de Sainte-Anne d’Auray qu’il décrira plus tard, dans Sébastien Roch.


J. P.

 

Bibliographie : Sharif Gemie, « Un raté. Mirbeau, le bonapartisme et la droite »,  Cahiers Octave Mirbeau, n° 7, pp. 75-86 ; Pierre Michel,, « Mirbeau et l’Empire », in Actes du colloque de Tours L’Idée impériale en Europe (1870-1914),  Littérature et nation, n° 13, 1994, pp. 19-41  ; Pierre Michel, « L’Itinéraire politique de Mirbeau », Europe, n° 839, mars 1999, pp. 96-109 ; Octave Mirbeau, Chroniques ariégeoises, recueillies par Jean Philippe, Labarre, L’Agasse, 1998 ; Jean Philippe, « Octave Mirbeau en Ariège (1877-1879) », in Société ariégeoise - Sciences, lettres et arts, Foix, 1997, t. LXI, pp. 27-40 ; Jean Philippe, « L’herbier humain », préface des Chroniques ariégeoises, loc. cit., pp. 13-29.

 

 

 


SAINT-POL-ROUX

SAINT-POL-ROUXPierre-Paul Roux, dit – (1861-1940), poète et dramaturge. Né à Saint-Henri, près de Marseille, il monte dans la capitale, en 1882, pour suivre des études de droit qu’il n’achèvera pas, préférant à l’Université les théâtres et la vie de bohème. C’est la découverte de l’œuvre de Mallarmé, entre 1884 et 1885, qui, l’éloignant de ses premières amours parnassiennes, lui indique la voie poétique à suivre. En 1886, il fonde, avec Ephraïm Mikhaël, Rodolphe Darzens et Pierre Quillard, La Pléiade, petite revue symboliste, « grand-mère violette du Mercure de France ». À cette date, il a déjà développé une théorie personnelle, qu’il présentera en juin 1891 dans sa réponse à l’Enquête sur l’évolution littéraire de Jules Huret : le Magnificisme ou Idéoréalisme. Au Mercure de France, il donnera la plupart de ses œuvres majeures : des drames, L’Âme noire du Prieur blanc, l’Epilogue des Saisons humaines (1893), La Dame à la Faulx (1899), des recueils de poèmes en prose, Les Reposoirs de la Procession, première série (un tome, en 1893), et nouvelle série (trois tomes, en 1901, 1904, 1907), un recueil de vers, Anciennetés (1903). Déçu par les mœurs de la capitale, il s’installe dans le Finistère, à Roscanvel (1898-1905) puis à Camaret-sur-Mer où il fait bâtir un manoir dominant l’océan avec l’argent que lui a rapporté la cession de ses droits sur Louise de Gustave Charpentier, dont il a écrit le livret. Isolé, il entre progressivement dans l’oubli ; l’hommage que lui offrent les jeunes surréalistes en 1925 ne l’en tire que temporairement. Dans la solitude et le silence éditorial, il travaille à sa Répoétique, grand œuvre protéiforme et visionnaire. L’invasion nazie l’empêchera d’achever et de publier son travail. Le Magnifique meurt à Brest le 18 octobre 1940.

Dans l’entretien qu’il accorda à Jules Huret à l’occasion de l’Enquête sur l’évolution littéraire, Mirbeau avait mentionné Saint-Pol-Roux parmi les auteurs du Mercure de France qui « vraiment méritent mieux que le dédain de Zola ». Touché par cette marque d’estime, le poète le remercia en le signalant, dans sa propre réponse des 17 et 18 juin 1891 au journaliste de L’Écho de Paris, comme l’un des maîtres de la « Renaissance de demain », l’associant à Copernic, comme pour souligner le courageux combat de Mirbeau contre l’obscurantisme moderne. Mais c’est en mars 1892 que les relations entre les deux hommes se nouèrent véritablement, alors que ce dernier avait décidé de poser sa candidature, avec Gustave Charpentier et Georges Rochegrosse, à la direction de l’Odéon, laissée vacante par Porel. Le Magnifique écrivit alors à Mirbeau pour lui demander son soutien ; l’auteur du Calvaire y répondit favorablement, écrivant même un article destiné au Figaro. Malheureusement, la nomination précipitée de Marck et Desbeaux rendit l’aide de Mirbeau inutile, et l’article lui fut renvoyé. Des quatre lettres de Saint-Pol-Roux qui ont été retrouvées, les trois premières concernent la campagne odéonienne, mais la quatrième, datée du 23 avril 1892, témoigne de relations, moins intéressées, et plus amicales, le « cher Monsieur Mirbeau » cédant place au « cher ami ». Les deux hommes semblent en effet, à cette date, s’être rapprochés et quelques signes, à défaut des lettres, prouvent une estime réciproque et qui dura. Mirbeau fut ainsi le témoin de mariage de Saint-Pol-Roux célébré, le 5 février 1903, à la mairie du XIe arrondissement de Paris. L’année suivante, le poète lui dédia son recueil, De la Colombe au Corbeau par le Paon. Et Mirbeau fera partie des signataires, en 1909, de la pétition adressée à Jules Claretie pour que La Dame à la Faulx fût représentée à la Comédie-Française.

M. L.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Mirbeau et Saint-Pol-Roux », in Saint-Pol-Roux, Lettres à Octave Mirbeau, Ed. A l’Ecart, 1994 ; Mikaël Lugan, « Octave Mirbeau et Saint-Pol-Roux », Cahiers Octave Mirbeau, n°13, 2006, pp. 238-241.


SAINT-SAËNS, camille

SAINT-SAËNS, Camille (1835-1921), compositeur français d’inspiration néo-classique plus que post-romantique. Il était hostile au wagnérisme et se voulait très patriote. Il est l’auteur de dix concertos (cinq pour piano, trois pour violon et deux pour violoncelle), de poèmes symphoniques (La Danse macabre), de la célèbre Symphonie avec orgue (1886), d’une abondante musique de chambre, de musique religieuse, notamment un Requiem (1878), et de plusieurs opéras : Le Timbre d’argent (1877), Samson et Dalila (1877), son chef-d’œuvre lyrique, et Henri VIII (1883).

Mirbeau n’a parlé de Saint-Saëns que lors de ses débuts journalistiques et avec un regard extrêmement critique qui surprend un peu. C’est ainsi que, le 30 novembre 1876, il propose, sur le ton de la plaisanterie, d’appliquer la peine de mort « sans pitié ni merci » au compositeur et à quelques autres personnalités du monde culturel qu’il exècre pour leur médiocrité, en même temps qu’aux notaires et aux concierges... Plus sérieusement, il accuse ce compositeur, si « incontestablement dépourvu de talent » et qui « malmène et torture la musique si fort », d’avoir mené des « intrigues sourdes » pour parvenir à faire montrer ce « malencontreux ouvrage » qu’est Le Timbre d’argent, dont il souhaite la chute. Mais, plus que d’être dépourvu de l’étincelle du génie, ce qu’il reproche à Saint-Saëns, c’est de s’employer, en tant que critique musical, à étouffer dans l’œuf les gloires naissantes (« Chronique de Paris », L’Ordre de Paris, 14 décembre 1876). Le 25 janvier 1877, nouvelle attaque contre Saint-Saëns, dont il qualifie d’« impudente » la « ténacité des médiocres qui s’ignorent » à vouloir être joué à tout prix. Dans un article de souvenir paru le 19 février 1911 dans L’Écho de Paris, Saint-Saëns rappellera qu’« un jeune journaliste », qu’il ne nomme pas, avait, dans « deux avant-premières », préparé « la chute de [son] ouvrage ».

Six ans plus tard, le ton de Mirbeau a complètement changé quand il parle d’Henri VIII  : il en juge « la partition superbe, d’un talent et d’une inspiration soutenus », et voit alors en Saint-Saëns, « sans contredit, notre premier compositeur français » (« Coulisses », Paris-Midi Paris-Minuit, 6 mars 1883). On a l’impression qu’il ne juge plus, ab irato, sur la base du comportement déplaisant de l’homme, mais en fonction de l’émotion procurée par le compositeur.

P. M.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


SARCEY, francisque

SARCEY, Francisque (1827-1899), célèbre critique dramatique. Ancien normalien et condisciple de Taine, professeur puis journaliste républicain sous l’Empire, il doit sa célébrité aux feuilletons dramatiques qu’il a chèrement vendus pendant quatre décennies au Temps et à d’autres quotidiens (dont Le XIXe siècle et, un temps, La France), et qui ont été recueillis après sa mort dans les huit volumes de Quarante ans de théâtre (1900-1902). Il a aussi publié une étude sur Paul-Louis Courier (1876) et deux volumes de notices biographiques de comédiens. Violemment anti-communard, ce bourgeois ventripotent et féroce a appelé à une répression sanglante. Malgré ses allures bonhommes, il a exercé, sur le théâtre de son temps, une dictature tout aussi féroce, quoique moins sanglante, et notamment combattu impitoyablement Henry Becque, Maurice Maeterlinck, Ibsen et le théâtre scandinave. Au nom du « bon sens » et de la « moyenne », il a abaissé le théâtre au niveau d’un public amateur de simples divertissements et dont il faisait siennes les opinions, parce que le public était supposé avoir toujours raison et que le succès est le critère suprême. Amateur de la pièce bien faite sur le modèle de celles d’Eugène Scribe, allergique aux nouveautés et à tout ce qui donne à réfléchir et risque de perturber la digestion, il représentait tout ce que Mirbeau abominait : le culte du vaudeville qui fait « se tordre » les spectateurs (voir « Il faut se tordre ! », L’Écho de Paris, 10 octobre 1893) ; la priorité accordée à  « la scène à faire » au détriment de la vie et de la vérité humaine ; le modèle de la pièce bien formatée et recourant à de grosses ficelles ; l’exclusivité accordée à des spectacles anesthésiante, parce que destinée à un public bourgeois dépourvu de toute sensibilité esthétique et de toute véritable éthique.

Mirbeau, pour qui il incarnait, en dépit de son apparence débonnaire, l’infrangible et féroce stupidité bourgeoise, a fait de Sarcey, « Son Auguste Triperie », une de ses têtes de Turc préférées. Il n’a cessé, dans de multiples chroniques, de vilipender son « absolue vulgarité », sa haine du génie, la bassesse de ses goûts et de ses critères, « la pauvreté de son esprit, la petitesse de ses conceptions, l’étroitesse de son jugement » (« La Victime de M. Sarcey », Le Gaulois, 22 septembre 1884). Il a régulièrement dénoncé le dangereux magistère dictatorial exercé par ce « feuilletoniste prolixe, rageur et verbeux » (« Quand on n’a rien à dire », Le Journal, 20 février 1898), qu’on appelait familièrement « mon oncle ». Il l’a notamment démystifié d’importance dans des interviews imaginaires volontiers scatologiques, dont une, post mortem, constitue une notice nécrologique au vitriol (« Apparition », L'Aurore, 18 mai 1899). Dans une de ces interviews, « Une visite à Sarcey » (Le Journal, 2 janvier 1898), Mirbeau lui annonce sa mort prochaine dans des conditions particulièrement grotesques (« Votre destinée est de mourir un soir, tout d’un coup, dans un fauteuil d’orchestre », mais sans que son cadavre  puisse passer par des portes trop étroites pour sa bedaine) et tire un bilan totalement négatif de ses quarante années d’abêtissement de ses lecteurs : « Vous avez été un être malfaisant et vil, toute votre vie vous avez accompli une besogne laide et sale... et lâche, comme l’impuissance dont elle sort. [...] Tous les efforts qui méritaient d’être soutenus, vous les avez découragés... Vous avez craché ignominieusement sur tout ce qui est beau... Votre bonhomie hypocrite ? Du fiel et de la haine... Votre bon sens ? Du caca !... » Et Sarcey d’avouer : « Du caca ?... C’est vrai !... J’aime ça !... Je suis une vieille canaille. J’ai exalté tout ce qu’il y a de bas dans l’esprit de l’homme. J’ai adoré l’ordure et divinisé la stupidité... Tout ce que j’ai commis d’infamies, moi seul le sais !... »

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Octave Mirbeau critique dramatique », in Théâtre naturaliste - Théâtre moderne ? Éléments d’une dramaturgie naturaliste au tournant du XIXe au XXe siècle, Presses universitaires de Valenciennes, 2001, pp. 233-245 ; Octave Mirbeau, Gens de théâtre, Flammarion, 1924.


SARDOU, victorien

SARDOU, Victorien (1831-1908), prolifique auteur dramatique devenu immensément riche grâce à ses nombreux succès. Après des débuts difficiles, il a fait représenter un grand nombre de comédies, qui manquent de vis comica, et de drames « historiques » aux ficelles éprouvées et efficaces. Il a connu ses principaux triomphes avec Les Pattes de mouches (1860), La Famille Benoîton (1865), Patrie (1869), La Haine (1874), Divorçons (1880), Fédora (1882), Théodora (1884) , La Tosca (1888), mis en musique par Puccini, et Madame Sans-Gêne (1893). Thermidor (1891), qui met en cause Robespierre et la Terreur, a été un temps interdit, au nom de la défense de la Révolution qui constitue « un bloc », selon l’expression de Clemenceau. Il a aussi fait jouer des pièces à intentions morales et sociales : Séraphine (1869), Rabagas (1872), Dorah (1877), Daniel Rochat (1880), Spiritisme (1897). Il a été élu à l’Académie Française en 1877.

Sardou incarne une conception du théâtre qui n’avait, semble-t-il, guère de chances de plaire à Mirbeau, car il en voit tous les gros sabots, les invraisemblances psychologiques et les effets fabriqués, comme cela apparaît dès son compte rendu de Ferréol, le 23 novembre 1875. Reste que des pièces bien dialoguées et ficelées, avec un indubitable savoir-faire, peuvent plaire même à un public qui cherche au théâtre un peu plus qu’un simple divertissement, pour peu qu’on y trouve quelques personnages fortement charpentés qui donnent une impression de vie. Sans doute est-ce le cas de Mirbeau, quand il rédige le dithyrambique qu’il consacre à Théodora le 29 décembre 1884 dans Le Gaulois : il qualifie ce drame de « véritable et pur chef-d’œuvre », car le « génie » du dramaturge « sait nous faire respirer, en même temps que les plus délicieux parfums de l’art idéal, des odeurs effrayantes d’humanité » ; quant aux personnages, ils « vivent, avec leur cerveau, leur chair et leur âme. Ces compliments paraissent aujourd’hui quelque peu excessifs, mais le but de l’article étant de dénoncer les méfaits de la critique, responsable de « l’infériorité si constatée du théâtre », il est probable que l’outrance des compliments sert à mieux faire ressortir le danger de ces incompétents et ignorants notoires que sont les critiques dramatiques, incapables de « discerner un ouvrage remarquable ». Dans un article de la même époque, « L’Indiscrétion » (Le Gaulois, 5 décembre 1884), Mirbeau exprime son admiration pour la vie discrète et retirée de Sardou, qui ne compte que sur son talent pour se faire reconnaître, loin de la réclame dont abuse Alexandre Dumas fils (« L’Indiscrétion », Le Gaulois, 5 décembre 1884). Mais là encore, Mirbeau n’encense Sardou que pour mieux dégommer Dumas. Reste qu’un an plus tard il lui  dédie une de ses Lettres de ma chaumière, « Le Tripot aux champs », ce qui constitue un signe de considération. Par la suite son admiration a visiblement décliné et, en 1897, sous le masque de Jean Salt, il se moque du spiritisme commercial d’un dramaturge dépourvu d’âme, dans une fantaisie intitulée « Spirisardonisme ».

Sardou a eu le mérite d’être dreyfusard, dans une Académie massivement anti-dreyfusarde. Au cours de la bataille du Foyer, en 1908, consulté par le ministre de l’Instruction Publique, il a pris parti pour Mirbeau et Thadée Natanson contre Jules Claretie et la Comédie-Française au nom du respect du contrat passé entre le théâtre et les auteurs.

P. M.


SATIE, érik

SATIE, Érik (1866-1926), compositeur et ésotériste français, dont l’œuvre la plus mondialement célèbre est les Gymnopédies pour piano.  Après avoir fréquenté le Chat Noir, il entre, en 1891, dans l’Ordre kabbalistique de la Rose-Croix, fondé par Péladan, et en devient le maître de chapelle. Mais il rompt avec le « sâr » et fonde sa propre église, l’Église métropolitaine de l’art de Jésus Conducteur, dont il est le seul fidèle, ce qui lui permet de se décerner les plus hautes et incongrues fonctions (Parcier, maître de chapelle et Épée bouillante). Il est connu pour ses multiples excentricités et pour son humour provocateur, qui contraste avec l’apparent sérieux de ses débuts.

Mirbeau a tourné en dérision Ésotérik Satie, comme on le surnommait, dans une cocasserie signée Jean Salt, « Mage » (Le Journal, 18 mai 1896), puis dans un passage de la troisième livraison de « La Livrée de Nessus »  : « Nous gravîmes Montmartre pour aller chez un drôle de type, un nommé Érik Satie, où l’on avait dit à mon maître  qu’il y avait d’étonnants éteignoirs khaldéens, faits d’un métal inconnu et ornés d’inscriptions magiques. C’était de la blague. Il se trouva que ces éteignoirs n’étaient autres que les boutons de porte de l’ancien appartement d’un nommé Joséphin Péladan » (Le Journal, 30 mai 1897). Cette « blague » a valu à Mirbeau d’être maudit et excommunié pour impiété caractérisée par le Parcier de l’Église métropolitaine de l’art de Jésus Conducteur, qui lui adresse, le 2 juin 1897, une missive ahurissante, où  il lui ordonne de « commencer dans le moment même les lamentations des pénitences qui seules peuvent impétrer la complète rémission de [ses] fautes ».

Le 10 août 1897, Érik Satie adresse à Mirbeau une nouvelle missive stupéfiante, mais d’absolution cette fois, où il « le couvre de baisers » et luis « remet [ses] injures », « en égard aux chrétiennes réjouissances célébrées dans la catholicité à l’occasion de l’Enlèvement miraculeux de la Vierge », mais après l’avoir dûment « écrasé d’un seul coup, sans effort, sans [le] regarder ».

P. M.

 


SCHOPENHAUER, arthur

SCHOPENHAUER, Arthur (1788-1860), célèbre philosophe allemand, idéaliste, athée et radicalement pessimiste, auteur de Le Monde comme volonté et comme représentation (1819). Ses Pensées et fragments, traduits en français par Burdeau en 1880, ont vulgarisé sa pensée et lui ont permis d’exercer une influence considérable sur la littérature fin-de-siècle, alors que, de son vivant, il était très largement ignoré.

Comme tous les écrivains de sa génération, Mirbeau a été fortement influencé par le pessimisme de Schopenhauer. Il lui doit tout d’abord sa conception subjectiviste du monde, qui n’a pas d’existence autre que la perception ou représentation qu’on en a, et, par voie de conséquence,  de l’œuvre d’art, qui ne peut être qu’une représentation totalement subjective de ce que l’artiste ressent, et non la simple copie d’une réalité extérieure. Ainsi écrit-il au chapitre V de La 628-E8 (1907) : « Tous les êtres et toutes les choses n'ont pas d'autre vieillesse que la nôtre... Ils n'ont pas, non plus, d'autre mort que la nôtre, puisque, quand nous mourons, c'est toute l'humanité, et c'est tout l'univers qui disparaissent et meurent avec nous. » Dès l’entrée en matière, il semait le doute chez le lecteur en écrivant qu’il n’était pas en état d’affirmer l’existence objective des événements rapportés dans son récit ou journal de voyage : « Est-ce bien un journal ? Est-ce même un voyage ? [...] Il y a des moments où, le plus sérieusement du monde, je me demande quelle est, en tout ceci, la part du rêve, et quelle, la part de la réalité. Je n'en sais rien. » Il s’ensuit que l’œuvre d’art, qui doit exprimer « toute la vie », ne peut être aussi qu’éminemment subjective : « Il ne suffit pas que la vie soit racontée dans un livre pour qu’elle devienne de la littérature. Il faut encore que cette vie ait été pressurée, minimisée, falsifiée, dans tous les alambics où l’écrivain la fait passer : son imagination, sa philosophie, son esthétique », confie-t-il à Albert Adès à la fin de sa vie. Et, trente ans plus tôt : « En art, l’exactitude est la déformation et la vérité est le mensonge. Il n’y a rien là d’absolument vrai, ou plutôt il existe autant de vérités humaines que d’individus » (« Le Rêve », Le Gaulois, 3 novembre 1884).

L’empreinte de Schopenhauer est également perceptible dans le pessimisme métaphysique de Mirbeau, face à l’universelle souffrance, au sein d’un univers privé de sens, et dans son aspiration, faute de pouvoir trouver un bonheur stable et des plaisirs qui ne soient des illusions, à l’extinction du vouloir-vivre, au nirvana et à la dissolution dans le Grand Tout – il est symptomatique à cet égard que Mirbeau ait signé ses Lettres de l’Inde de 1885 du pseudonyme de Nirvana. Mais elle est aussi notable dans sa vision très noire de la nature humaine, dominée par des instincts qui la rapprochent des animaux, où le sexe et le meurtre ont partie liée et contre lesquels la raison de l’homme se révèle impuissante ; dans sa conception de l’amour comme dépossession, aveuglement, illusion et souffrance ; et dans l’idée que la contemplation de l’œuvre d’art constitue un moyen d’échapper, fût-ce provisoirement, à la Volonté qui anime indistinctement tout ce qui vit. Il n’est pas jusqu’à la gynécophobie du romancier français qui ne témoigne de la marque du philosophe allemand.

Néanmoins il existe entre eux une grosse différence : le pessimisme de Schopenhauer le conduit au détachement et à l’inaction, alors que Mirbeau est un perpétuel révolté, qui incarne l’intellectuel engagé, parce que, même lucide et désespéré, il ne cesse de se battre, dans le très vague espoir de changer l’homme et la société.

Voir aussi Pessimisme, Meurtre, Sexe, Amour et Gynécophobie.

P. M.

 

Bibliographie : Anne Briaud, « L’Influence de Schopenhauer dans la pensée mirbellienne », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 219-227.

 

 

 


SCHWOB, marcel

SCHWOB, Marcel (1867-1905), écrivain, traducteur et linguiste. Malgré une courte carrière littéraire, il a suscité l’admiration de ses contemporains (Mallarmé, E. de Goncourt, Anatole France) et inspiré des auteurs comme Breton, Artaud, Leiris, Mac Orlan, et surtout Borges. Son audience et son influence sont importantes à l’étranger, notamment en Italie (Wilcock, Tabucchi) et dans le monde hispanique (Bolaño, Arreola) où il est considéré comme un maître du récit bref. Il est l’auteur de contes symbolistes, d’histoires fantastiques (Cœur double, 1891 ; Le Roi au masque d’or, 1892), de poèmes en prose (Mimes, 1893) et d’une satire du journalisme (Mœurs des diurnales, 1903). Il a écrit une des œuvres majeures du symbolisme (Le Livre de Monelle, 1894) et n’a cessé d’élaborer de nouvelles formes littéraires, récit polyphonique (La Croisade des enfants, 1896) et biographies fictionnelles (Vies imaginaires, 1896) considérées désormais comme un jalon essentiel de l’histoire du genre. À côté d’une œuvre polymorphe et originale, ses traductions font toujours autorité : Defoe (Moll Flanders, 1895), De Quincey (Les Derniers jours d’Emmanuel Kant, 1899) et Shakespeare (La Tragique histoire d’Hamlet, 1900). Polyglotte, il fascine ses contemporains par son érudition et sa connaissance de la littérature anglaise. Il est le seul correspondant français de Stevenson, dont il cherche le tombeau lors d’un voyage dans le Pacifique (Vers Samoa, 2002). Il se passionne pour les bandes de malfaiteurs du passé et les criminels de son temps et, en disciple de Saussure et de Bréal, il laisse des essais sur l’argot et sur Villon qui font date (Étude sur l’argot français, 1889 ; Spicilège, 1896). Ses chroniques dans Le Phare de la Loire, journal nantais dirigé par son père puis son frère, montrent un esprit républicain épris de liberté, de laïcité, de progrès social et de justice.

Comme Mirbeau, il est l’un des collaborateurs à L’Écho de Paris dont il codirige le Supplément littéraire illustré de mai 1891 à août 1893 aux côtés de Catulle Mendès. À cette époque, Mirbeau siège au jury du concours mensuel de littérature et Schwob se lie d’amitié avec lui. Il lui dédie l’un de ses rares contes ancrés dans le monde contemporain, « La Charrette » (Le Roi au masque d’or), lui envoie un des dix exemplaires hors commerce de la première édition de Mimes et lui rend plusieurs visites. Les deux hommes aiment à s’entretenir des écrivains qu’ils admirent (Shakespeare, Whitman, Ibsen et Maeterlinck), des peintres impressionnistes et de Camille Claudel. Schwob cherche à aider cette sculptrice dont il est proche, en proposant de faire acheter La Valse par l’État grâce aux relations de Mirbeau. Toujours prêt à favoriser la carrière des jeunes écrivains qu’il fréquente (Renard et Jarry lui en sont redevables), Schwob fait connaître et aimer Tête d’or et La Ville de Paul Claudel à Mirbeau. En 1903, il lui recommande aussi Le Petit ami de Léautaud afin que ce dernier obtienne le premier prix Goncourt. Mirbeau n’a pas écrit l’article sur Schwob qu’il projetait mais leur correspondance témoigne de leur belle amitié. Schwob y exprime son admiration pour les livres de son aîné (les romans autobiographiques, Le Journal d’une femme de chambre et surtout Dans le ciel). À une lettre de Mirbeau sur l’absence de nécessité de tout comprendre en art, Schwob répond en dévoilant un aspect important de son esthétique : « Je me suis décidé pour les œuvres obscures, parce qu’on peut y voir tant de choses. L’œuvre d’art a l’obscurité inconsciente du tubercule qui germe. Il n’est pas besoin de tout comprendre. Les prescriptions confuses sont aussi belles que les claires. Et rien n’est plus extraordinaire qu’un Villon, dont nous ne comprenons plus une ligne, parce qu’il est bourré d’allusions et de satires personnelles, mais où les fautes de lecture même sont admirables. » (Lettre de Schwob à Mirbeau, 23 janvier 1893).

B.F.



Bibliographie : J. A. Green, Marcel Schwob, Correspondance inédite, Genève, Droz, 1985 [des erreurs dans les dates] ; Valérie Michelet-Jacquod, « Octave Mirbeau et Marcel Schwob : autour de Dans le ciel », in Octave Mirbeau : passions et anathèmes, L. Himy-Piéri et G. Poulouin (dir.), Caen, P.U.C., 2007, p. 135-149.


SERVAIS, franz

SERVAIS, Franz (1846-1901), violoncelliste et compositeur belge. Il fut, pendant deux ans, à partir de 1889, chef d’orchestre au théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, où il dirigea notamment plusieurs opéras de Wagner. Son œuvre principale est un drame lyrique sur un poème de Leconte de Lisle, L’Apollonide, auquel il consacra quinze ans de sa vie. Crée à Karlsruhe le 27 janvier 1899, il souleva l’enthousiasme de son grand ami et mentor Ferenc Liszt, cependant que Mirbeau y vit une « œuvre parfaite et grandiose ». Mais il n’a jamais été monté à l’Opéra de Paris, Servais ayant repris son manuscrit, exaspéré par les retards. Il est mort à Asnières le 14 janvier 1901.

Nous ne savons pas à quelle époque et dans quelles circonstances Mirbeau a fait la connaissance de Franz Servais. Toujours est-il que, dans La 628-E8 (1907), il dit l’avoir « aimé » et que, au lendemain de sa mort prématurée, il lui a consacré un bel et émouvant article du Journal, où il retrace sa carrière, aux prises ave toutes les « cruautés » imaginables, et exprime son « admiration » pour l’homme et le compositeur. Il voit en Servais « un des plus considérables artistes de cette époque », totalement personnel et toujours resté fidèle à ses idées. Servais « avait toutes les forces, toutes les séductions, toutes les intelligences, toutes les bontés » et était possédé par la « folie sublime de l’artiste », prêt à tous les sacrifices, à toutes les misères et à toutes les luttes pour son œuvre. Mais il s’est heurté à l’ « ignorance » et à la « lourde stupidité » des « marchands de spectacles ». Mirbeau n’en est pas moins bien convaincu qu’un « chef-d’œuvre » tel que L’Apollonide vivra et connaîtra un triomphe.

P. M.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, « Sur Franz Servais »,  Le Journal, 27 janvier 1901.. 


SEVERINE

SÉVERINE (1855-1929), pseudonyme de Caroline Rémy, a été une journaliste et une activiste anarchisante. Épouse du Dr. Adrien Guebhard (1855-1929), elle a eu une longue liaison avec le journaliste et duelliste Georges de Labruyère, qui fut son compagnon de 1885 à 1920. D’abord secrétaire de Jules Vallès, elle a pris sa succession à la tête du Cri du peuple, de 1885 à août 1888. Elle a collaboré ensuite à L’Éclair, L’Écho de Paris, au Gaulois, au Gil Blas, au Journal, et même, un temps, à La Libre parole de Drumont, pourtant violemment antisémite. Elle y a plaidé inlassablement en faveur des humbles et des démunis et appelé à une solidarité fondée sur la pitié. Pacifiste et antimilitariste, elle a naturellement été dreyfusiste et, le 5 août 1899, c’est en compagnie de Mirbeau et de Bernard Lazare qu’elle a pris le train pour Rennes, afin d’y suivre le procès d’Alfred Dreyfus (voir la notice). Féministe, elle a animé, avec Marguerite Durand, un journal entièrement rédigé par des femmes, La Fronde. Révolutionnaire, elle a collaboré à L’Humanité, jusqu’en 1923, et adhéré un temps au tout nouveau Parti Communiste. Elle est l’auteur de Notes d’une frondeuse (1893) et de Pages mystiques (1894), dont Mirbeau a parlé élogieusement.

Séverine a été la première, dès 1885, à voir en Mirbeau, l’ancien ennemi vendu aux bonapartistes (voir la notice Bonapartisme), un compagnon de route de ceux qui, comme elle, travaillent à abattre la société bourgeoise : dans Le Cri du peuple du 29 octobre, elle reproduit, sous le titre « La parole à l’ennemi », une de ses « Chronique parisiennes » parue deux jours plus tôt dans La France. C’est là le début de convergences et de sympathies qui ne cesseront de se confirmer. Dans Le Gaulois du 12 mai 1890, Séverine consacre à son aîné un très élogieux et compréhensif article, signé Renée, à l’occasion de la publication de Sébastien Roch (Le Gaulois, 12 mai 1890). Elle y admire la générosité de l’homme, son inlassable amour des humbles et sa « phrase magique », qui lui vaudra à coup sûr « la haute fortune littéraire ». Mirbeau l’en remercie avec effusion et la considère désormais comme sa sœur d’élection. Le 9 décembre 1894, il lui  consacre à son tour une dithyrambique chronique du Journal, qui a d’autant plus de poids à ses propres yeux que sa gynécophobie (voir la notice)  s’y déploie dans toute son horreur : « Séverine aura été, peut-être, la seule femme de Lettres qui, brisant les chaînes que la nature a mises à l’esprit de la femme, se soit élevée aux sommets de l’idée générale. La femme, être de sensation nerveuse et d’inconsciente pitié, généralement enfermée dans une sorte de particularisme intellectuel et moral, trouve dans le fait particulier un élément suffisant aux besoins de son esprit, un champ assez vaste aux expansions de son cœur. [...] Séverine s’attarde souvent aux faits particuliers : elle s’y complaît, s’y attendrit, s’y passionne. Or, c’est pour prendre son vol, vers les hautes questions de la vie, pour planer au-dessus des incidences négligeables, dans le grand frisson de l’univers. C’est cette faculté, unique et virile, qui rend son talent si puissant, quelquefois si âpre, en beaux accents de révoltes, contre la malfaisance des institutions et les tyrannies des sociétés capitalistes, négatrices de beauté, tueuses d’idéal. Et cette puissance, qui a retenti, à toutes les heures de tristesses et de douleurs de notre époque, garde toujours, par un prodige, le charme émouvant et le rayonnement de l’amour de la femme. »

Le seul désaccord entre les deux amis est apparu fin 1895, à l’occasion du service militaire du « petit sucrier » Max Lebaudy : alors que Séverine dénonce les passe-droit dont bénéficierait ce millionnaire fêtard entouré de parasites, parmi lesquels Saint-Cère (voir la notice), Mirbeau le dépouille de son appartenance de classe, comme il le fera d’Alfred Dreyfus, pour ne plus voir en lui que la victime de la féroce incurie des médecins militaires, qui ont fini par le tuer (voir Pitié militaire », Le Journal, 29 décembre 1895).

P. M.


SIGNAC, paul

SIGNAC, Paul (1863-1935), peintre néo-impressionniste français. Il s’est formé tout seul, puis est devenu l’ami de Georges Seurat, dont il a subi durablement l’influence. Il s’est en effet fait le promoteur du divisionnisme, ou pointillisme, préconisé par Seurat, au point d’avoir tendance à considérer, comme le lui reproche Camille Pissarro, que « tout l’art est dans la théorie scientifique ». Il est l’auteur d’un grand nombre de paysages, dont beaucoup de marines et de vues de ports (Les Andelys, 1886, Collioure, 1887, Cassis, 1889, Saint-Tropez, 1895, Les Calanques, 1906). Il a exposé en 1891 un Portrait de Félix Fénéon qui n’a pas été compris. Signac a été un artiste engagé : il était anarchisant et a fait partie des plus ardents dreyfusards.

En dépit de leurs fraternité idéologique et de leurs convergences politiques, Mirbeau a été sévère pour Signac en tant que peintre : il trouvait sa peinture trop sèche, trop immobile et trop dépourvue de personnalité. Dans son compte rendu de l’exposition des néo-impressionnistes (L’Écho de Paris, 23 janvier 1894), il affirme ne pouvoir « [se] faire à sa peinture » et, sans méconnaître « ses qualités », qu’il se garde de préciser, et qui, selon lui, « disparaissent sous l’amoncellement de ses défauts », il lui reproche d’être un « adepte trop complaisant et trop littéral » de Seurat, d’être trop sec, de faire « la nature immobile et figée » et d’ignorer « le mouvement, la vie, l’âme qui est dans les choses ». Ce sont là des reproches à coup sûr rédhibitoires à ses yeux, étant donné ses critères esthétiques habituels. Le peintre a été ulcéré d’une critique aussi sévère, qu’il juge « injuste » et « trop de parti pris contre un artiste convaincu et sincère », dont « dix ans de travail acharné et désintéressé méritaient mieux », comme il l’écrit au compagnon Pissarro, en lui demandant d’intervenir auprès du critique. Sur le refus du patriarche d’Éragny, qui est en fait d’accord avec les jugements de son ami, Signac expédie directement à Mirbeau une lettre de protestation  écrite ab irato, mais qui témoigne de son embarras : il lui faut bien réagir à une critique par trop brutale, manifester, sinon son indignation, du moins son sentiment d’une profonde injustice et, pour cela, fournir des justifications allant à l’encontre du jugement du critique ; mais, de l’autre, Mirbeau étant une puissance avec laquelle il lui faut bien compter, il convient de le ménager à toutes fins utiles, d’où son extrême prudence dans l’expression de ses désaccords. Ne souhaitant pas polémiquer, il préfère mettre l’accent sur ce que l’écrivain attend de lui et le croit capable de faire plutôt que sur les critiques acerbes de son manque de personnalité artistique et de son incapacité à traduire la vie en peinture. De même, il cherche à souligner son appartenance à un groupe ayant le même intérêt, et dont on ne saurait donc dissocier les membres et, surtout, à mettre en lumière la totale autonomie de sa recherche par rapport à Seurat, en distinguant soigneusement ce qui relève d’une technique commune et ce qui est propre à la personnalité de chaque peintre. Enfin, il insiste sur son refus de toutes les coteries, « en-dehors » desquelles il a vécu et poursuivi son travail.

Cette lettre ne semble pas avoir convaincu Mirbeau, qui ne daignera plus signaler le nom de Signac. Mais, chose curieuse, il n’en avait pas moins deux œuvres de lui dans sa collection, dispersée en 1919 : deux petites aquarelles représentant Rotterdam et Chioggia.

P. M.

 

Bibliographie : Christian Limousin et Pierre Michel, « Octave Mirbeau et Paul Signac », Cahiers Octave Mirbeau, n° 16, 2009,  pp. 202-210.

 

 


SIMON, jules

SIMON, Jules (1814-1896), pseudonyme de Simon Suisse, politicien républicain. Ancien normalien, agrégé de philosophie, il a été député sous la deuxième République, puis de nouveau en 1863 et 1869 et a siégé dans l’opposition à l’Empire. Ministre de l’Instruction publique après le 4 septembre 1870, puis sous Thiers, il a été élu sénateur inamovible en 1875. Il représente alors le courant « centre gauche », c'est-à-dire les républicains conservateurs tournés en dérision par Mirbeau dans L’Ordre de Paris parce qu’ils sont toujours prêts à toutes les alliances pour préserver l’ordre social et manger à tous les râteliers. Il a été choisi par Mac-Mahon, comme président du Conseil, en décembre 1876, mais a été révoqué par le maréchal le 17 mai 1877, pour n'avoir pas empêché le vote, par la Chambre des Députés, de l'abrogation de certaines peines punissant des délits de presse. Il a été élu à l’Académie Française en 1875 et a publié divers ouvrages d’histoire et de morale. Il s’est aussi beaucoup occupé d’entreprises prétendument charitables.

Mirbeau s'est souvent moqué de Jules Simon, qu’il qualifiait déjà, dans L'Ariégeois, de « larmoyeur sentimental ». Son « indécrottable philanthropie » n’est à ses yeux qu’un trompe-l’œil, quand ce n’est pas carrément une forme d’exploitation de la misère humaine. « Archétype du philanthrope » et « bienfaiteur professionnel », il se prend volontiers pour le Bon Dieu. Pour Mirbeau,  « ce n’est plus un homme, c’est une institution à lui tout seul, un corps constitué ». À en croire des sources bien informées, il aurait en effet, « fondé, protégé, présidé, durant sa larmoyante existence, plus de trois mille œuvres de bienfaisance et insti­tutions charitables, pour ainsi parler... Trois mille ! N’est-ce point à faire frémir ? » (« Dépopulation (III) », Le Journal, 2 décembre 1900). Car Simon n’est pas seulement coupable de publicité éhontée pour ses pseudo-bonnes œuvres, « qui ne profitent qu’à ceux qui les fondent » (« Les Petits martyrs » L'Écho de Paris, 3 mai 1892), et il ne contribue pas seulement à endormir les misérables par ses doucereuses paroles. Mais il utilise la philanthropie à des fins plus que suspectes : au lieu de s’attaquer aux causes du mal social et de s’occuper des véritables victimes que sont les enfants miséreux et violentés,  il se sert de moyens bien tortueux pour alimenter ses prétendues caisses « de sauvetage » qui ne servent en fait, qu’aux « enfants de ses fournisseurs, avec les deniers chèrement gagnés par les gueux » (« Encore M. Jules Simon », L'Écho de Paris, 10 mai 1892).   .

Voir aussi Philanthropie.

P. M.

 


SISLEY, alfred

SISLEY, Alfred (1839-1899), peintre impressionniste de l’école française, mais d’ascendance et de nationalité anglaises. Il était très lié à Claude Monet et, par la suite, à Gustave Geffroy. Il a peint presque exclusivement des paysages, avec une prédilection pour la Seine, le Loing, les environs de Louveciennes et de Moret, où il s’était installé et où il est décédé, et aussi pour les scènes d’inondations : Village de Voisins (1874), La Seine à Port-Marly (1875), L’Inondation à Port-Marly (1876), La Seine à Bougival (1876), Le Repos au bord d’un ruisseau (1878), Les Berges de l’Oise (1878), Allée de peupliers (1890), Église de Moret, etc.. Il n’a guère connu de succès pendant sa vie, en dépit d’une grande exposition rétrospective chez Durand-Ruel en 1896, mais ses toiles ont vu leur prix monter brusquement au lendemain de sa mort (L’Inondation à Port-Marly est vendu 43 000 francs en mars 1900, et Mirbeau en éprouve alors « une sorte de colère », comme il l’écrit à Monet, jugeant le prix disproportionné).

Mirbeau n’a jamais manifesté beaucoup d’enthousiasme pour les toiles de Sisley et il ne lui a consacré aucun article. Certes, en 1880, sous pseudonyme, il le loue, ainsi que Monet, pour s'être « retiré de la bande » d'« aimables barbouilleurs » qui exploitent d'une façon « ridicule et maladroite un principe juste mis en honneur par M. Manet » (« Les Impressionnistes », 2 avril 1880) ;  dans son « Salon » de 1885, il est encore élogieux pour sa sûreté de style, sa haute éloquence et sa tendresse (« Le Salon VII », La France du 29 mai 1885) ; et, en 1887, il signale au passage ses « beaux et lumineux paysages » (Gil Blas, 14 mai 1887). Mais il est devenu beaucoup plus critique par la suite. Le 25 mai 1892, dans Le Figaro, s’il rappelle son « élégance » de jadis, sa « grâce innée » et sa « vision distinguée des choses », c’est pour mieux leur opposer ses dernières toiles, qui n’en « sont plus qu’un écho lointain, affaibli », sous l’effet probable de la « lassitude » et du « découragement », qui ont entraîné un relâchement du dessin et un amollissement du pinceau. Cela lui vaut en retour une verte réplique de Sisley, qui, irrité par ces « quelques lignes malveillantes », accuse Mirbeau d’être de mauvaise foi, d’avoir eu de toute évidence « l’intention de nuire » et de s’être « fait le champion d’une coterie qui serait bien aise de [le] voir à terre ». Mais, ajoute-t-il, « elle n’aura pas ce plaisir, et vous en serez pour votre critique injuste et perfide » (lettre du 1er juin 1892, citée par René Huyghe dans Formes de novembre 1931, p. 153).

P. M.

 

 


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