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Terme
MONET ET GIVERNY

Plaquette de 29 pages, publiée en 1995 par les Nouvelles Éditions Séguier, dans collection Carré d’art. Elle comporte, sans introduction ni notes, le texte de deux articles de Mirbeau sur Monet extraits des Combats esthétiques, parus deux ans plus tôt chez le même éditeur. Le premier texte, « Claude Monet », a paru le 7 mars 1891, dans la revue de Durand-Ruel, L’Art dans les deux mondes ; le second, également intitulé « Claude Monet », a paru dans Le Figaro, le 10 mars 1889.

 


NOCES PARISIENNES

Il s’agit d’un recueil de nouvelles paru en 1883, chez Ollendorff, sous le pseudonyme d’Alain Bauquenne, alias André Bertéra, et republié en 1995 chez Nizet dans le même volume qu’Amours cocasses. Il comporte deux dialogues, « Le vote du budget » et « Vengeance corse », et huit contes : « Le Caniche », « Nuit de noces », « Parents pauvres », « Une première », « La Jarretière rose », « Cadeaux de mariage », « L’Étincelle » et « Noces d’argent (Extraits des mémoires d’un beau-père) ». Leur thème unificateur en est le mariage dans des milieux parisiens huppés, ce qui autorise, d’une part, de nombreux sous-entendus égrillards établissant une forme de complicité avec le lecteur, par exemple dans un dialogue entre deux fiancés, l’un « très avancé pour son âge » et l’autre « pas très avancée pour son âge » (« Le Vote du budget »), ou dans un conte tel que « Nuit de noces », où la cocasserie confine au scatologique, et, d’autre part, une satire légère des mœurs en usage dans le monde, et notamment de l’esprit de caste qui y règne et du conformisme obligé pour être « genreux ».

Comme les nouvelles composant Amours cocasses, ce sont là des textes délibérément légers, qui ne font guère qu’égratigner la bonne conscience bourgeoise. Le happy end est la règle et, quelles soient les dissensions au sein des couples et des familles, rien n’est tragique et les problèmes  doivent être pris avec distance et bonne humeur, en attendant que tout s’arrange, à la faveur de coups de pouce donnés par un conteur qui ne se prend pas au sérieux. Le ton est volontairement distancié et le langage, qui dénote un grand sens de l’observation et un goût de l’effet cocasse, charrie force mots déformés, néologismes plaisants, termes argotiques et trouvailles lexicales qui ne peuvent que faire sourire le lecteur.

Il n’est pas sûr pour autant que les dix textes soient aussi anodins qu’il y paraît au premier abord. Outre les piques lancées occasionnellement contre le revanchisme de Juliette Adam, l’effet soporifique de La Revue des deux mondes ou les peintres académiques à la réputation usurpée, le lecteur sans préjugés est en droit de s’interroger sur la vacuité et l’absurdité de ces existences de nantis, qui, tout bien considéré, ne sont que des parasites. Quant aux institutions, elles n’en sortent certes pas grandies : l’armée n’est qu’un lieu de servage et de dressage, la République n’est qu’une forme de gangstérisme légalisé, et le mariage monogamique n’est qu’un vulgaire maquignonnage, d’où le sentiment est exclu et où la jalousie conjugale n’exprime guère que l’avarice d’un propriétaire qui met sa femme sous clef et la paye comme une fille publique. Reste que la complicité de la majorité des lecteurs de l’époque avec cet état de choses qui devrait les interpeller les empêche probablement de sentir la portée potentiellement subversive du tableau de leur ordre social qui leur est donné à voir.

 P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, préface de Noces parisiennes, Libraire Nizet, 1995, pp. 161-163 ; Arnaud Vareille, « Amours cocasses et Noces parisiennes : la légèreté est-elle soluble dans l’amour ? », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 34-52.   


NOTES SUR L'ART

C’est sous ce titre générique, empreint de modestie, que Mirbeau a publié, dans La France, une série de seize chroniques artistiques, entre le 3 octobre 1884 (« Une collection particulière ») et le 22 septembre 1885 (« Caricature »). Onze de ces « Notes sur l’art » ont été recueillies en 1990, en un petit volume de 83 pages, qui a paru à Caen, aux éditions de L’Échoppe. 

Ce sont les premières critiques d’art que Mirbeau ait fait paraître sous son propre nom et elles correspondent à son entrée en lice officielle dans les grands combats esthétiques, qu’il va poursuivre pendant trois décennies. À l’automne 1884, en effet, après les sept mois passés à Audierne à se ressourcer, il a repris sa place dans la presse parisienne avec la ferme intention de mettre désormais sa plume au service de ses idéaux éthiques et esthétiques. En matière d’art, il va devenir le plus illustre représentant du système dit « marchand-critique », où le rôle du critique, médiateur et intercesseur entre les artistes et le public, est complémentaire de celui du marchand : il s’agit de promouvoir les artistes novateurs et de leur permettre de vivre en vendant leurs toiles à des amateurs éclairés par les articles du critique, qui tâche à leur ouvrir les yeux et à voir par eux-mêmes, et non à travers les verres déformants de leur éducation, de la « routine » et de la tradition. Aussi Mirbeau demande-t-il au célèbre galeriste Paul Durand-Ruel de lui présenter les peintres dits « impressionnistes », afin de mieux se pénétrer de leur art et de mieux pouvoir les servir. Si le libertaire Pissarro est encore méfiant et refuse alors de le rencontrer, il n’en va pas de même de Degas , de Renoir et surtout de Claude Monet, qui sera son plus fidèle ami et dont Mirbeau va rapidement devenir le chantre attitré : « Ce sont ces hommes, peu nombreux, chez qui plus tard il faudra chercher le génie de la peinture contemporaine, ces hommes dont on ne rit plus, peut-être, qu’on n’admire pas encore, mais dont le triomphe est encore loin, que je veux essayer de définir. Je veux tenter de démontrer que ce sont réellement les seuls qui forment les anneaux de la grande chaîne qui relie l’art d’aujourd’hui à l’art d’autrefois », écrit-il programmatiquement le 31 octobre 1884, à la fin de son article intitulé « Le Pillage ». À ce « triomphe » qu’il pronostique, nul n’aura plus contribué que Mirbeau lui-même.

« L’art d’autrefois » est représenté, dans les Notes sur l’art, par Watteau (« À propos d’Antoine Watteau ») et par Eugène Delacroix, auquel Mirbeau consacre deux articles (le 4 et le 14 mars 1885). Quant à « l’art d’aujourd’hui », il comprend aussi des peintres qui ne se rattachent pas à l’impressionnisme, tels que Puvis de Chavannes, que l’on soupçonnerait plutôt d’académisme ou de symbolisme, mais que Mirbeau et les impressionnistes admirent, ou Bastien-Lepage, qui se rattache plutôt au courant naturaliste et pour qui Mirbeau n’a que de l’estime.  Le volume est complété par « Le Pillage », « La Protection de l’art français » et « L’Exposition du cercle Volmey ». Tous ces articles ont été insérés dans le tome I des Combats esthétiques.

Voir aussi la notice des Combats esthétiques.

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel et Jean-François Nivet, « Mirbeau critique d’art », préface des Notes sur l’art, L’Échoppe, pp. 7-15. Voir aussi la bibliographie des Combats esthétiques.


OEUVRE ROMANESQUE

C’est sous ce titre qu’ont paru, en 2000-2001, chez Buchet/Chastel, en co-édition avec la Société Octave Mirbeau, les trois gros volumes de mon édition critique des romans de Mirbeau. Elle comprend, en 4 000 pages environ (16,2 x 24,4 cm), les dix romans signés Mirbeau (Le Calvaire, L’Abbé Jules, Sébastien Roch, Dans le ciel, Le Jardin des supplices, Le Journal d’une femme de chambre, Les 21 jours d’un neurasthénique, La 628-E8, Dingo et Un gentilhomme) et, en annexe de chaque volume, une sélection de cinq romans écrits comme “nègre”, tous publiés initialement chez Ollendorff. Trois d’entre eux sont signés Alain Bauquenne : L’Écuyère (1882), La Maréchale (1883) et La Belle Madame Le Vassart (1884). Deux sont signés Forsan, pseudonyme de l’écrivaine italienne Dora Melegari : Dans la vieille rue (1885) et La Duchesse Ghislaine (1886). S’ils ont été répartis en annexe des trois volumes, et non insérés à leur place chronologique, c’est parce que, n’étant pas signés Mirbeau, et ayant été rédigés dans des conditions que nous ignorons, ils ne sauraient bien évidemment être mis sur le même plan que les œuvres avouées et reconnues.

L’appareil critique, d’environ 800 pages, comprend : deux préfaces, l’une de Roland Dorgelès, « Une étrange machine à transformer le réel » (t. I, pp. 11-27), l’autre de François Nourissier (t. I, pp. 7-10), qui ont été tous les deux présidents de l’Académie Goncourt ; une introduction  générale, « Octave Mirbeau romancier » (tome I, pp. 29-78) ; quinze introductions à chacun des romans ; une bibliographie générale et une bibliographie pour chaque roman ; et de très abondantes notes (d’explications, de commentaires et de variantes).

Voir les notices Négritude, Roman, L’Écuyère, La Maréchale, La Belle Madame Le Vassart, Dans la vieille rue, La Duchesse GhislaineLe Calvaire, L’Abbé Jules, Sébastien Roch, Dans le ciel, Le Jardin des supplices, Le Journal d’une femme de chambre, Les 21 jours d’un neurasthénique, La 628-E8, Dingo et Un gentilhomme

P. M.

 

Bibliographie : Claude Herzfeld,  Octave  Mirbeau – Aspects de la vie et de l’œuvre, L’Harmattan, 2008, pp. 93-230 ; Samuel Lair, Mirbeau et le mythe de la nature, Presses Universitaires de Rennes, 2004, 361 pages ; Christopher Lloyd, Mirbeau's fictions, Université de Durham, 116 pages, 1996 ; Pierre Michel, Octave Mirbeau et le roman, Société Octave Mirbeau, 2005, 275 pages ; Anita Staron, L’Art romanesque d’Octave Mirbeau. Thèmes et techniques, thèse dactylographiée, université de  Lódz, juin 2003, 317 pages ; Robert Ziegler, The Nothing Machine : the fiction of Octave Mirbeau, Amsterdam – New York, Rodopi, 2007, 250 pages.

 

 

 

 

 

 

 

 


PARIS DESHABILLE

Publié en 1991 aux éditions de l’Échoppe, à Caen, Paris déshabillé (70 pages) est un recueil d'une série de sept articles d'ethnologie parisienne parus, sous ce titre générique, du 12 juin au 29 octobre 1880, dans les colonnes du Gaulois, et jusqu’alors inédits en volume : « Tous anémiques », « Les Nerveux » , « Miss Zaeo », « Maison neuve », « Le Bon Docteur »,  « Le Petit père Constantin » et « À propos de la morphine ».

Ces articles se situent dans le droit fil de la série quasiment quotidienne de « La Journée parisienne », signée du pseudonyme collectif Tout-Paris, ce qui fait que les nombreuses chroniques de Mirbeau, qui en avait la charge, ne sont pas toutes identifiables avec certitude. On y trouvait un peu de tout, des considérations politiques ou littéraires aussi bien que des fantaisies ou des contes, mais la majorité de ces brefs articles était destinée à révéler au lectorat mondain du Gaulois des aspects ou des quartiers de Paris qui lui étaient généralement inconnus. Le titre quelque peu aguicheur choisi par Mirbeau pour la série qu’il signe de son nom souligne le côté révélation qu’il entend développer : il s’agit déjà pour lui de nous dévoiler des aspects de la vie moderne auxquels nous ne sommes pas forcément ouverts, de nous faire découvrir ce qu’il y a derrière l’apparence superficielle des êtres et des choses, et, pour ce faire, de recourir à des anecdotes exemplaires, qui en disent souvent plus long que bien des livres sur la réalité de la vie : le destin de quelques personnes bien choisies et représentatives d’une pratique, d’une mode ou d’une classe permet de passer du particulier au général et de mieux saisir les grandes tendances d’une époque .

En l’occurrence, dans « Miss Zaeo », il nous introduit dans les coulisses du cirque, nous apprenant au passage que les belles écuyères et gymnastes,  si recherchées sur le marché du sexe, sont en réalité fort chastes, ce qui les place dans une situation difficile (thème que Mirbeau développera deux ans plus tard dans L’Écuyère, roman paru sous pseudonyme) ; dans « Maison neuve », il nous fait visiter les appartements intimes de l’hôtel particulier, sis rue Barbet de Jouy , que vient d’aménager la millionnaire et fantasque marquise Arconati Visconti, fille du sénateur républicain Alphonse Peyrat ; dans « Le Petit père Constantin », c‘est dans les coulisses de la Bourse qu’il nous fait pénétrer par le truchement d’un boursicoteur au flair exceptionnel et au destin des plus curieux ; dans « Le Bon Docteur », on découvre le secret de ce médecin d’ascendance anglaise, Campbell, fort recherché des femmes du monde, mais qui était passé en réalité sous la férule de sa bonne, Victorine. Enfin, dans « Tous anémiques », « Les Nerveux » et « À propos de la morphine » , Mirbeau recense quelques-uns des symptômes de la décadence d'une société névrosée, qui s’anémie faute de goût pour la vie, ou qui vit sur les nerfs et s’épuise prématurément, ou qui, pour tenir, doit de plus en plus recourir aux « paradis artificiels », et au premier chef à la morphine, « dernier cri » et « mode du jour », qui est en fait le fruit de la « maladie incurable du siècle » : la perte de toutes les illusions et la surenchère dans la quête effrénée et mortifère du plaisir.

Voir aussi les notices Plaisir, Enfer, Suicide, Cirque et Complexe d’Asmodée.

P. M.


Bibliographie : Jean-François Nivet et Pierre Michel, préface de Paris déshabillé, L’Échoppe, 1991, pp. 7-12.


PARIS-MIDI PARIS-MINUIT

Paris-Midi Paris-Minuit est un journal bi-quotidien d’informations rapides et de grand format, qui a vécu du 15 janvier 1883 au 18 avril 1883, soit 136 numéros de quatre pages en à peine plus de trois mois. Il y avait deux éditions, l’une vers midi et l’autre en fin de soirée, d’où le titre. Il était vendu à la criée, sur les boulevards et dans le centre de Paris. Mirbeau en était le rédacteur en chef et quasiment le seul rédacteur.

Il y a signé l’avis « À nos lecteurs » du premier numéro, le seul texte qui ne soit pas resté anonyme. Il y témoigne de la prise de conscience de la mondialisation de l’information et de la vitesse de sa transmission. Mais ce qui déconcerte, de la part d’un écrivain engagé et amateur de beau style, c’est le choix de l’information brute, sans ces commentaires oiseux qu’il qualifie de « tartines » : à la presse de l’époque, qui se prétend « littéraire », il oppose la priorité de la nouvelle toute chaude, au fil de l’actualité. L’ennui est que, du coup, il risque de ne pas être en mesure, faute de distance et de possibilité de procéder à des analyses plus approfondies, de parvenir à démasquer les coquins comme il le souhaite. Il s’y emploiera tout autrement dans Les Grimaces, dont le premier numéro paraîtra le 21 juillet 1883.

Parmi les brefs articles anonymes, signalons un articulet qui dénonce et renvoie dos à dos les deux visages de l’antisémitisme contemporain, celui de la droite catholique et celui de l’extrême gauche anti-capitaliste (31 janvier 1883) ; le compte rendu d’une pièce de Jules Claretie, Monsieur le Ministre, qui a été « un four » (3 février 1883) ;  un bref article dénonçant les diktats des comédiens, à l’occasion de la lecture d’une pièce de Jean Aicard (7 février 1883) ; l’élogieux compte rendu du Nouveau monde, de Villiers de l’Isle-Adam (20 février 1883) ; celui de l’opéra de Saint-Saëns Henri VIII (« Coulisses », 6 mars 1883) ; une notule sur Les Ridicules du temps, de Barbey d’Aurevilly (« Librairie », 6 mars 1883) ; et la recension d’un ouvrage intitulé La Race sémitique, où Mirbeau  loue l’auteur, Théodore Vibert, pour avoir rendu « un grand service à la démocratie » en restituant « aux enfants de Sem la place qui leur appartient légitimement dans l’histoire » (31 mars 1883).

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Paris-Midi Paris-Minuit », Cahiers Octave Mirbeau, n° 5, mai 1998, pp. 206-222.

 

 

 


PAUL GAUGUIN

Il s’agit d’une plaquette de 46 pages, petit format, parue à La Rochelle, à la Rumeur des Âges, en octobre 2003. Publiée à l’occasion d’une exposition Gauguin à Paris, elle comporte, sans présentation ni notes, les trois articles de Mirbeau sur Paul Gauguin : les deux de février 1891, intitulés « Paul Gauguin » et parus dans Le Figaro et L’Écho de Paris, et celui du 14 novembre 1893 dans L’Écho de Paris, « Retour de Tahiti » (ils ont été recueillis dans les Combats esthétiques).

Voir la notice Gauguin.

 


PETIT ABECEDAIRE DE L'INSOLENCE

C’est sous ce titre que Jean-François Nivet a fait paraître, en 1996, chez Séguier, dans la collection « Carré d'humeur », n° 21, un petit volume de 61 pages, qui constitue un recueil d’une  centaine de citations de Mirbeau. Elles sont classées par entrées (Académie, Auteurs, Comédie-Française, Critiques littéraires, etc.), en suivant l’ordre alphabétique.

Il est évidemment intéressant de voir regroupées des citations bien choisies, qui peuvent donner envie d’en savoir plus sur l’écrivain et de partir à la découverte de son œuvre. On regrette toutefois l’absence d’entrées aussi indispensables, pour la compréhension des idées et des engagements de Mirbeau, qu’Amour, Anarchie, École, Idéal, Littérature, Meurtre, Philanthropie, Presse ou Religion.

P. M.

 

Bibliographie : Jean-François Nivet, « Octave Mirbeau, celui qui supplicie », préface de Petit abécédaire de l’insolence, Séguier, 1996, pp. 7-11.

 


PETITS POEMES PARISENS

Sous ce titre a été publiée, en avril 1994, aux éditions À l’écart, à Alluyes, un petit volume de 114 pages, abondamment illustré et annoté. Il s’agit d’une anthologie de 18 textes (sur un total de 27), qui ont  paru, au cours des premiers mois de 1882, dans les colonnes du Gaulois, et qui sont signés du pseudonyme de Gardéniac. Ce pseudonyme est attesté, le 24 avril 1882, en page 4 du Gaulois, par un « Écho des théâtres » signé Arthur Cantel. Il est à remarquer également que Mirbeau reprendra en partie un de ces textes, « Le Petit modèle », dans « Le Petit mendiant » des Lettres de ma chaumière (1885);  et qu’il fait intervenir à deux reprises, le 3 et le 27 mars, la comtesse Denise de la Verdurette, que l’on retrouve aussi dans plusieurs des textes signés Tout-Paris, en 1880-1881, et dans une des Lettres de ma chaumière signées Mirbeau, en 1885.

La référence à Baudelaire y est évidente, bien au-delà du titre de la série, qui ne saurait manquer de rappeler ses Petits poèmes en prose, connus aussi sous le nom de Spleen de Paris : c’est Paris qui constitue aussi une source d’inspiration et de réflexion ; et on y retrouve sa conception du plaisir mortifère (voir surtout Le Bal des canotiers »), que Mirbeau développera dans Le Calvaire (1886), et une vision du monde foncièrement pessimiste, qui inspire parfois « des désirs de mort ». Plusieurs de ces textes s’inscrivent effectivement dans la continuité des poèmes en prose du maître, notamment : « Rose et gris » (15 mars), « Le Bal des canotiers » (18 juillet), « Courrier du matin » (13 mars), « La Tristesse du remisier » (25 février), ou « Deux paysages » (24 avril). Ils sont courts et rédigés dans une « prose poétique, musicale, sans rythme et sans rime » ; Mirbeau y recourt au contrepoint et au leitmotiv ; comme les impressionnistes, il cherche à saisir l’instant et à capter la lumière ; et il y exprime des sentiments marqués au coin de la mélancolie, du spleen et du mal de vivre.

D’autres textes se rapprochent davantage du conte et pourraient tout naturellement prendre place parmi les Contes cruels : par exemple, « Mort fou » (7 mars), « Bal d’anges » (18 mars) , « Dette d’honneur » (26 mars), « Le Petit modèle » (30 mars), « Mort subite », 20 avril) ou « Un fait divers » (25 avril). Noire est la vision que Mirbeau nous donne des humains : la femme y joue déjà le rôle qui, à l’en croire, lui a été imparti par la marâtre Nature : celui de piéger les hommes ; lesquels, pour leur part, apparaissent singulièrement égoïstes, naïfs et stupides et se laissent dominer au nom de “l’amour”. D’autres textes relèvent plutôt de la satire et de la cocasserie, par exemple les lettres de Bolivar Rastacouère (23 et 31 mars), ou « Lendemain d’hyménée » (6 avril), où Mirbeau ironise sur le compte de Sarah Bernhardt. D’autres encore sont plus proches de la chronique : par exemple, « L’Art et la mode » (22 février), « Potaches » (20 juillet), ou « Paulus », 24 juillet). Tout se passe, comme si Mirbeau tentait déjà, comme il le fera par la suite, d'effacer les frontières entre les genres littéraires.

Il a été relevé avec beaucoup d’intérêt que Mirbeau-Gardéniac cite pour la première fois, dans « Rose et gris », un sonnet connu sous le nom de « Poison perdu », qui est le plus souvent attribué à Rimbaud, parfois à Germain Nouveau, voire au peintre Jean-Louis Forain, qui fréquentait alors Mirbeau, Rimbaud et Nouveau. Mais on ignore comment le manuscrit de ce poème inédit a pu tomber entre les mains de Mirbeau. Sur le problème posé par le mystérieux « Poison perdu », voir l'article de Jean-Paul Goujon (Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, 1996) et l’article de Pierre Michel (Cahiers Octave Mirbeau, n° 5, 1998).

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, Préface des Petits poèmes parisiens, À l’écart, 1994, pp. 5-18.

 


PREMIERES CHRONIQUES ESTHETIQUES

Sous ce titre a été publié en 1996, par la Société Octave Mirbeau et les Presses de l’Université d’Angers, un volume de 358 pages qui comporte soixante-dix-huit articles sur l’art parus sous pseudonyme entre 1874 et 1882, dans L’Ordre de Paris, Le Gaulois et Paris-Journal. On y trouve surtout les « Salons » de 1874, 1875 et 1876, parus sous la signature d’un fruit sec du nom d’Émile Hervet, journaliste politique bonapartiste bien en peine d’intervenir dans un domaine auquel il n’entendait rien. Nous ignorons quelle a été exactement la marge de manœuvre du “nègre”, et il est bien possible que certains éloges, à l’adresse de peintres d’obédience bonapartiste, par exemple, relèvent plus du politique que de l’esthétique. Il semble néanmoins que Mirbeau ait disposé d’une assez grande latitude, les choses de l’art étant considérées comme de moindre importance dans le quotidien de l’Appel au Peuple. On retrouve en effet les critères d'appréciation du futur grand critique d’art, ses valeurs esthétiques, ses exécrations et ses coups de cœur, et aussi ses mots, ses tics, ses procédés de prédilection, son humour désopilant, son sens de la dérision, son style si caractéristique et qui reflète si bien son « tempérament » d'exception.


Dans un journal politiquement conservateur, dont le titre constitue tout un programme, et dont le lectorat respecte aveuglément les institutions consacrées par la tradition, Mirbeau s'attaque à bras raccourcis à toutes les gloires piédestalisées (Bouguereau, Bonnat, Cabanel, Carolus-Duran, Benjamin-Constant), au système politique et administratif qui assure le triomphe des « médiocres » et des « nullités », et au public bourgeois de « gros prud'hommes » misonéistes, qui admirent dévotement les croûtes surdimensionnées qu'on présente à leur adoration. Dès son premier article, le 3 mai 1874, il proclame que, « si les beaux-arts vivent en France, c'est bien malgré la politique » et que les vrais talents ne font ni bruit, ni réclame. Sa tête de Turc préférée est  déjà Alexandre Cabanel, qui  n'est pas seulement inapte à la peinture et au dessin (voir par exemple l’article du 4 mai 1876, où Mirbeau tourne en dérision une de ses toiles), mais surtout le dictateur incontesté qui règne en tout arbitraire sur le Salon – qu’il surnomme « la maison Cabanel » – et qui impose ses normes, protège ses élèves et distribue médailles et commandes de l'État. 


Les véritables artistes, que Mirbeau révère déjà, ce sont ceux qui, même s'il leur arrive d'exposer au Salon, poursuivent fièrement leurs œuvres, sans se soucier des cris d'orfraie des uns et des petites ambitions des autres : Pierre Puvis de Chavannes, « le seul à qui la grande peinture soit permise », parce qu'il a « une individualité artistique d'une rare élévation » et « un style magistral » (9 mai 1874) ; Camille Corot, auteur d'« admirables paysages » (7 mai 1874) ; et Édouard Manet, dont la peinture « à la va-te-faire-fiche », mais « juste » et « vivante », jette les bourgeois « dans des rages incommensurables » et leur fait dresser les cheveux sur la tête (28 juin 1874). Certes, dans ses jugements, le critique débutant accorde encore de l’importance à la composition et au dessin, ce qui est symptomatique de ses difficultés d’alors à rompre radicalement avec tous les présupposés de la peinture traditionnelle, et à comprendre et à vraiment apprécier les innovations de ceux que les critiques qualifient d'« intransigeants » et qui, justement, n’exposent pas au Salon. C’est seulement quand il fréquentera Monet, Renoir, Raffaëlli et Pissarro que Mirbeau sera à même de s’initier durablement à leur art. Mais, si son évolution est incontestable, la continuité n’en est pas moins éloquente entre ses premières chroniques et celles de sa maturité : même horreur de l'académisme et de ses pompes, de son léchage et de son « blaireautage », de ses sujets conventionnels et de ses personnages en carton-pâte, en cire ou en chocolat ; même refus des « recettes », qui ne sont que des « éteignoirs » (7 juin 1876) ; même indifférence aux sujets traités ; même primauté de l'émotion, de la subjectivité et de la sensibilité propre de l'artiste, qui importent infiniment plus que l'anecdote ; même méfiance à l'égard des écoles constituées, auxquelles il oppose « les leçons de Madame la Nature » (24 mai 1876) ; et même affirmation de la nécessité, pour l'artiste, de voir la Nature par lui-même, avec ses propres yeux, et non à travers les verres déformants de la sacro-sainte tradition et de l'École, ce qui implique une véritable ascèse.  

Les futurs grands combats esthétiques que va mener Mirbeau s'inscrivent dans le droit fil des premiers « Salons » de L'Ordre, où il fait ses preuves et ses gammes,  où il porte les premiers coups à un système artistique encore très puissant et où il s'échine déjà à promouvoir des talents inconnus.

P. M.

 

Bibliographie : Claude Herzfeld, Octave  Mirbeau – Aspects de la vie et de l’œuvre, L’Harmattan, 2008, pp. 244-256 ; Christian Limousin, « Octave Mirbeau, critique d’art “nègre” », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, 1996, pp. 95-109 ; Pierre Michel, « Les débuts d’un justicier », préface des Premières chroniques esthétiques, Presses de l’Université d’Angers, 1996, pp. 5-17.


Rodin et l'affaire du "balzac"

Plaquette de 28 pages, au format carré, publiée en 1995 par les Nouvelles éditions Séguier, dans la collection Carré d’art. Elle comporte le texte brut, sans introduction, ni notes, de deux articles de Mirbeau sur Rodin extraits des Combats esthétiques, parus également chez Séguier : l’un sur les dessins de Rodin, « Préface aux dessins d’Auguste Rodin » (Le Journal, 12 septembre 1897), l’autre sur son Balzac, « Ante porcos » (Le Journal, 15 mai 1898).

 


SAC AU DOS

Ce petit volume de 44 pages, au format réduit, a paru en 1991 à Caen, aux éditions de L’Échoppe. Il comporte deux articles parus dans Le Gaulois, les 25 et 31 juillet 1884, sous le pseudonyme d’Henry Lys, symptomatique de sa résipiscence et de sa soumission à son patron, Arthur Meyer. Il a été réédité en 2002 chez Séquence, Rezé, puis en 2003, aux éditions des Mille et une Nuits.

C’est le bref récit, quelque peu humoristique, d’une randonnée mortifiante de 254 kilomètres effectuée par Mirbeau, en compagnie d’un ami non nommé, qui n’est ni peintre, ni homme de lettres,  du 16 au 22 juillet 1884. Elle l’a conduit, depuis Marlotte, village célèbre pour ses peintres, jusqu’à Bourbon-l’Archambault, dans l’Allier. Mirbeau venait alors de passer sept mois à Audierne, pour se purger de sa dévastatrice liaison avec Judith Vimmer, et la marche à pied, source espérée d’observations curieuses, de contemplation esthétique de la nature, de rencontres inattendues et de plaisirs écologiques avant la lettre, pouvait apparaître comme une expérience thérapeutique complémentaire de l’exil finistérien. Mais, à en croire le récit démystificateur qu’il en tire, il s’est agi surtout d’« une corvée bien autrement pénible que les corvées militaires », sous un soleil « écrasant », et l’effort et la fatigue lui ont interdit de jouir du paysage : « Nous ne voyons plus rien, nous n’entendons plus rien, et nous marchons, haletants et demi-morts, poussés par nous ne savons quelle force inconsciente. »

Néanmoins la tenue quelque peu clownesque qu’il a endossée pour cette expédition nous avertit d’emblée qu’il n’est pas dupe de ses prétentions initiales à partir à la conquête du monde et que le récit qui va suivre est délibérément distancié.

P. M.

 

Bibliographie : Jean-François Nivet et Pierre Michel,. « Préface » de Sac au dos, L’Échoppe, Caen, 1991, pp. 7-11 ; Jean-François Nivet, « Mirbeau en marche », préface » de Sac au dos , Séquence, Rezé, pp. 9-19 ; Jérôme Vérain, « Ô steamers ! ô brouettes ! », postface » de Sac au dos, Mille et une Nuits, 2003,  pp. 49-55.

 


SCRUPULES

Scrupules  est une pièce en un acte, créée le 2 juin 1902 au Théâtre du Grand Guignol et recueillie en 1904 dans les Farces et moralités, sans jamais avoir été publiée en France d'une façon autonome. Ses multiples traductions ont remporté un énorme succès à l’étranger, sous un titre signifiant généralement “le voleur”, notamment Der Dieb en Allemagne. Il s’agit de la théâtralisation d’un conte paru sous ce titre dans Le Journal du 26 février 1896 et inséré en 1901 dans le chapitre XVIII des 21 jours d’un neurasthénique.

L’acte se réduit à une conversation entre deux hommes du monde : d’un côté, le Voleur, gentleman-cambrioleur, accompagné de son valet de chambre, et qui est entré par effraction dans un appartement bourgeois pour y voler des bijoux et des valeurs ; de l’autre, le Volé, surpris dans son sommeil par la chute d’un objet et qui appelle la police par téléphone. En attendant l’arrivée du commissaire, le Volé, enrichi par la philanthropie, demande à son confère du monde comment il a été amené à embrasser sa profession. Par excès de scrupules, répond le Voleur, qui, après avoir essayé bien des professions (la politique, les affaires, le commerce, le journalisme) s’est rendu compte que le vol règne partout, et en toute impunité, et que, tout bien pesé, il est plus honnête de voler ouvertement et à ses risques et périls qu’hypocritement et à l’abri des lois. Convaincu, le Volé éconduit le commissaire et raccompagne poliment à la porte son invité de la nuit.

Mirbeau s’emploie une nouvelle fois à démystifier les institutions et les valeurs d’une société capitaliste qui repose sur le vol autant que sur le meurtre. L’éloge paradoxal du vol oblige le spectateur à s’interroger sur les ressorts de l’ordre social et sur les valeurs qu’on lui a inculquées. La démonstration par l’absurde, à laquelle se livre Mirbeau, devrait l’amener à conclure, s’il a conservé un tant soit peu de sa naïveté originelle, que ce sont les fondements mêmes de cet ordre qui sont à chambouler, puisque tout marche à rebours de la justice et de la raison. On comprend que de nombreux groupes anarchistes européens se soient servis de cette farce pour faire de l’agit-prop.

P. M.

 

Bibliographie : Hermann Bahr, Glossen zum Wiener Theater (1903-1906), Fisher Verlag, Berlin, 1907, pp. 408-413 [en allemand] ;  Pierre Michel, « Introduction » à Scrupules, in Théâtre complet de Mirbeau, Eurédit, 2003, t. IV, pp. 161-163 ; Conrad Schmid,  « Durch Ohr. Der Dieb », Freie Volksbühne, Berlin, Verlag von Winckler, juin 1908, pp. 213-218 [en allemand].

 


SEBASTIEN ROCH

Sébastien Roch est un roman de formation, paru d’abord en feuilleton, dans les colonnes de L'Écho de Paris, du 15 janvier au 2 avril 1890, puis en volume, chez Charpentier, dans la collection à 3,50 francs, le 26 avril 1890.

Ce troisième roman signé de son nom est considéré comme largement   autobiographique, car Mirbeau y situe l’action au collège des jésuites de Vannes, où il a fait ses études et passé quatre années d’« enfer », et dont il a été chassé, comme son héros éponyme, dans des conditions plus que suspectes, en 1863, quelques semaines à peine avant la fin de l’année scolaire. D’où la question que les biographes et commentateurs sont bien obligés de se poser : les causes de son renvoi sont-elles les mêmes que celles qui ont motivé celui du petit Sébastien Roch, séduit et violé par son maître d’études, le père de Kern, en qui on peut précisément reconnaître bien des traits du propre maître d’études du romancier, le père Stanislas Du Lac ? Néanmoins, il s’agit bien d’un roman, qui ne cherche pas à rester fidèle aux événements réellement advenus et qui les triture en fonction des objectifs de son auteur, et on ne saurait donc identifier le personnage et le romancier créateur qui, lui, a survécu aux traumatismes de sa jeunesse et a pu, grâce à sa forte personnalité qui l’a poussé à se révolter, grâce aussi à l’exutoire de l’écriture, manifester une forme de résilience.

Dans Sébastien Roch, Mirbeau transgresse un tabou majeur, non seulement à l’époque, mais encore aujourd’hui : celui du viol d’adolescents par des prêtres. En l’occurrence, le prêtre infâme du roman possède sur l’innocent Sébastien, au prénom et au nom fortement connotés, une triple autorité, en tant que prêtre, que professeur et que substitut du père, ce qui confère un caractère incestueux au crime qu’il commet sur sa proie. C’est seulement ces dernières années, plus d’un siècle après la publication du roman, qu’on a commencé à parler de ces horreurs, si longtemps passées sous silence, même si beaucoup de gens étaient au courant,  ce qui a suscité, ces dernières années, d’énormes scandales, notamment aux États-Unis et en Irlande. Mais pendant des siècles ni la  “Justice”,  ni le pouvoir politique, ni les journaux n’ont voulu les reconnaître. Ils ont au contraire ignoré et occulté systématiquement les faits, dans l’espoir de décourager les victimes d’ouvrir la bouche, tant la révélation de ces crimes leur apparaissait constituer une menace pour l’ordre social tout entier. Si en effet, même dans une société qui se prétend laïque comme la France, depuis 1905, ce qu’on appelle “l’ordre” continue de reposer sur la confiance accordée aux représentants de Dieu sur terre et aux défenseurs autoproclamés de la prétendue “morale” tombée du ciel, il ne peut être que subversif de dévoiler les horreurs qui se perpétuent de génération en génération derrière les murs des collèges. On comprend qu’en soulevant ce lièvre, Mirbeau ne pouvait que s’attirer une réprobation générale et devait s’attendre, de la part de la presse et des critiques littéraires, à une véritable conspiration du silence : on lui a fait chèrement payer son audace, à un moment où il se rallie officiellement à l’anarchie.

 

« Le meurtre d’une âme d’enfant »

 

Comme dans les romans écrits antérieurement comme “nègre” (L’Écuyère, La Maréchale, Dans la vieille rue, et La Duchesse Ghislaine), Sébastien Roch est le récit d’un sacrifice, et qui pis est, le sacrifice inutile d’un innocent. Il ne saurait donc avoir aucune espèce de justification, ni bénéficier de la moindre circonstance atténuante, bien au contraire. Ce récit est divisé en deux parties : la première est rédigée à la troisième personne – ce qui est exceptionnel dans les romans signés Mirbeau – par un narrateur qui préserve son anonymat et qui, en fait, joue le rôle d’un romancier omniscient ; la deuxième partie, située cinq ans plus tard, est constituée pour une bonne partie par des extraits du journal de Sébastien, choisis par l’anonyme narrateur, ce qui redonne toute sa place à la subjectivité. C’est de la confrontation de ces deux parties, avant et après le viol et le traumatisme mortifère qu’il a constitué pour la victime, que peut naître, chez le lecteur un tant soit peu sensible, le questionnement susceptible de l’amener à remettre en cause les apparences des institutions en général, et de l’Église romaine en particulier. Le « style artiste », inhabituellement adopté par Mirbeau, a visiblement pour objectif de permettre au lecteur de faire sienne la vision du monde de Sébastien, bien que les trois quarts du récit soient à la troisième personne.

Pendant ses premières années, le petit Sébastien Roch a mené une vie saine et insouciante, dans un bourg du Perche, Pervenchères, qui ressemble fort à Rémalard  : il a  « la viridité fringante, la grâce élastique des jeunes arbustes qui ont poussé, pleins de sève, dans les terres fertiles » et « la candeur introublée de leur végétale vie ». Jusqu’au jour où son père, M. Roch, un quincaillier stupide et pérorant, imbu de son importance et hautement respecté par ses administrés, a la malencontreuse idée de décider péremptoirement, dans l’espoir de renforcer son autorité, d’inscrire son fils au prestigieux collège Saint-François-Xavier de Vannes, où le jeune adolescent aura l’honneur de côtoyer les rejetons des grandes familles de l’Ouest. Confronté au mépris de ses camarades, à cause de ses origines plébéiennes, ignoré de ses maîtres indifférents, consciencieusement abruti par un enseignement rébarbatif et coupé de la vie, aliéné par l’empreinte d’une religion doloriste et culpabilisante, il est si malheureux qu’il songe même à se suicider. Et, naturellement, ses résultats scolaires sont fort mauvais, au grand désespoir de son père.  Alors qu’il se trouve en quatrième année, son nouveau maître d’études, le père de Kern, commence à s’intéresser à lui et l’initie peu à peu aux beautés de l’art et de la littérature. Mais c’est pour mieux enrober sa proie, inhiber sa résistance et la « chloroformer d’idéal » : inversant la devise des jésuites, c’est « per augusta » que le prêtre infâme parvient « ad angusta ». L’ingénu Sébastien sent bien qu’il y a, dans le comportement du prêtre, quelque chose de trouble, à quoi il tente en vain de se soustraire, car il fait plus confiance à ce qu’il croit être sa raison qu’à son instinct. Pour finir, le prêtre vient le chercher dans son lit, une nuit, et l’emmène dans sa chambre. Le récit du viol stricto sensu est remplacé par une ligne de points, comme dans L’Écuyère. Aussitôt après son crime, de Kern plaide coupable, mais c’est pour mieux demander à l’enfant de prier pour lui et exiger de lui qu’il se taise. Pour comble, le criminel se permet cyniquement d’absoudre sa victime... Cependant, craignant d’être dénoncé à ses supérieurs, à l’instar de la Phèdre de Racine, il prend les devants et accuse l’innocent Sébastien de relations contre-nature avec son ami et confident, le taiseux Bolorec, un révolté qui rêve d’étriper les jésuites. Sébastien est alors chassé comme un malpropre, sans pouvoir compter sur le soutien du seul jésuite qui semblait doté d’une âme, mais qui fait corps avec son institution. Son père, obligé de venir le chercher, supplie en vain le recteur de garder son fils pour lui éviter le déshonneur.

De retour dans son village, Sébastien sent peser sur lui un œil inquisiteur, moitié amusé, moitié réprobateur, pour les mœurs qu’on lui suppose, et se heurte à l’inflexibilité de son père, furieux et inconsolable, qui, hors de lui, est, un beau jour, sur le point de poignarder son propre fils désarmé, qui, tel Isaac face à Abraham, lui offre sa gorge. Après quoi il ne leur reste plus qu’à coexister tant bien que mal, en silence. Pendant plusieurs années, la vie de Sébastien se poursuit, ennuyeuse et vide : il n’a de goût à rien, ne caresse aucune ambition, ne croit plus en rien, ne se sent capable de rien, a perdu tout idéal éthique et esthétique ; sa révolte et son dégoût ne débouchent sur rien ; et il ne manifeste aucune appétence pour le beau sexe, pas même pour la jeune Marguerite, la fille d’une voisine, qui n’a pourtant d’yeux que pour lui. Lorsqu’éclate la guerre de 1870, il est mobilisé, bien que son père lui ait payé un remplaçant. La veille de son départ, Marguerite sort en catimini de chez sa mère pour venir à un rendez-vous qu’elle lui a imposé et se donne à lui. Sébastien, frissonnant de dégoût et de « haine »,  en proie à une espèce de vertige, « entre un abîme de sang et un abîme de boue »,. est pris alors d’une frénésie qui aurait pu tourner au meurtre. Dans le camp où est encaserné son régiment de l’armée de la Loire, il a le bonheur de retrouver son vieux complice Bolorec, toujours révolté, qui rêve d’une « grande chose » et qui attend la première occasion pour abattre un officier. Sébastien, lui, est trop dégoûté de la guerre pour accepter de tuer. Il meurt absurdement, sans avoir tiré une balle, victime de tirs de l’artillerie prussienne en riposte à  un coup de canon irresponsable d’un jeune officier qui a voulu s’amuser. Et Bolorec emporte, sous les balles, à travers la fumée, le corps de son camarade, en murmurat : « Ça n’est pas juste. ». 

 

Un roman de la déformation

 

Sébastien Roch est une œuvre engagée. Il y souffle un esprit radicalement anarchiste et qui vise à désacraliser et à démystifier toutes les institutions de la société bourgeoise. L’Église catholique est évidemment la première cible : elle nous est présentée comme un corps parasitaire, incrusté dans la société civile qu’elle empoisonne de ses superstitions grossières, du venin de la culpabilité et de sa morale hypocrite, répressive et contre-nature ; elle est comme une pieuvre qui étend ses tentacules partout à la recherche de proies dont elle puisse pomper voracement les forces vives  ; elle est totalement étrangère aux vertus qu’elle prêche, la justice et la pitié y sont inconnues, et seul prime l’esprit de corps qui garantit son pouvoir sacralisé et la durée pluriséculaire de l’institution ecclésiale.

Il ne faudrait pas réduire pour autant Sébastien Roch à un simple pamphlet anticlérical. Car les institutions civiles sont également stigmatisées. La famille n’est qu’un étouffoir, où le père possède une autorité absolue et destructrice et n’a de comptes à rendre à personne. L’école, et pas seulement la confessionnelle,  est conçue, non pas pour ouvrir l’esprit et développer l’esprit critique et la capacité de penser, mais au contraire pour les étouffer dans l’œuf : c’est un viol de l’esprit complémentaire du viol du corps ; le résultat d’une semblable “éducastration”, ce sont des êtres dénaturés et dépersonnalisés, inaptes à la vie de l’esprit et du corps, mais adaptés aux besoins d’une société misonéiste et niveleuse, où le conformisme est impératif et où la pensée est perçue comme une menace pour le désordre établi. Quant à l’armée, elle parachève le travail de la famille, de l ‘école et de l’Église et ce n’est évidemment pas par hasard si c’est elle qui tue physiquement Sébastien Roch, dont l’âme a déjà été mise à mort. Dès lors que le parcours du combattant de l’enfant, au lieu de le conduire à l’émancipation intellectuelle et à l’épanouissement affectif et sexuel, ne fait au contraire que déprimer ses potentialités, frustrer ses désir et ses besoins et détruire en lui toute curiosité et tout sentiment du beau, le récit d’une éducation telle que celle de Sébastien n’a plus rien à voir avec ce qu’est en principe un roman de formation : c’est en réalité d’un roman de la déformation qu’il s’agit.  

Par opposition à cette société qui tue l’homme dans l’enfant pour fabriquer des larves, Mirbeau entend défendre les droits naturels des enfants au développement harmonieux de ses instincts, à la liberté, à la dignité et à la pensée critique, droits impunément bafoués dans toutes les familles, dans toutes les écoles et dans l’ensemble de la société bourgeoise de l’époque. À travers le destin de son pitoyable héros, il entreprend de nous ouvrir les yeux sur les pratiques quotidiennes d'une société où, en toute bonne conscience et en toute légalité, on perpètre impunément ce qu'il appellera « le massacre des innocents ». Et s’il déboulonne toutes les valeurs mystificatrices et toutes les institutions homicides au nom desquelles on transmet de génération en génération ce « legs fatal », c’est dans l’espoir de nous faire désirer une autre société, plus conforme à nos aspirations les plus secrètes.

Sébastien Roch est tout à la fois un exutoire thérapeutique pour le romancier, qui peut enfin évacuer les traumatismes de son enfance ; un roman de l’enfance, où est finement analysée la perception subjective du monde vu par un adolescent sensible, qui est confronté à la méchanceté des hommes et à l’hypocrisie des valeurs et des institutions ; un bouleversant plaidoyer pour tous les Mozart qu’on assassine ; et un acte d’accusation lancé à la face d’une société inique. 

Voir aussi les notices Du Lac, Vannes, École, Église et Christianisme.

P. M.

Bibliographie : Lola Bermúdez, « Un violon cassé : Sébastien Roch d’Octave Mirbeau », Estudios de Lengua y Literatura Francesa, U.C.A., Cadix, n° 17, 2007, pp. 49-65 ;  Fernando Cipriani,  « Sébastien Roch : roman d'enfance ou de formation ? », Cahiers Octave Mirbeau,  n° 15, 2008, pp. 34-53 ; Laurent Ferron, « Le Viol de Sébastien Roch : l’Église devant les violences sexuelles », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001 pp. 287-297 ; Bernard Gallina, « Monsieur Roch : un personnage en clair-obscur », Cahiers Octave Mirbeau,  n° 9, 2002, pp. 113-125 ; Bérangère de Grandpré, « La Figure de saint Sébastien de Mirbeau à Trakl  », Cahiers Octave Mirbeau, n° 13, 2006, pp. 55-72 ; Caroline  Granier, « Le Désordre du je ou l’ordre en jeu - Quatre romans d’éducation anarchiste de Georges Darien et Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 10, 2003, pp. 51-66 ; Samuel Lair, « Jean-Jacques et le petit rousseau »,  Cahiers Octave Mirbeau, n° 10, 2003, pp. 31-50 ; Samuel Lair, Mirbeau et le mythe de la nature, Presses Universitaires de Rennes, 2004, pp. 117-138 ; Pierre Michel,  « Octave Mirbeau, Édouard Estaunié et l'empreinte », in Mélanges Georges Cesbron, Presses de l'Université d'Angers, 1997, pp. 209-216 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau et Stanislas du Lac », Cahiers Octave Mirbeau, n° 5, 1998, pp. 129-145 ; Pierre Michel, «  Introduction » à Sébastien Roch, in Œuvre romanesque d’Octave Mirbeau, Paris, Buchet/Chastel - Société Octave Mirbeau, 2000, t. I, pp. 519-536 ; Pierre Michel, « Mirbeau et l’école – De la chronique au roman », Vallès-Mirbeau - Journalisme et littérature, in Autour de Vallès, n° 31, 2001,  pp. 157-180 ; Pierre Michel, « Sébastien Roch, ou le meurtre d’une âme d’enfant », introduction à Sébastien Roch, Éditions du Boucher, 2003, pp. 3-24 ; Ida Porfido, « Introduzione - Ritratto dell’artista da giovane martire », préface de Sébastien Roch, Marsilio, Venise,  2005, pp. 5-29 ; Ida Porfido, « Quelques figures du martyrologe mirbellien », in Octave Mirbeau : passions et anathèmes,  Presses Universitaires de Caen, 2007, pp. 193-202 ; Julia Przybos, « Sébastien Roch, ou les traits de l’éloquence », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, 2007, pp. 26-36 ; Robert  Ziegler, « Between Nature and Utopia : Time and Text in Mirbeau's Sébastien Roch », Studi francesi, mai-août 1997, pp. 275-282 ; Robert Ziegler, « Toward Death and Perfection in Octave Mirbeau’s Sébastien Roch », site Internet de la Société Mirbeau, octobre 2005 ; Robert Ziegler, « Vers la mort et la perfection dans Sébastien Roch », Cahiers Octave Mirbeau, n° 13, 2006, pp. 36-54 ;   Robert Ziegler, « The Perfect Death : Sébastien Roch », chapitre III de The Nothing Machine - The Fiction of Octave Mirbeau, Rodopi, Amsterdam – New York, septembre 2007, pp. 57-74.

 

 

 

 

 

 

 


Souvenirs d'un pauvre diable

Les Souvenirs d'un pauvre diable

 

Les Souvenirs d'un pauvre diable est une longue nouvelle, parue d’abord en feuilleton dans Le Journal, en six livraisons, du 28 juillet au 1er septembre 1895, puis en 1921 en brochure petit format chez Flammarion, dans la collection « Une Heure d'oubli... ». Elle a été recueillie dans les Contes cruels en 1990.

Mirbeau y réutilise de larges fragments des premiers chapitres de son roman Dans le ciel , alors inédit en volume. Le narrateur, prénommé Georges, est un « pauvre diable », qui a le malheur d’être « né avec le don fatal de sentir vivement, de sentir jusqu’à la douleur, jusqu’au ridicule ». Il  raconte des épisodes de son enfance solitaire, « dans un milieu tout à fait défavorable au développement de [s]es instincts et de {s]es sentiments », ce qui l’a vite réduit à ne se confier à personne et à ne vivre qu’en lui-même. Après avoir échappé à un « semi-viol » de la part d’une cousine beaucoup plus âgée et frustrée, l’adolescent fait son initiation sexuelle entre les bras désenchanteurs de la petite bonne Mariette, qu’il surprend peu après dans ceux de son père, fort gêné. Lequel, le lendemain, lui raconte un bobard et lui donne vingt francs. Le récit s’arrête brusquement sur cette phrase : « Et je vis, sur son front, de grosses gouttes de sueur rouler… »

Mirbeau s’y livre une nouvelle fois à une dénonciation de l’aliénation par la famille, qui étouffe les potentialités de l’enfant, et à une démythification de l’amour : « À l’inverse de ce que les poètes disent de l’influence “sublimatoire” de l’amour, l’amour tua en moi toute poésie. Je ne vis plus les choses à travers le voile miséricordieux et charmant de l’illusion, et la réalité dégradante m’apparut. »

P. M.

 

 


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