Familles, amis et connaissances

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Terme
GAUGUIN, paul

GAUGUIN, Paul (1848-1903), peintre français post-impressionniste, qui a aussi réalisé des poteries et des sculptures sur bois. Petit-fils de Flora Tristan, il a commencé la peinture tardivement, après s’être engagé dans la marine à seize ans et avoir bourlingué à travers le monde, puis travaillé à la Bourse comme agent de change, jusqu’en 1882. Accepté au Salon de 1876, il a ensuite rejoint les impressionnistes, avec lesquels il a exposé à cinq reprises, jusqu’en 1886, non sans quelques démêlés. Pendant cette période de formation, il a passé plusieurs mois à Rouen, en 1884, et y a réalisé quelque quarante toiles (Les Toits bleus). En 1886, il s’installe à Pont-Aven, où il fait la connaissance du jeune Émile Bernard, dont il subit l’influence. Il découvre aussi les estampes japonaises. De retour à Paris, il connaît de sérieuses difficultés financières et s’embarque de nouveau : pour Panama, où il compte travailler, sans trop se fatiguer, au percement du canal, puis pour la Martinique. Là il abandonne l’impressionnisme et tâche de conférer à sa peinture une dimension spirituelle en recourant de plus en plus à une vision synthétique, plutôt qu’analytique : Le Calvaire, Le Christ jaune – dont Mirbeau a laissé un très beau commentaire –, La Lutte de Jacob avec l’ange. Malade, il revient à Paris en novembre 1887 et y expose chez Théo Van Gogh, frère de Vincent. Après un nouveau séjour à Pont-Aven, il passe trois mois à Arles avec Vincent Van Gogh (Les Alyscamps), avant de se disputer avec lui – c’est au cours d’une de ces disputes que Van Gogh se coupe une oreille. En 1890, après avoir songé à vivre à Madagascar, il décide de partir pour Tahiti, mais, faute d’argent pour payer son billet de bateau, il doit organiser une vente de tableaux qui, grâce au battage médiatique de Mirbeau, sollicité par Mallarmé, lui rapporte près de 10 000 francs, le 23 février 1891, et lui permet de rompre les amarres. À Tahiti, il a de multiples aventures féminines, a des démêlés avec l’administration coloniale et peint des toiles où l’exotisme et le primitivisme sont compliqués de symbolique locale et syncrétique : Noa-Noa, La Orana Maria, La Femme au Mango, Manao Tupapau, Te aa no areois. Au bout de deux ans, déçu, il rentre à Paris, expose chez Durand-Ruel sans grand succès de ventes, puis, après un nouvel échec, repart pour la Polynésie, en juillet 1895. En 1897, il y peint une grande toile symbolique, qui est à ses yeux une manière de testament : D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?. En 1901, il s’installe dans une des îles Marquises, Atuana, où il ne cesse d’écrire, de peindre et de sculpter (Oviri) et où il meurt, le 8 mai 1903. Il y est enterré. En 1952, on a publié le fac-similé de ses carnets. Gauguin a exercé une grosse influence sur nombre de peintres du vingtième siècle.

C’est en janvier 1891 que Mirbeau, alerté par son ami Stéphane Mallarmé, et aussi, non sans réticences, par Camille Pissarro, commence à s’intéresser à Gauguin, va voir ses poteries et ses toiles chez Schuffenecker et reçoit le peintre, accompagné de Charles Morice, dans sa maison des Damps. Il sent chez lui une manière d’esprit fraternel, dont les recherches, les aspirations et les douloureuses contradictions lui semblent un écho des siennes. Comme Gauguin a besoin de vendre ses toiles un prix suffisant pour payer son voyage vers Tahiti, il accepte de lui servit de caisse de résonance et de lui consacrer deux articles, également intitulés « Paul Gauguin », qui paraissent, l’un dans L’Écho de Paris le 16 février, et l’autre, non sans difficultés, dans Le Figaro, le 18  février, quelques jours avant la vente, fixée au 23. Dans le premier, où il retrace le parcours original du peintre, Mirbeau se fait le relais complaisant des confidences du peintre et de l’image qu’il souhaite donner de lui : « artiste très exceptionnel, très troublant, qui ne se manifeste guère au public et que, par conséquent, le public connaît peu », il a eu une « révélation presque soudaine » de sa vocation, et « toutes les circonstances de sa naissance, de ses voyages, de ses souvenirs, de sa vie actuelle, amalgamées et fondues l'une, dans l'autre », ont alors déterminé chez lui « une explosion de ses facultés artistes, d'autant plus forte qu'elle a été plus retardée et lente à se produire » ;  d’une « nature inquiète, tourmentée d'infini », et « jamais satisfait de ce qu'il a réalisé, il va, cherchant, toujours, un au-delà », jusqu’à ce qu’il parvienne « à la synthèse spirituelle, à l'expression éloquente et profonde » et que sa main soit « devenue l'esclave, l'instrument docile et fidèle de son cerveau ». Quant à son œuvre, Mirbeau la juge « étrangement cérébrale, passionnante, inégale encore, mais jusque dans ses inégalités poignante et douloureuse, car pour la comprendre, pour en ressentir le choc, il faut avoir soi-même connu la douleur et l'ironie de la douleur, qui est le seuil du mystère » : « Parfois elle s'élève jusqu'à la hauteur d'un mystique acte de foi ; parfois elle s'effare et grimace dans les ténèbres affolantes du doute. Et toujours émane d’elle l'amer et violent arôme des poisons de la chair. Il y a dans cette œuvre un mélange inquiétant et savoureux de splendeur barbare, de liturgie catholique, de rêverie hindoue, d'imagerie gothique, de symbolisme obscur et subtil ; il y a des réalités âpres et des vols éperdus de poésie, par où M. Gauguin crée un art absolument personnel et tout nouveau, art de peintre et de poète, d'apôtre et de démon, et qui angoisse. Dans le second article, beaucoup plus court, et qui a subi des coupes imposées par le rédacteur en chef du Figaro, Mirbeau qualifie derechef Gauguin de « peintre très exceptionnel » et son art de « très étrange, très raffiné et très barbare », et il évoque en particulier « une de ses miraculeuses poteries », « poèmes tangibles aux oxydations imprévues, aux colorations si riches et si sourdes fondues l’une dans l’autre », et dont les « fleurs sexuelles » ont des « enroulements tentateurs ». À Claude Monet, qui est plus que réticent face à l’orientation de Gauguin et que ses éloges pourraient quelque peu froisser, Mirbeau prend cependant soin d’avouer que, en comparaison des toiles de son ami, celles de Gauguin prennent « un aspect fracassant, un peu vulgaire ».

Gauguin est emballé par ces deux articles parus dans la grande presse et qui lui garantissent un bon prix pour ses toiles et il remercie chaudement le critique. Après l’article de L’Écho, dont il va faire la préface du catalogue de son exposition : « Ils sont rares, les hommes de talent qui consacrent, comme vous le faites, leur plume au bien. L’estime que les artistes ont pour vous vous dédommagera peut-être un jour des difficultés. » Et après celui du Figaro : « À travers les concessions que vous étiez obligé de faire pour Le Figaro, j’y ai vu une grande compréhension de mon terrible moi que je porte lourdement, et j’ai grandement à vous en remercier. Je crois en outre que votre article fera tout à fait son effet moral. » Il semble que Mirbeau soit également intervenu auprès de Clemenceau pour que Gauguin bénéficie d’une mission et d’une réduction sur le prix du billet.

Deux ans plus tard, toujours reconnaissant, de Tahiti, le peintre fait parvenir au critique, par le truchement de Daniel de Monfreid, un dessin de lui, La Femme au renard. Lorsqu’il expose une cinquantaine toiles chez Durand-Ruel, Mirbeau se fend d’un nouvel article, « Retour de Tahiti » (L'Écho de Paris, 14 novembre 1893), où il en profite surtout pour enfoncer Pierre Loti, venu en touriste à Tahiti, en lui opposant Gauguin, dont les œuvres tahitiennes, alimentées par les « mythes du passé » dont il s’est nourri en Polynésie, n’en sont  pas moins la « continuation » des œuvres antérieures : « Les préoccupations d’art et d’intellect sont les mêmes », mais, à la faveur de « l’exil », « l’âme a grandi » et « le cerveau s’est élargi ». Néanmoins l’enthousiasme de Mirbeau a bien baissé : sans doute chapitré par Pissarro, qui n’a que méfiance à l’égard de la religiosité et du symbolisme de Gauguin et qu’irrite sa soif de réclame,  il prend ses distances d’avec un primitivisme mis au service d’un syncrétisme religieux qui lui est complètement étranger et qui va lui sembler de plus en plus incompatible avec ses propres combats éthiques.

Les Lettres de Gauguin à Octave Mirbeau ont été publiées en 1992 par Pierre Michel, aux Éditions à l’écart (24 pages).

P. M.

 

Bibliographie : Sarah Mallory, » Paul Gauguin and Octave Mirbeau : Two Men Brave Enough To Stun the "Society of the Spectacle" », site Internet de la Société Mirbeau, 2005, 11 pages ; Pierre Michel, « Gauguin et Mirbeau », préface de Paul Gauguin, Lettres à Octave Mirbeau, À l’écart, 1992, pp. 5-12 ; Octave Mirbeau, « Paul Gauguin », L'Écho de Paris, 16 février 1891 ; Octave Mirbeau, « Paul Gauguin », Le Figaro, 18 février 1891 ; Octave Mirbeau, « Retour de Tahiti », L'Écho de Paris, 14 novembre 1893 ; Anne-Marie Sarda, Un Après-midi avec Mallarmé et Gauguin, Musée Mallarmé, Vulaines, 1996, pp. 6-12 ; Laurence Tartreau-Zeller,  « Mirbeau face à Gauguin : un exemple de la nécessité d'admirer », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 241-255.

 

 

 

 

 


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