Thèmes et interprétations

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Terme
MORT

Sur l’œuvre entier de Mirbeau plane la mort. À mi-chemin entre inspiration décadente et naturaliste, elle s’offre comme une thématique récurrente et durable, présentant un vivier de représentations assez romanesques, à travers la mort du Prussien dans Le Calvaire (1886), les  exécutions complaisantes du Jardin des supplices (1898) ou l’hécatombe finale des Mauvais Bergers (1897). Du reste, cette mort-événement détermine en partie la réputation subversive d’une œuvre romanesque que certains jugent encore scandaleuse.

À rebours de cette distanciation strictement littéraire, la mort figure aussi une réalité appréhendée par le cœur et l’esprit de Mirbeau. La mort des siens et de ses proches – sa mère, Maupassant, Zola… – le montre tâchant de dire le phénomène en l’articulant intimement à son antithèse, l’amour, c’est-à-dire la vie. La portée profondément affective de cette exploration éclate quand il s’agit de figurer la mort comme sanction d’un trop-plein ou au contraire d’une carence en amour.

Qu’en est-il dans l’œuvre ? Les romans dits autobiographiques montrent la mort, non seulement dénuée de toute connotation d’effroi, mais comme un possible objet du désir. Mintié, l’abbé Jules, Sébastien Roch, partagent épisodiquement ou de façon durable une même aspiration suicidaire, à laquelle seuls Lucien, dans Dans le ciel (1893), et le petit bossu, dans Sébastien Roch (1890) donneront une réalisation effective. C’est que, dans les premières œuvres, la pensée de la mort fait partie intégrante d’une tentation régressive de rompre avec l’hostilité du monde, à quoi elle permet de tourner le dos : à l’accablante misère de tout, à la pesanteur du réel, la bienheureuse mort s’impose comme un espace d’affranchissement complet. Elle offre la consolante perspective d’une délivrance, d’une fin irrévocable, à des personnages en quête de libération, voire d’échappatoire.

Différente est l’approche romanesque de la mort dès les dernières années du siècle. Plus question d’une mort qui ne serait qu’une fin, scandaleuse d’inutilité. Un mouvement se met en branle, par lequel la mort est à l’origine d’une renaissance potentielle en impulsant un cycle. Dans le ciel développe le paradigme littéraire du fumier où grouillent les formes de vie se nourrissant de la mort ; les fleurs du Jardin des supplices s’épanouissent elles aussi sur un terreau identique, à l’instar de la beauté de Clara, dont la spectaculaire mise en scène de la mort est au service de la formulation d’une esthétique et d’une philosophie panthéistes. La mort devient promesse de vie, et cet avatar décadent, qui fait de la fin une possibilité de renouveau, se décline sur plusieurs modes. L’union de la mort et de la vie se lit notamment dans les représentations du rituel de la mort et du mariage mêlé : les désirs de mort de Clara, dans Le Jardin des supplices, de Juliette dans Le Calvaire, voire du père Roch dans Sébastien Roch, disent les formes multiples et prégnantes de cette intrication d’Éros et Thanatos.

À cet infléchissement de la représentation mentale correspond un renouvellement de la figuration littéraire, faite dorénavant d’échos et de reprises, comme si la mort incarnait un solide fil conducteur. C’est, par exemple, au sein de la conscience chaotique de Célestine que se dévide ce fil rouge, dans Le Journal d’une femme de chambre, en 1900, de la mort de son père à celle de la petite Claire, fille du cantonnier, en passant par le sacrifice du furet du colonel Mauger. L’effroyable infanticide en appelle un autre, facilité par un cantonnier, cette fois, dans Dingo, en 1913. De loin en loin, la mort œuvre, pose des jalons, se moule aux évolutions de la pensée et de l’œuvre mirbellienne : elle en est sans conteste l’un des moteurs, l’un des foyers ardents de l’inspiration de l’écrivain.

Voir aussi les notices Suicide, Meurtre et Viol.

S. L.

 

Bibliographie : Jennifer Forrest, « “La mort plutôt que le déshonneur” dans L’Écuyère d’Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, 2007, pp. 4-21  ; Samuel Lair, « À propos d’une représentation dans l’œuvre de Mirbeau : la mort, de la sanction à la renaissance », in Les Représentations de la mort, Actes du colloque de Lorient, Presses Universitaires de Rennes, 2002, pp. 213-222 ; Samuel Lair, « Une illustration littéraire du mythe de l'Éternel Retour : Le Jardin des supplices, d'Octave Mirbeau (1899) », in Studia Romanica Posnaniensa, Poznan, volume XXV, 2008, pp. 49-65 ; Yannick Lemarié, « Lazare en Octavie : le roman du mort vivant », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, 2010, pp. 51-67 ; Pierre Michel, « Mirbeau, Camus et la mort volontaire », in Actes du colloque de Lorient Les Représentations de la mort, Presses Universitaires de Rennes, 2002, pp. 197-212 ; Robert Ziegler, « The Landscape of death in Octave Mirbeau », L'Esprit créateur, hiver 1995, vol. XXXV,  n° 4, pp. 71-82 ; Robert Ziegler, « Vers la mort et la perfection dans Sébastien Roch », Cahiers Octave Mirbeau, n° 13, 2006, pp. 36-54 ; Robert Ziegler, « The Perfect Death : Sébastien Roch », chapitre III de The Nothing Machine - The Fiction of Octave Mirbeau, Rodopi, Amsterdam – New York, 2007, pp. 57-74.

 

 

 

 


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