Thèmes et interprétations

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Terme
CHIEN

Si, par affinité, certains écrivains sont plutôt chats, il semble que Mirbeau réserve sa dilection au genre canin. Non que l’espèce apparaisse invariablement sous la forme de la bête résolument intelligente : le chien Spy, grêle animal sans « personnalité », reflétant le tempérament capricieux, frivole et inconséquent de sa maîtresse Juliette, dans Le Calvaire, en 1886, est là pour démontrer que les chiens de salon baudelairiens existent dans l’œuvre ; les bas-rouges du récit de 1913 incarneront le mythe de la soumission domestique du chien servile. En 1907, le ton n’est pas plus amène : le chien, réduit au statut de « pauvre cabot déguisé, devient le « stupide héros de sa fidélité », qualité à laquelle l’auteur de La 628-E8 n’est pas prêt à faire crédit. Mais en 1913, Dingo semble bien constituer un paradigme mirbellien. Frère de ces bêtes dotées d’un sixième sens pour élucider les tares humaines, qui ont nom Velu, dans L’Ennemi des lois, de Barrès, ou Agar, dans D’un château l’autre de Céline, le chien éponyme est à la fois le témoin  et le modèle, qui cristallise les plus ardentes pulsions individualistes de Mirbeau. Il y a, certes, un paradoxe à trouver sagesse et bonté, non dans l’esprit humain, puisque ces dernières l’ont résolument déserté, mais au cœur sensible des bêtes. Mais la misanthropie mirbellienne a tôt pris les formes d’un amour des bêtes, toutes espèces ou races confondues ; rappelons son combat contre la déshonorante vivisection, sa préoccupation de la mise en place de la loi Grammont, en 1881, ou son intérêt pour le fonctionnement des S.P.A. À travers Dingo, le chien devient l’exemple d’un humanisme animal. Sa force obscure et primitive (il appartient à une espèce antédiluvienne, celle des fameux dingos d’Australie) constitue sa facette dionysiaque ; mais son instinct enfante une forme d’intelligence, qui s’exprime harmonieusement dans la finesse apollinienne de ce qu’il faut bien appeler son esprit.

Les procédés de sa caractérisation soulignent non pas tant les écarts avec la personnalité humaine que sa conformité à une sensibilité humaine idéale. Il a gardé en lui « les saines allégresses de la nature », entretient « la violence de sa haine » contre les moutons, regorge « d’ardentes passions individualistes, d’énergiques vouloirs, de combativités généreuses », conserve « son indépendance et sa personnalité ». Au vrai, la présence de ces traits chez le chien inscrit en creux leur absence effective chez l’homme. Dingo cristallise en son âme les qualités morales que son maître désespère de rencontrer en ses semblables : il se révèle « plus intelligent » que son maître qu’il « aime », il est « enjoué, câlin, très tendre, lyrique même », prodigue de « délicate indulgence » et « d’esprit de justice », déborde « d’altruisme ». Le chien emprunte certes davantage à l’imaginaire exalté et fécond de son auteur qu’à la transcription fidèle de son expérience de vie auprès de son chien Dingo – race mâtinée de griffon, plus que véritablement héritière du prédateur australien. Ce qui est incontestable, en revanche, c’est l’affection sans bornes et douloureuse que Mirbeau voua à ce compagnon à quatre pattes.

S. L.

 

Bibliographie : Michel Contart, « Dingo vu par un vétérinaire cynophile », Cahiers Octave Mirbeau, n° 6, 1999, pp. 142-168 ; Pierre-Jean Dufief, « Le monde animal dans l’œuvre d’Octave Mirbeau », Actes du colloque d’Angers, Octave Mirbeau, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 281-293 ; Samuel Lair, « Dingo, l’ultime sursaut », in Mirbeau et le mythe de la nature, Presses Universitaires de Rennes, 2004, pp. 211-221 ; Samuel Lair, « Paul Léautaud et Octave Mirbeau : Arlequin, l’animal et la mort », Cahiers Octave Mirbeau, n°12, 2005, pp. 154-167 ; Christopher Lloyd, « Octave Mirbeau et Jack London fabulistes : de Dingo à Croc-blanc », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, 281-291. 


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