Familles, amis et connaissances

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Terme
LEAUTAUD, paul

LÉAUTAUD, Paul (1872-1956), collaborateur au Mercure de France de Vallette, de 1908 à 1941. C’est sous le pseudonyme de Maurice Boissard qu’il se taille une solide réputation de critique dramatique. Ses Entretiens avec Robert Mallet font connaître au grand public sa passion des bêtes abandonnées, son indécrottable misanthropie, sa rare liberté de ton, tous traits en lesquels Mirbeau peut reconnaître un cœur fraternel. Le Petit Ami, en 1903, In Memoriam, en 1929, sont, chacun à leur manière, l’expression du sentiment ambigu de Léautaud à l’endroit de ses parents : l’un évoque la mort du père, l’autre revient sur les rapports complexes, jugés équivoques par certains, à sa mère.

Ses qualités de cœur font de Mirbeau un visage à part, unique, qui séduit et force l’admiration de Léautaud, ce dernier lui donnant du « Cher Maître », dans sa correspondance, et multipliant les « ce bon Mirbeau », ce « Brave Mirbeau », plus loin qualifié d’ « excellent homme, excessivement généreux, toujours prêt à aider de sa bourse », en son Journal littéraire. Les mentions de Mirbeau émaillent de leur souvenir vivant les textes du diariste, comme cette annotation, deux mois avant la mort de Léautaud, relative à « son mariage, ses amours, ses changements d’opinion, sa collaboration au Journal, sa visite et déjeuner chez lui avec George Besson ».

La première rencontre entre les deux hommes a lieu le 20 décembre 1905, chez Mirbeau. Destinée à faciliter la recherche d’un poste de fonctionnaire au bénéfice de Léautaud, elle laisse celui-ci pour le moins perplexe quant à la personne de son hôte : « Une girouette, un parleur, rien au fond. ». Le romancier épaulera néanmoins réellement son cadet auprès du ministre Briand, sans que la recommandation aboutisse.

Hors cette narration factuelle, les affinités profondes se tissent d’un œuvre à l’autre, et d’une sensibilité à l’autre. Rappelons brièvement quelques traits communs. Leurs détestations sont les mêmes : Mirbeau, comme Léautaud, se définit par ses haines, se pose en s’opposant. Les corps constitués, les coteries de toutes sortes, la société, tant dans ce qu’elle a de niveleuse que d’inégalitaire, aiguillonnent, sans jamais la tarir, la verve de ces deux pamphlétaires. À l’instar de Léautaud, Mirbeau ne se fera pas scrupule, après avoir liquidé l’influence d’un milieu conservateur, de nier lui aussi la famille, l’amour, la religion, la patrie. Retenons que tous deux, savent préserver une ardeur de sentiments intacte. Au « Je suis toujours du côté de celui qui souffre et qui pâtit. Je n’ai pas le goût du châtiment » de Léautaud, répond le programmatique « Je suis, moi, aveuglément aussi, et toujours, avec le pauvre contre le riche, avec l’assommé contre l’assommeur, avec la malade contre la maladie, avec la vie contre la mort » d’un Mirbeau à l’occasion manichéen.

Le journaliste Mirbeau, très tôt attentif à la mise en place de la loi Grammont, soulève dès 1881, le problème du fonctionnement des S.P.A., pierre d’angle de l’amendement moral de l’homme : « Quelques sourires dont on ait, à l’origine, accueilli la naissance de la société protectrice des animaux, quelques plaisanteries dont on se soit diverti à propos de la loi Grammont, on ne peut nier les tendances civilisatrices qui inspiraient ces mesures, on doit reconnaître qu’un progrès en est résulté. »

Dans la foulée, il affirme sa haine de la chasse et son mépris pour la déshonorante vivisection, s’attriste, lors des inondations de 1910 (« Hier, aujourd’hui, toujours », Paris-Journal, 8 février 1910) de l’indifférence des hommes face à la détresse animale, ou prend fait et cause pour les ânes du manège de l’Avenue de Suffren, en 1900. Profession de foi relayée au quotidien par le contact des nombreuses bêtes qui l’entourent sa vie durant, et qui feraient de lui une manière de Léautaud qui aurait réussi.

Les années où se croisent Mirbeau et Léautaud coïncident avec l’attribution des premiers Prix Goncourt. On lira avec profit les minutes de l’année 1907, dans le Journal littéraire de Léautaud, pour y trouver, pêle-mêle, le détail de l’élection au forceps de Jules Renard à l’Académie Goncourt, moyennant un ultimatum de Mirbeau ; le projet de ce dernier de faire passer en force son protégé Renard et… In memoriam, dudit Léautaud, véritable Arlésienne ; les propos éminemment élogieux tenus par l’auteur de L’Abbé Jules sur Léautaud, au chevet du pauvre Jarry mourant ; les galanteries d’Alice Regnault ; la hauteur de ton d’un Mirbeau aux prises avec les basses attaques de Henry Bernstein ; ou la jolie surprise que  réserve Mirbeau à Léautaud en lui offrant un exemplaire de La 628-E8« un livre neuf, de grand air, qui nous repose des livres savants, des livres faits avec d’autres livres. »  L’année 1908 est, sur ce terrain, plus pauvre qui commence par faire écho à cette nouvelle édifiante : Mirbeau a fait raser sa moustache… Mais l’affaire du Foyer, qui oppose Mirbeau à Claretie, y trouve, dans le Journal littéraire, une caisse de résonance singulière. Léautaud confie qu’il pense par exemple passer dans la presse une retranscription parodique des débats entre Mirbeau et Claretie. Le 29 septembre, il se rend au domicile parisien de Mirbeau, malade, afin de prendre de ses nouvelles, mais n’y rencontre qu’Alice, dont la beauté de grande dame l’impressionne. Le 4 décembre, invité par Mirbeau, il assiste à la répétition générale de la pièce. Dès 1910, auprès d’Apollinaire, il enregistre les premiers troubles de l’aphasie chez Mirbeau, ou consigne de la bouche du même le pedigree du dernier compagnon de Mirbeau, « chien de ruisseau », retient les propos vipérins mais pouffants de Porto-Riche contre le dramaturge Mirbeau ; fait de Mirbeau le champion du roman-pamphlet (tout en reconnaissant ne pas en avoir lu un seul). En 1917, il s’indigne plusieurs pages durant des manœuvres de l’intrigante Alice, vieille cocotte coupable de tenter de réintégrer son défunt mais subversif époux dans le sein de la Patrie, et fait d’elle, au passage, « la sœur de Julia Bartet ». En 1923, il assiste à la répétition générale d’Un sujet de roman, de Sacha Guitry, « pièce du ménage Mirbeau », sans qu’il éprouve le besoin d’infirmer ni de valider le caractère de fidélité à l’itinéraire biographique de l’écrivain.

S. L.

 

Bibliographie : Samuel Lair, « Paul Léautaud et Octave Mirbeau : Arlequin, l’animal et la mort », Cahiers Mirbeau n° 12, 2005, pp. 154-167 ; Pierre Michel, « Aristide Briand, Paul Léautaud et Le Foyer », Cahiers Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 218-233 ; Jean-François Nivet, « Octave Mirbeau et Paul Léautaud », Cahiers Paul Léautaud, 1988, pp. 5-14.

 


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