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Terme
MEISSONIER, jean-louis-ernest

MEISSONIER, Jean-Louis-Ernest (1815-1891), peintre français. Après un rapide passage dans l’atelier du peintre Léon Gogniet et des débuts plutôt difficiles, Meissonier se spécialisa dans la peinture historique, sans négliger cependant la peinture de genre. Artiste prolifique et soucieux du détail, il obtint richesse et honneurs (première médaille en 1848, membre de l'Institut en 1861, médaille d'honneur en 1867, grand-croix en 1889, etc.) grâce à ses scènes militaires. Adulé de son vivant, il tomba dans l’oubli à sa mort.

Mirbeau ressent le plus grand mépris pour « l’habilité pernicieuse de Meissonier », qui maîtrise et respecte à la perfection les règles d’école. Aucune « faute de dessin », aucun passepoil négligé, mais pas non plus d’ampleur ni de vie chez celui qui « toujours raidit l’homme et le ramène à la mort du squelette, à l’immobilité de l’armature » (La France, 21 mars 1885). Tout est étriqué et factice. Mirbeau se plaît à le ridiculiser ; pour cela, il use souvent de la même image. À quatre reprises, il le décrit en train de semer de la farine dans son jardin de Poissy pour figurer la neige lors des campagnes napoléoniennes : « cet homme scrupuleux et botté, répandait de la farine, dans son jardin, quand il avait à peindre un effet de neige, d’après nature…. Peut-être employait-il la neige à pétrir son pain… » (Paris-Journal, 19 mars 1910). Cette impression de  faux, de faux-semblant, si le critique la constate devant toutes les productions des peintres académiques, il l’éprouve avec une acuité accrue devant les scènes militaires.  Peut-être parce ce que ce genre se prête encore plus que les autres à l’artifice, aux décors de carton-pâte. Après la défaite humiliante de 1870, la France chauvine a besoin d’être réconfortée,  il faut donc exalter le sentiment national. Le public veut voir une France glorieuse, Meissonier la lui offre. Mais le bruit de bottes n’a jamais ému Mirbeau, bien au contraire. Il est de ceux qui militent pour la paix, il condamne donc sans rémission cette peinture belliqueuse : « Tout est sacrifié à une virtuosité mécanique, ennuyeuse et fatigante, à la recherche d’un détail puéril, seulement visible à la loupe et qui n’importe pas. Qu’est-ce que cela me fait que M. Meissonier sache mieux qu’un capitaine d’habillement la longueur d’une capote de fantassin et le numéro d’un schako d’artilleur ? » (Le Matin, 22 janvier 1886).

L’inspiration guerrière de Meissonier aurait amplement suffi pour que Mirbeau déteste cet artiste, mais cet homme pousse encore plus loin ses élans patriotiques, il cherche à être élu sénateur. Aux yeux du critique, il n’existe pas de pire blasphème que de mêler l’art à la politique. Pour cela, il va consacrer deux chroniques au peintre l’une, datée du 22 janvier 1886, qu’il publie dans Le Matin : « Votons pour Meissonier  », l’autre, du 23 janvier, qui paraît dans L’Événement : « Lettre à M. Meissonier, candidat sénatorial ». Ces articles  poursuivent le même but : conduire Meissonier à abandonner ses projets électoraux. Dans Le Matin, journal d’informations sans réelles tendances politiques, il rédige un article mordicant où il corrode la réputation de Meissonier. Non content de dénigrer son art, et l’art académique qu’il symbolise, il cherche aussi à le discréditer dans ses fonctions municipales : « [...] Quel beau sujet de tableau pour un peintre de tant de scènes militaires : M. Meissonier, à cheval dans un paysage, distribuant des bulletins, collant des affiches, faisant des proclamations et rentrant dans sa bonne ville de Poissy sur son destrier couvert de sueur, aux cris de : « Vive la République ! ». » Dans L’Evénement, quotidien fortement marqué à gauche, le journaliste anarchiste rédige un violent réquisitoire contre l’ingérence de la politique dans l’art. Cette chronique est plus un article politique qu’une critique esthétique. Mirbeau, d’habitude si caustique à l’encontre de Meissonier fait preuve ici de mansuétude. Il ne se moque plus de l’artiste ennuyeux, méticuleux  qui n’a jamais su « animer le bois de ses modèles », il nous présente un homme pur, un esthète idéaliste qui croit au grand sentiment et à la noble tâche du sénateur. Ses généreuses utopies, mais surtout son intégrité et son indépendance d’esprit valent à l’artiste la sympathie et l’estime du journaliste : « vous ne serez jamais un homme politique. Je ne vous vois point du tout intriguant dans les couloirs, faisant des manœuvres, donnant aux reporters des nouvelles intéressantes et intéressées ». En effet, quoique Mirbeau n’apprécie pas son talent, Meissonier est quand même un peintre et, à ce titre, un élu qui se doit de consacrer sa vie à l’art. Il va même, dans la dernière partie de cet article, jusqu’à faire un parallèle entre cet artiste, qui ne lui inspire pourtant à l’accoutumée que dégoût et mépris, et des grands peintres. Il ne faut cependant pas être dupe de cette accalmie dans la critique de Mirbeau. Il ne s’essouffle pas et cette peinture académique demeure pour lui un art honni qu’il faut condamner haut et fort. Mais si, dans cette chronique, les sempiternelles diatribes font place à de bienveillantes mises en garde, c’est que la politique reste pour lui la plus corrompue et la plus corruptrice des activités humaines. Exceptés ces deux articles, Mirbeau se contente de citer le nom de Meissonier au milieu d’artistes à proscrire ou de tourner ce peintre en ridicule dans des commentaires cinglants.

L. T.-Z.

 

Bibliographie : Laurence Tartreau-Zeller,  « Mirbeau et Meissonier », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, mai 1996, pp. 110-125 ; Laurence Tartreau-Zeller, Octave Mirbeau – Une critique du cœur, Presses du Septentrion, Lille, 1999, pp.154-157, 173-184, 201-222

 


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