Thèmes et interprétations

Il y a 261 entrées dans ce glossaire.
Tout A B C D E F G H I J L M N O P Q R S T U V
Terme
VIOL

Les contes et les romans de Mirbeau présentent un nombre impressionnant de viols. On peut y voir le reflet d’une époque où, par-delà le vernis de civilisation dont se targue la société française, se perpétuent des comportements barbares, dont les femmes et les enfants sont les principales victimes. On peut aussi y déceler une obsession de l’auteur, particulièrement sensibilisé aux violences sexuelles, probablement à la suite du traumatisme de celles dont, selon toute vraisemblance, il a été la victime au collège des jésuites de Vannes.

Dans Le Journal d’une femme de chambre (1900), Les Vingt et un jours d’un neurasthénique  (1901), et Dingo (1913), ce sont des fillettes qui sont violées et assassinées, mais le seul récit qu’on en ait est celui du vagabond, lors de son procès, dans Dingo, et le viol, post mortem, d’une fillette qu’il n’a pas eu la moindre intention de tuer semble plus le produit de la fatalité et de la misère sexuelle que de la cruauté des mâles prédateurs. Dans Sébastien Roch (1890), c’est un adolescent, qui est victime d’un prêtre infâme, mais le récit du viol stricto sensu, qui relève d’autant plus de l’indicible que le bourreau est une figure sacralisée, est remplacé par une ligne de points. Même procédé dans L’Écuyère (1882), où c’est une jeune femme assoiffée de pureté, Julia Forsell, qui est la victime d’un “noble” à figure d’oiseau de proie et d’un pari organisé par d’ignobles « gens du monde ». On trouve également une ligne de points à la place du récit de la nuit de noces de la jeune Geneviève Mahoul de Dans la vieille rue (1885) : comme ce mariage n’est en fait qu’un maquignonnage, l’inutile sacrifice de la vierge à celui qui l’a achetée est assimilé implicitement à un viol. Renoncer au récit du viol, c’est aussi refuser qu’il en soit fait une lecture érotisante, comme le font, dans leurs commentaires, les habitants du Mesnil-Roy et de Ponteilles-en-Barcis : car, comme le note Célestine au chapitre VIII du Journal, « Malgré l'horreur sincère qu'inspire ce meurtre, je sens parfaitement que, pour la plupart de ces créatures, le viol et les images obscènes qu'il évoque, en sont, pas tout à fait une excuse, mais certainement une atténuation... car le viol, c'est encore de l'amour... » Dans ces trois derniers exemples, où la victime survit au viol, le romancier fait clairement comprendre que leur vie est désormais anéantie : Sébastien Roch vit désormais comme un mort et son sacrifice absurde, pendant la campagne de l’armée de la Loire en 1870, peut être assimilé à un suicide ; Julia Forsell.finit par choisir de se suicider d’une façon spectaculaire pour retrouver son honneur et sa pureté perdus ; quant à Geneviève Mahoul, elle est résignée à voir sa vie lui échapper et « les horizons entrevus se ferm[er] pour toujours ».

L’un des grands intérêts de ces différents récits de viols, c’est que Mirbeau a été l’un des tout-premiers à mettre en lumière leurs conséquences traumatisantes pour les victimes, surtout quand le viol a un caractère incestueux, comme celui de Sébastien Roch, puisque le « père » de Kern bénéficie d’une triple autorité paternelle : celle du prêtre, du professeur et du substitut du père. Or, si Sébastien est anéanti et ne s’en sort pas, Mirbeau, lui, a su rebondir et est parvenu, un quart de siècle plus tard, à faire de son expérience la matière d’un roman en forme d’exutoire et de thérapie : il est un cas typique de la de « résilience » mise en lumière par Boris Cyrulnik. Car, à la différence de son double, il a su transformer la prise de conscience et la lucidité de Sébastien en action et en combat pour des valeurs : autant que du Sébastien Roch, il y a du Bolorec en lui, il s’est dédoublé pour les besoins du roman et, ce faisant, indique en filigrane la voie à suivre pour les victimes de violences sexuelles.

Voir aussi les notices Sexualité, Pédophilie, L’Écuyère et Sébastien Roch.

P. M.

 

Bibliographie : Laurent Ferron, « Le Viol de Sébastien Roch : l’Église devant les violences sexuelles », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001 pp. 287-297 ; Philippe Ledru, « Genèse d’une poétique de la corruption », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 4-26 ; Pierre Michel, « Sébastien Roch, ou le meurtre d’une âme d’enfant », introduction à Sébastien Roch, Éditions du Boucher, 2003, pp. 3-24 ; Pierre Michel, « L’Écuyère : tragédie et pourriture », introduction à L’Écuyère, Éditions du Boucher, 2004, pp. 3-21.. 

 

 


Glossary 3.0 uses technologies including PHP and SQL