Thèmes et interprétations

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Terme
ANIMAUX

L’œuvre d’Octave Mirbeau évoque largement la nature et les animaux y occupent une place prépondérante. On retrouve ainsi :

* Les oiseaux : emblèmes de pureté, de l’accord possible avec l’idéal du ciel, ils font l’admiration des cœurs purs, tel Georges, dans L’Abbé Jules (1888)ou l’abbé Jules lui-même dans ses odes à la Nature : « Il restait là, à regarder passer le vol farceur des geais, à suivre, dans le ciel, l’ascension des  grands éperviers. » Jean Mintié et Juliette, dans Le Calvaire (1886), les voyant évoluer, libres, dans « le grand ciel », n’en regrettent que plus leur misérable condition humaine. Beaucoup les exterminent, tel ce voyageur normand débarquant au Tonkin, attiré par un tourisme homi- et ornithocide, dans Le Jardin des supplices (1899), ou  encore Isidore Lechat dans Les affaires sont les affaires : « Des vandales… Mais je suis plus malin qu’eux, je vais tous les tuer. » Dans Le Jardin des supplices, le paon, reste un élément récurrent ; l’occire deviendra une forme d’appropriation du beau, comme pour Lucien, l’artiste désespéré de Dans le ciel.

* Les cervidés : Pour Mirbeau, l’homme, ne jouissant, dans sa médiocrité, que du spectacle de l’agonie, établit un rapport à l’animal exclusivement destructeur. Dans Dans le ciel, le receveur de l’enregistrement chasse  « des chamois bondissants ». Idem dans Dingo,  avec « des familles entières de petits bourgeois, de paysans, d’ouvriers », venus en foule pour la chasse au cerf, « pour assister à la mort, au dépècement de quelque chose de vivant… On dirait un massacre, un pillage… sauvagerie, exaltation homicide. »

* Les petits mammifères : soumis aux caprices des hommes, putois et belettes sont empaillés dans des postures grotesques par le capitaine Debray de L’Abbé Jules. Ils sont élevés, apprivoisés, puis soudainement massacrés, tel Kléber, le furet domestiqué, un temps épargné, puis tué et englouti tout cru, par son maître le capitaine Mauger, dans Le Journal d‘une femme de chambre (1900). Ces petites bêtes, si proches des hommes, hériteront de leurs travers, comme le hérisson domestiqué de Georges Vasseur, qui prendra goût à l’alcool, jusqu’à en périr, dans Les 21 jours d’un neurasthénique (1901) : « une sorte de petit râle, pareil au glouglou d’une bouteille qui se vide …Il était mort. »  

* Les animaux domestiques : chevaux, chiens et chats, demeurent étroitement liés au destin de leurs maîtres et maîtresses.

- Les chevaux : dans L’Écuyère (1882), Thor et Treya, étalon et jument, sont des faire-valoir sensuels et des outils de travail de la dompteuse, Julia Forsell. La tragédie du viol qu’elle subit, bouleverse le cours de sa vie. Ses chevaux participent à sa reconstruction, ou l’accompagnent dans la douleur : « Freya  bondit avec un long  soufflement d’épouvante. Il y eut une seconde atroce d’angoisse. » L’écuyère entretient avec eux un lien d’affectueuse domination : toutefois l’animal ne peut être qu’à son service, et l’amour qu’elle lui porte ne se traduira que dans l’inéluctable perte de soi.

- Les chiens : ces destins associés se retrouvent aussi notamment dans le sort réservé à la chienne Nora de Julia, qui ne peut supporter sa présence lors de ses rencontres amoureuses, (elle « enferme la chienne endormie »), tout en se défendant elle-même d’aimer. Par ailleurs, le meurtre de Nora signifiera la mort symbolique de sa maîtresse, suite à son viol. Autre spécimen  dans Le Calvaire : Spy, compagnon dénaturé de Juliette. « Minuscule animal », avec « un ruban de soie rouge, soigneusement noué, sur le côté », Spy est le jouet de sa maîtresse ; ce compagnon presque humain sera victime de l’amant désespéré de Juliette, qui se venge sur lui de toutes les souffrances et déceptions infligées. L’animal prend ici la place de l’amant, du mari ou de l’enfant absents. Sterling, le petit caniche noir de la comtesse Paule, dans Noces parisiennes, symbole des travers de la bonne société, reproduit les comportements induits par le luxe et la frivolité. Dingo le chien, et Miche la chatonne, échapperont toutefois, dans Dingo, à ces destins tragiques ou absurdes, pour peu que leur maître sache préserver leur liberté : « Dingo et Miche couchaient ensemble… Jamais je n’ai vu une amitié aussi vigilante, passionnée, entre deux bêtes de races ennemies. » Dingo fait l’admiration de son maître : « Ses gestes avaient une éloquence plus expressive, plus précises que nos paroles. » L’observer transformera le questionnement philosophique de son maître, qui abandonnera tout préjugé grâce à son chien, vouant tendresse et admiration à la « perspicacité de Dingo », qui débusque notaire véreux ou militaires, recherche l’innocence et la spontanéité des enfants dans leur jeu, et n’est pas rebuté par l’immoralité d’un meurtrier vagabond. Ce Dingo, tantôt homme, tantôt animal, se révèle sauvage, certes, mais il n’en est pas moins plus civilisé que les hommes, puisqu’il demeure toujours libre de ses actes. Il devient alors l’emblème d’une nature indomptable, donc salvatrice. Puis viennent d’autres figures de chiens, troupeaux ou cirques zingari, le plus souvent misérables, sur le mode de la communauté humaine rurale ou nomade, comme dans L’Abbé Jules ou L’Ècuyère.

* Par ailleurs, singes et perroquets, sont également représentés ; réunis en chambrée animalière, mieux traités que les domestiques de la maison, ils incarnent d’insolites protagonistes dans Le Journal d’une femme de chambre.

Les animaux témoignent de l’oppression unilatérale et néfaste de l’homme sur des espèces qui n’obéissent qu’à leur instinct, à leur amour, à leur fidélité, avec sincérité et authenticité, vertus auxquelles seuls quelques personnages, artistes, enfants, marginaux ou dissidents, peuvent également accéder.  Nature et instinct sont sublimés : « Le tigre et l’araignée », explique Clara du Jardin des supplices, sont « comme tous les individus qui vivent, au-dessus des mensonges sociaux, dans la resplendissante et divine immoralité des choses ». La métaphore de l’animal innocent et sacrifié contribue à dépeindre un univers où la bête, vertueuse dans la mesure où elle accepte sa propre vérité, prévaudrait sur l’homme. Sensible à l’appel de la liberté, seul le maître de Dingo, double d’Octave Mirbeau, aura su rendre une part de nature à la nature.

F. M.-L.

 

Bibliographie : Odile Bonneel, « Histoire de bêtes : Dingo, Miraut et Fido, ou trois destins de chiens », Bulletin des amis de Louis Pergaud, n° 31, 1995, pp. 32-53 ; Michel Contart, « Dingo vu par un vétérinaire cynophile », Cahiers Octave Mirbeau, n° 6, 1999, pp.142-168 ; Pierre-Jean Dufief, « Le Monde animal dans l’œuvre d’Octave Mirbeau », in Octave Mirbeau, Actes du colloque d’Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 281-293 ; Sándor Kálai, « Tel chien, tel texte - Dingo, d’Octave Mirbeau, et Niki, de Tibor Déry », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 154-171 ; Fabienne Massiani-Lebahar, « Quelques figures animalières dans l’œuvre d’Octave Mirbeau »,  Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, 2010, pp. 122-129 ; Pierre Michel, « Mirbeau et le langage des chiens », Cahiers Octave Mirbeau, n° 6, 1999, pp. 238-240.

 

 

 

 

 

 

 


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