Familles, amis et connaissances

Il y a 286 entrées dans ce glossaire.
Tout A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Z
Page:  « Prev ... 16 17 18 19 20 Next »
Terme
VANDEREM, fernand

VANDÉREM, Fernand (1864-1939), de son vrai nom Vanderheym, était un écrivain français d’ascendance belge. Licencié ès Lettres, rédacteur à la direction de l'enseignement en 1889, et journaliste (il a collaboré à la Revue bleue, à L’Écho de Paris, au Journal et au Gil Blas), il a écrit des romans, notamment La Patronne, publié en feuilleton en 1891 et en volume en 1896, La Cendre (1894), Les Deux rives (1897), et La Victime (1907), et des pièces de théâtre : Le Calice (1898), La Pente douce (1901, Les Fresnay, représenté à la Comédie-Française le 13 mai 1907, et Cher maître (1913). Il a aussi été critique littéraire et a publié, à partir de 1918, des volumes de chroniques littéraires parues notamment dans la Revue de France, sous le titre de Miroir des Lettres. Il est également l’auteur de Gens de qualité (1938). En 1921, il a mené campagne pour l’introduction de Baudelaire dans les manuels scolaires. Ancien dreyfusard, il a viré à droite à la fin de sa vie, collaborant notamment à Candide. Il était ami avec Marcel Proust.

            C’est par Paul Hervieu (voir la notice) que Mirbeau est entré en contact avec Vandérem et s’est lié d’amitié avec son jeune confrère. Il appréciait sa délicatesse et la finesse de son esprit, et Vandérem de son côté vouait à son aîné admiration et reconnaissance, bien que l’activisme de Mirbeau ne correspondît guère à la timidité de son engagement.. La Revue indépendante de mars 1891 a  annoncé une étude de lui portant sur Mirbeau, mais elle ne semble pas avoir jamais été publiée. En revanche, il parle de lui, avec sympathie, dans Gens de qualité, où il évoque la première des Mauvais bergers et raconte sa dernière entrevue avec Mirbeau, peu avant sa mort. (pp. 131-150).

P. M.


VIELE-GRIFFIN, francis

VIELÉ-GRIFFIN, Francis (1864-1937), poète symboliste de nationalité américaine et d’expression française. Il a collaboré à Lutèce, à L’Ermitage et au Mercure de France, et a fondé et financé les Entretiens politiques et littéraires, en 1890. Partisan du vers libre, considéré comme une « attitude mentale », il aspirait à l’eurythmie et prétendait se rafraîchir aux sources populaires. Auteur de Cueille d’avril (1886), Les Cygnes (1887), Joies  (1888), Diptyque (1891), La Clarté de vie (1897), d’une tragédie en vers, Phocas le jardinier (1898), et, surtout, de La Chevauchée de Yeldis (1893), fort admiré de la jeune avant-garde poétique.

            Sur le plan politique, il était anarchisant, ce qui a contribué à le rapprocher de Mirbeau, qui l’a reçu au Clos Saint-Blaise et qui a accepté, en mars 1895, d'être, à ses côtés, témoin de leur commun ami Whistler dans sa querelle avec George Moore. Mais littérairement, ils étaient séparés par des abîmes d’incompréhension. Dans une savoureuse parodie parue dans Le Journal le 2 février 1897 sous le pseudonyme de Jean Salt, « Le Poète et la source », Mirbeau se moque de la platitude et de l’insignifiance de pseudo-vers supposés eurythmiques . Trois ans plus tard, il évoque, au détour d’une chronique, « ces piaulements inarticulés que M. Vielé-Griffin persiste à pousser parfois, dans des revues et dans des livres » (« Espoirs nègres », Le Journal, 20 mai 1900). Cela lui vaut les protestations d’Edmond Pilon, auquel Mirbeau répond dans un nouvel article au titre ironique, « Le Chef-d'œuvre » (Le Journal, 10 juin 1900). Il y tourne longuement en dérision La Chevauchée de Yeldis : « Il est parfaitement vrai que je me refuse à prendre pour des vers libres, et même pour de la prose esclave, les vers de M. Vielé-Griffin. Si libre qu’il soit, un vers doit exprimer quelque chose, une idée, une image, une sensation, un rythme. Or, je défie M. Edmond Pilon de nous prouver que les vers de M. Vielé-Griffin expriment quelque chose d’autre qu’une mystification, laquelle, vraiment, a trop duré. » Après avoir cité de larges extraits de ce poème, abusivement admiré selon lui, il conclut, sarcastique : « Tel est ce chef-d’œuvre, tel est le chef-d’œuvre de M. Vielé-Griffin !… Eh bien, je le demande, en toute bonne foi, à M. Edmond Pilon, qu’est-ce que tout cela veut bien dire ?… Quelle est cette langue ? Est-ce du patois américain ? Est-ce du nègre ? »... Alors que Mirbeau admire profondément Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Verlaine, Rodenbach et Verhaeren, il est totalement allergique à la poésie des symbolistes proclamés en général, et à celle de Viélé-Griffin en particulier.

P. M.


VILDRAC, charles

VILDRAC, Charles (1882-1971), de son vrai nom Charles Messager, poète moderniste et partisan du vers libre, critique, romancier et dramaturge français. Il a fondé, avec Georges Duhamel, le groupe de l’Abbaye, en 1906. Fils de communard, anarchisant à ses débuts, il a été un intellectuel engagé :  il a été un admirateur de la révolution russe, a participé à la Résistance et collaboré aux Lettres françaises, puis soutenu l’indépendance de l’Algérie. Il a obtenu son plus grand succès théâtral en 1920 avec Le Paquebot Tenacity, monté par Jacques Copeau et qui a tenu la scène pendant trois ans, avant d’être porté à l’écran. Il a aussi publié des livres pour enfants, dont les plus célèbres sont L’Île rose (1924) et La Colonie (1930). Il a longtemps habité Valmondois, comme Duhamel, avant de s’installer à Saint-Tropez, où il est mort.

Au soir de sa vie, Mirbeau s’est intéressé à ce jeune écrivain, dont il a apprécié une contribution à L'Ile Sonnante, en mai 1912 et qu’il a invité à déjeuner, tout intimidé, avec Léon Werth, dans sa maison de Triel. Il lui a alors montré ses Van Gogh, la lettre de Barrès sur Gorki, chef-d’œuvre de « jésuitisme », et ses rosiers du Japon. Puis, de son propre chef, il a décidé de  présenter sa candidature au prix Goncourt 1912, pour un recueil de poèmes en prose, Découvertes, publié à Bruges en 1912 et réédité par la NRF en juillet 1913. Certes, Vildrac n’a pas obtenu le prix, mais ses quatre voix et le soutien de Mirbeau faisaient de lui un « outsider » sérieux : « Il ne l’aura pas, disait [Mirbeau] ; la cuisine doit être déjà faite. Mais il aura toujours ma voix. » Vildrac voit en son grand aîné un homme « d’une seule pièce » : « Générosité, juvénile puissance d’enthousiasme, de tendresse et de colère, réactions violentes devant la sottise, indépendance et fermeté du jugement. »

P. M.

Bibliographie : Charles Vildrac, « Témoignages », Les Cahiers d’aujourd’hui, n° 9, 1922, pp. 135-138.

 


VILLIERS DE L'ISLE-ADAM, Auguste

VILLIERS DE L’ISLE-ADAM, Jean-Marie Mathias Philippe Auguste, comte de (1838-1889), écrivain d’origine bretonne, connu au sein du groupe des jeunes symbolistes pour sa philosophie hégélienne et sa personnalité hors du commun, capable d’envoûter l’auditoire par ses « contes parlés ». C’est vers la fin de sa vie que Mirbeau s’intéresse à l’auteur d’Axël , grâce surtout à l’amitié et à l’admiration singulière de Stéphane Mallarmé. Une année après la mort de Villiers, à propos de sa tournée de conférences en Belgique, Mirbeau reconnaît, non sans regret, sa gloire posthume et son génie : « Que dirait l’ombre de Villiers, que nous avons laissé mourir de faim, et qui put entrevoir, aux dernières années de sa vie, en cette vaine Belgique, où l’on entoura de respect sa douloureuse pauvreté, ce qu’aurait été la gloire due à son exceptionnel génie, par nous méconnu ou nié » (« Propos belges », Le Figaro, 26 septembre 1890). La bibliothèque de Mirbeau contenait les meilleures œuvres de Villiers : ses contes (Contes cruels, 1883, Tribulat Bonhomet, 1887, Nouveaux contes cruels, 1888, Histoires souveraines, 1899) ; ses pièces de théâtre (La Révolte, 1870, Le Nouveau Monde, 1880, Axël, 1890) ; et son roman L’Ève future (1886).

Ce qui les rapproche est cette haine féroce du bourgeois, qui a suscité chez Villiers une stratégie de la cruauté à la manière d’Edgar Poe, soutenue par une vision pessimiste du monde et de la société contemporaine, un anti-positivisme forcené qui contestait à la science de l’époque ses certitudes. Un certain enthousiasme problématique pour l’art littéraire, qui ne trouve pas une récompense immédiate, un travail ingrat mené contre la presse bourgeoise à bon marché, devaient les unir, d’où l’intérêt de Mirbeau pour l’artiste qui vit aux marges de la société ou qui en est banni.

En politique les opinions de Mirbeau ne devaient pas être éloignées de celles de l’auteur du conte L’Etna chez soi. Villiers est passé la réaction à la révolte, et il a sympathisé avec les écrivains anarchistes de l’époque, dont le but essentiel était d’avertir, de dénoncer et de faire réfléchir. La parenté thématique sur la cruauté des contes des deux écrivains est indéniable : la monstruosité ne se trouve pas seulement dans le crime, mais aussi dans l’amour voué à la femme, qui réveille chez l’homme des instincts meurtriers, des forces destructrices et autodestructrices.  L’incompréhension entre la femme et l’artiste est souvent, chez eux, le signe de l’aliénation qui bascule vers le sadisme, le suicide ou la folie. Mirbeau recourt difficilement au conte fantastique pour convaincre le lecteur de la présence du mystère dans le monde réel, mais les visions cauchemardesques et les obsessions criminelles qui subjuguent les personnages mirbelliens et envahissent ses contes témoignent des hantises d’un moi douloureusement partagé entre le rationnel et l’irrationnel.

Le personnage du bourreau, comme celui du tortionnaire, souvent évoqués dans les contes cruels de Villiers (notamment Le Convive des dernières fêtes), devait forcer Mirbeau a en faire l’un des protagonistes sanguinaires de son Jardin des supplices (1899) ; la présence du sang produit non seulement  la vision d’une  société meurtrière et maniaque, mais aussi une hantise de mort, de souffrance et de folie sanguinaire. Une dernière obsession qui réunit les deux cruautés des contes  est l’image de la tête coupée : que l’on compare les images sanglantes du Secret de l’échafaud avec La Tête coupée du conte mirbellien pour se rendre conte des divergences fondamentales entre la vision transcendante de la vie de l’auteur breton avec la folie spectaculaire et forcenée dont se nourrit en général le conte mirbellien. Le déchaînement de la violence devient plus évident et parfois même plus gratuit chez Mirbeau (La Chambre close), qui saisit la bonne occasion pour faire réfléchir le lecteur sur les injustices sociales commises par la classe dominante, Villiers au contraire ne considère pas la mort comme un effet naturel insignifiant, mais comme une limite à la puissance humaine, une présence invisible qui nous menace et nous avertit du mystère du monde et des forces occultes (L’Annonciateur). Pour faire surgir le monde de l’au-delà, Villiers a inventé des personnages mélancoliques, des paysages et des ambiances sombres (Intersigne) ; la foi dans une autre vie pour Villiers était un choix, elle ressemblait néanmoins à une torture, à une grâce accordée à quelques élus ; sur ce terrain, Mirbeau faisait confiance à la science, passant d’un scepticisme à un vrai athéisme matérialiste.



F. C.

 

Bibliographie : Fernando Cipriani, « Metafore della mostruosità in Villiers e Mirbeau », in Villiers de l’Isle-Adam e la cultura del suo tempo. Il poeta, la donna e lo scienziato. ESI, Napoli, 2004, pp. 197-217 ; Fernando Cipriani, « Cruauté, monstruosité et folie dans les contes de Mirbeau et de Villiers », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, 2010, pp. 88-108.

 

 


VIMMER, judith

VIMMER, Judith, demi-mondaine qui fut la maîtresse d’Octave Mirbeau de 1880 à 1884 et qui lui inspira le personnage de Juliette Roux, dans Le Calvaire. C’est Owen Morgan qui est parvenu à l’identifier. Nous ignorons sa date de naissance, mais savons qu’elle habitait au 43 de la rue de Prony, adresse donnée par Mirbeau lui-même lorsqu’il est allé, en juin 1883, déclarer la publication prochaine d’un nouvel hebdomadaire, Les Grimaces. Dans cet immeuble construit en 1882, dans un quartier chic, elle occupe, jusqu’en 1895, un appartement sis au deuxième étage, dont le loyer est de 2 560 francs par an. Comme c’est le cas d’autres horizontales appartenant au haut du panier de la galanterie, son nom apparaît de temps à autres dans les chroniques spécialisées des quotidiens. Son prénom laisse à penser qu'elle était juive et qu’elle possédait cette beauté exceptionnelle et « toute-puissante » que Mirbeau notait avec admiration dans sa « Journée parisienne » du Gaulois, le 14 septembre 1880 – ce qui pourrait bien expliquer les cheveux « très noirs » de Juliette Roux.  

À en croire Mirbeau, sa longue liaison avec Judith Vimmer a été un long « calvaire » et, d’après les lettres à Paul Hervieu de 1883-1884, il a été son esclave consentant, incapable de se détacher et de mettre ses actes en conformité avec ce que lui dicte sa lucidité : il est en effet dépourvu de toute illusion sur le compte de sa maîtresse, mais la connaissance qu’il a de ses turpitudes, loin de tuer son amour, ne fait que l’alimenter. Pour l'entretenir sur un pied élevé, il a dû trimer comme un bagnard, en multipliant les besognes alimentaires – chroniques et romans “nègres” – et entrer à la Bourse comme coulissier, au service d'un grand de la finance, Edmond Joubert, vice-président de Paribas. Malgré les revenus colossaux qu'après coup il prétendra avoir gagnés – il parlera à Edmond de Goncourt de 12 000 francs par mois – et qu'il aurait « entièrement donnés à la créature », il a dû s'endetter lourdement et il mettra de très longues années pour s'acquitter des 150 000 francs de dettes accumulées, selon ce qu’il confie à un de ses anciens créanciers. Face aux infidélités répétées de sa compagne, avec qui il eût aimé, malgré son indignité, vivre « honnêtement » – d’après la police, en juillet 1883, il aurait été question de mariage –, il aurait été pris d'une frénésie meurtrière et, sous l'empire de la jalousie, il aurait déchiré le petit chien de Judith, selon ce que note admirativement Goncourt dans son Journal, à la date du 20 janvier 1886. Si surprenante qu'elle soit pour ceux qui connaissent l'amour de Mirbeau pour les animaux, et particulièrement pour les chiens, cette anecdote révélatrice n'a cependant rien d'invraisemblable, et elle a précisément inspiré au romancier une scène analogue du Calvaire. Il se pourrait même que ce soit la découverte du fauve homicide tapi en lui qui, le 22 décembre 1883, l'a poussé à fuir précipitamment au fin fond de la Bretagne, à Audierne, et, oubliant ses responsabilités de rédacteur en chef des Grimaces, qui disparaissent trois semaines plus tard, à se plonger, loin des miasmes mortifères de la capitale, dans la nature rédemptrice, dans l’espoir de se guérir de cette maladie « terrible et charmante, faite d'azur, de sang et de boue : l'amour »  (« L'Idéal », Le Gaulois, 24 novembre 1884). Ainsi fera aussi Jean Mintié, le narrateur du Calvaire. Mais, comme Juliette Roux dans le roman, Judith Vimmer est venue relancer son amant, qui, quoique se disant « martyrisé » par elle, lui écrit « des lettres, résignées » et « toutes pleines d’amour » : fin février 1884, elle le rejoint à Rennes. Mirbeau juge bien alors que ce n’est qu’une « pauvre tête vide », incapable d’éprouver la moindre émotion et, à plus forte raison, de l’amour vrai. Mais, confie-t-il à Hervieu le 2 mars, « je ne puis m’arracher ce sentiment du cœur » : « Je sais très bien ce qu’elle fait à Paris, quels sont ses plaisirs, et quelle est sa vie. Un autre en serait dégoûté et guéri. Moi pas, mon cher ami. À mesure que j’apprends des choses plus pénibles, et plus je suis malheureux. »

C’est seulement après son retour à Paris et sa rentrée dans la presse parisienne, où il chronique à tour de bras, et, surtout, après avoir entamé une liaison avec une ancienne femme galante, Alice Regnault (voir la notice), que Mirbeau commencera à voir la fin de son « calvaire ». Mais la véritable thérapie, ce sera la rédaction du roman qui porte précisément ce titre.

P. M.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, Correspondance générale, L’Âge d’Homme, 2003, tome I, pp. 313-344 ; Owen Morgan, « Judith Vimmer / Juliette Roux », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, pp. 173-175.


VOLLARD, ambroise

VOLLARD, Ambroise (1868-1939), marchand de tableaux, originaire de l’île de la Réunion. Il a découvert sa vocation artistique après avoir commencé des études de droit et travaillé un temps chez des marchands, avant de se mettre à son compte et d’ouvrir une galerie rue Laffitte, à Paris. Doté d’un goût très sûr, il a  organisé une exposition Manet en 1893, puis une exposition des Nabis deux ans plus tard, et une exposition Cézanne, qui a fait beaucoup de bruit, en décembre 1895, devenant à cette occasion le marchand exclusif du peintre aixois. En novembre 1896, il a organisé la première exposition de soixante toiles de Van Gogh. En mai-juin 1898, nouvelle exposition Cézanne. En juin 1902, il a présenté la première exposition d’Aristide Maillol, que Mirbeau a découvert avec enthousiasme à cette occasion. Il a été aussi l’ami de Degas et de Renoir, puis le marchand de Matisse et de Picasso. Bref, c’était vraiment un esthète avant-gardiste à l’esprit ouvert. Il s’est lancé par la suite dans l’édition de luxe d’œuvres littéraires illustrées par des artistes célèbres, notamment Parallèlement, de Verlaine, illustré par Bonnard, La Tentation de Saint-Antoine, de Flaubert, illustré par Odilon Redon, et, de Mirbeau, Le Jardin des supplices, illustré par Rodin, et Dingo, illustré par Pierre Bonnard. Il a aussi publié divers ouvrages sur Cézanne et Renoir, et des livres de souvenirs : Souvenirs d’un marchand de tableaux (1937) et En écoutant Cézanne, Degas, Renoir (1938).

Mirbeau a eu avec Vollard des relations différentes d’avec les autres marchands d’art, car il a dû sentir très vite qu’il avait affaire, non seulement à un négociant avisé, mais aussi à un véritable amateur d’art, capable de lancer des artistes aussi inconnus que prometteurs, tels que Cézanne, Van Gogh et Maillol. C’est chez lui qu’il a donc acheté, entre autres œuvres d’art, un Déjeuner sur l’herbe de Cézanne (150 francs), puis la Léda de Maillol, qui ornait sa cheminée, en 1902, et, les années suivantes, une Nature morte de Cézanne (1 500 francs), une Tête de femme, par Daumier (3 000 francs) et deux autres bronzes de Maillol (250 et 300 francs) ; mais, à en juger par les lettres de relance du marchand, il ne payait pas rubis sur ongle. En 1898 ou 1899, Vollard s’est adressé à Mirbeau pour obtenir de lui une lettre de recommandation auprès de Zola, car il était désireux de découvrir à Médan des Cézanne inconnus et bien cachés. De son côté, c’est vers Vollard que s’est tout naturellement tourné Mirbeau, quand il a songé à une édition de luxe du Jardin des supplices accompagnée de dessins originaux de Rodin : le contrat, signé le 10 février 1899, prévoyait un tirage de 200 exemplaires et, pour les deux auteurs, totalement désintéressés, seulement deux exemplaires chacun en guise de droits (le volume ne sortira que le 15 juin 1902). En 1903-1904, ils ont œuvré de conserve, mais en vain, pour que le monument à Zola soit confié à Maillol. Dix ans plus tard, Mirbeau a donné son accord pour une édition de luxe de Dingo, adornée de dessins de Bonnard, mais l’impression, retardée par la guerre, ne commencera qu’en novembre 1917 et le volume ne paraîtra qu’en décembre 1923.

P. M.

 

 

 

 


VUILLARD

VUILLARD, Edouard (1868-1940), peintre, graveur et décorateur français. Au lycée Condorcet, il rencontre K.-X. Roussel qui deviendra son beau-frère. Puis il suit des cours aux Beaux-Arts et à l’Académie Julian, où il se lie avec Sérusier, Denis, Bonnard avec qui il forme le groupe des Nabis ; ils exposent ensemble de 1891 à 1894 chez  Le Barc de Bouteville. Il collabore à La Revue Blanche. Son art schématique, aux aplats colorés cernés d’arabesques souples, aux mises en page audacieuses, est influencé par Gauguin et les estampes japonaises (Le Liseur, 1890). Comme en témoignent certaines de ses œuvres, il est également sensible aux théories pointillistes de Seurat (Les Débardeurs, 1890)  Même s’il fréquente le milieu symboliste, il reste fidèle au quotidien sans jamais se perdre dans le mystère et le fantastique ; peintre intimiste, il préfère les intérieurs bourgeois, les scènes de rue ou les portraits. Il s’intéresse également aux arts décoratifs, il travaille pour le Théâtre de l’Œuvre et le Théâtre-Libre et exécute de grandes décorations murales (salle à manger des Natanson, Foyer des Champs-Elysées, Palais de Chaillot…).

Mirbeau connaît Vuillard, qui collabore à La Revue blanche, il possède d’ailleurs plusieurs de ses lithographies. Il a sans doute  admiré  les « exquis panneaux » décoratifs qu’Alexandre Natanson a commandés au peintre pour la salle à manger de son appartement, ainsi que les dessins pour les affiches et les programmes que Vuillard a exécutés pour le Théâtre de l’Œuvre. Il est fort peu probable qu’il n’ait pas vu la première exposition de l’artiste qui s’est tenue, en 1891, dans les salons de La Revue Blanche. Cependant, même si leurs chemins se sont déjà croisés depuis longtemps, Mirbeau ne mentionne pas le nom de ce peintre avant 1900, et encore il n’est qu’un nom dans une liste glorieuse. Dans sa longue étude sur Maillol, le journaliste esquisse un premier portrait. C’est un portrait de groupe et, de plus, rapidement brossé, mais les figures se mettent en place : « Maillol entra dans un cénacle de précieux artistes, d’une haute culture intellectuelle et morale, les Vuillard, les Bonnard, les Roussel, les Valtat, les Maurice Denis, qui, comme lui, loin des arrivismes grossiers et des salissantes réclames, avec la même foi ardente, profonde et réfléchie, mais avec des sensibilités différentes, renouvellent l’art de ce temps et ajoutent une gloire à ses gloires. » (La Revue, 1er avril 1905). Les points que Mirbeau va développer dans ses articles ultérieurs et plus particulièrement dans celui de la vente de la collection Natanson, sont déjà en germes ici : leur éthique, leur esthétique et leur amitié. Pour lui, cette notion de groupe est importante, car elle est le reflet de sa conception de l’amitié. Ils partagent leurs ateliers, leurs découvertes, leurs passions, mais ils savent conserver leur personnalité qui est la marque de leur génie : « ils avaient, pour se maintenir étroitement unis, d’autres excitants que la gloriole, l’arrivisme, le désir du succès et de l’argent, ils avaient un lien commun plus noble : la volonté de développer, de fortifier ; chacun, dans son sens, leur personnalité. » (Préface au catalogue de l’Exposition Vallotton, janvier 1910). Il a beau exprimer à plusieurs reprises l’estime qu’il porte à  cet homme que l’on réduit à tort à  «  un charmant intimiste », alors qu’il « couvre les murs, les vastes panneaux décoratifs, de grands horizons qui vibrent dans la lumière, de grands ciels mouvants, de longues processions humaines » (ibid.), il l’associe cependant, systématiquement, aux autres Nabis. Jamais il ne lui consacrera un article personnel.

Voir aussi la notice Nabis.

L. T.-Z.


WAGNER, richard

WAGNER, Richard (1813-1883), célèbre compositeur post-romantique allemand, qui a contribué à révolutionner la musique, et au premier chef l’opéra, conçu comme une dramaturgie sacrée, en tentant de créer un « art total », en écrivant lui-même les livrets et en recourant au leitmotiv (il y en a 80 dans la Tétralogie). Il a mené longtemps une vie errante et précaire, à Riga, Dresde, Zurich, puis Munich, Lucerne et, pour finir, Bayreuth, où il fit construire son propre théâtre, inauguré en 1876. À partir de 1864, il a bénéficié de la protection du roi Louis II de Bavière, qui l’admirait infiniment et l’a largement subventionné. Après Rienzi (1842), œuvre de jeunesse, Le Vaisseau fantôme (1843) et Tannhäuser (1845), qui souleva un scandale à Paris en 1861, Lohengrin (1850) et Tristan et Isolde (1865), il s’attaqua à la fameuse Tétralogie de L’Anneau des Nibelungen, inspirée de la mythologie germanique et à laquelle il travailla plus de vingt ans : L’Or du Rhin, La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des dieux. Son chant du cygne fut Parsifal (1882). Anarchisant et révolutionnaire dans sa jeunesse, il a subi l’influence de Schopenhauer et a adopté par la suite des positions antisémites et nationalistes, qui seront, quelques décennies plus tard, exploitées à leur profit par les nazis.

En France, Wagner s’est heurté à une vigoureuse et durable opposition des nationalistes et revanchards locaux et de tous ceux qui ont été ulcérés par ses propos de 1864 contre les Français, « peuple de singes », après l’échec de Tannhäuser à Paris (trois représentations seulement). En mai 1887, une émeute de pseudo-patriotes a réussi à empêcher la poursuite des représentations de Lohengrin à l’Eden-Théâtre, ruinant du même coup le pauvre Charles Lamoureux, mais suscitant en retour les protestations des wagnérophiles et des pacifistes, parmi lesquels Mirbeau. Dès 1876, il a en effet ironisé sur le compte de ces « braves bourgeois qui s’imaginent faire œuvre de patriotisme en poussant des cris furieux chaque fois qu’ils voient sur un programme s’étaler le nom de Wagner » (« À bas Wagner ! », L’Ordre de Paris, 17 janvier 1877) :  « Ils crient, aboient et hurlent aux notes de Wagner. [...] Le patriotisme a bon dos » (« Chronique de Paris », L’Ordre de Paris, 4 novembre 1876). Dix ans et demi plus tard, après la suspension de Lohengrin, il prend l’initiative d’organiser un grand banquet de 160 couverts en l’honneur de Lamoureux et pour la défense de la liberté de l’art, le 16 mai 1887, à l’Hôtel Continental, mais il n’y prend pas la parole

Cependant la germanophilie et le pacifisme de Mirbeau ne suffiraient pas à expliquer son enthousiasme pour Wagner. S’il le défend, c’est surtout parce qu’il admire en lui « la plus sublime expression de l’art au dix-neuvième siècle ». Certes, Wagner a d’abord été « honni » et « hué », « comme le sont tous les grands artistes, tous les grands novateurs qui viennent secouer la routine du monde ». Mais il est maintenant « partout acclamé », sauf en France, où, néanmoins, les rangs de ses admirateurs ne cessent de grossir, car il convient de désarmer « devant un génie tellement superbe qu’il n’appartient plus à un pays seulement, mais à l’humanité tout entière ». Ce « génie », qu’il classe parmi « les plus grands », il a de nouveau l’occasion de le goûter lors de l’unique représentation de Lohengrin, œuvre qu’il qualifie d’« immortelle », le 3 mai 1887. Il y éprouve « une émotion sacrée », et tous les auditeurs autour de lui, « même les plus sceptiques », ont senti « remuer en eux quelque chose de nouveau », comme si la musique de Wagner avait la puissance d’apporter « la paix et l’amour dans cette nacelle d’argent, que guide le blanc oiseau symbolique ». Rêve malheureusement détruite par « l’émeute, insultante et blagueuse » (« La Rue », Le Gaulois, 8 mai 1887).

P. M.

 

 

 

 

 

 

             


WERTH, léon

WERTH, Léon (1878-1955), journaliste, critique d’art et romancier engagé. Il a collaboré au Gil Blas, à Paris-Journal et aux Cahiers d’aujourd’hui. Ami et admirateur de Mirbeau, il a rédigé, sur ses directives, les derniers chapitres de Dingo (1913). La même année, La Maison blanche, roman autobiographique préfacé et promu par Mirbeau, est à deux doigts d’obtenir le prix Goncourt. Il est mobilisé et blessé pendant la première guerre mondiale. Il  publie ensuite des ouvrages rigoureusement antimilitaristes et anticolonialistes (voir Cochinchine, 1925). Soucieux de préserver son indépendance, il s’est opposé, non seulement au fascisme, mais aussi au stalinisme. Parmi ses œuvres, citons Clavel soldat et Clavel chez les majors (1919), remarquables et mirbelliennes démystification de la guerre, de la mentalité du troufion moyen et des médecins militaires,  Le Monde et la ville (1922), ainsi qu’une étude sur Pierre Bonnard (1923). On a publié en 1992 son Journal de guerre. Saint-Exupéry lui a dédié Le Petit prince.

            Léon Werth apparaît, non comme un disciple de Mirbeau – ce mot leur eût certainement fait horreur à tous deux –, mais comme son héritier, son successeur, voire son fils spirituel. Comme son aîné, il est un intellectuel libertaire, engagé avec fougue et véhémence dans les affaires de la cité, mais tout aussi politiquement incorrect, parce qu’il a toujours soigneusement préservé son esprit critique et sa liberté de parole, au risque de s’attirer bien des rancunes, jusque dans son propre camp. Comme Mirbeau, il est un réfractaire, un insoumis, anticlérical, antireligieux, antimilitariste, antipatriote, anti-parlementaire, anti-bourgeois, anticolonialiste, anti-collectiviste, qui jette sur les choses un regard décapant. Lui aussi est un pessimiste endurci qui ne se fait aucune illusion sur les hommes, mais n’en a pas moins continué de lutter pour ses valeurs, dans le vague espoir de changer les mentalités et d’améliorer une organisation sociale aberrante. Seule nuance : Werth était plus misanthrope et quelque peu sceptique face à ce qu’il appelle « l’évangélisme anarchisant » de Mirbeau.

On comprend dès lors qu’entre eux se soit nouée d’emblée une relation de totale confiance. Le vieux lion fatigué et malade n’étant pas en état d’achever Dingo, entamé depuis plusieurs années, il demande à son jeune ami d’en écrire les derniers chapitres à sa manière. Vivement reconnaissant, Mirbeau fait publier chez Fasquelle le premier roman de Werth, La Maison blanche, lui fait cadeau d’une belle préface et se bat jusqu’au treizième tour, mais en vain,  pour lui décrocher le prix Goncourt 1913. L’année suivante, alors qu’il n’est plus du tout en état d’écrire, il accepte néanmoins de préfacer, bien péniblement, sa brochure Meubles modernes. Lorsque, cinq jours après sa mort, Alice Mirbeau fait paraître dans Le Petit Parisien le prétendu « Testament politique d’Octave Mirbeau », concocté par Gustave Hervé, Léon Werth fait partie des rares amis à protester, mais, dans une presse soumise à la censure et patriote à tous crins, il ne parvient pas à publier l’article dans lequel il démontre irréfutablement qu’il s’agit d’un faux patriotique, trahissant ignominieusement la pensée du grand écrivain disparu et entachant  gravement son image. Par la suite, il rendra à maintes reprises hommage à son vieux camarade disparu, notamment dans les Cahiers d’aujourd’hui, en 1922,  dans un article sur Mirbeau journaliste, et dans la préface à une réédition des 21 jours d’un neurasthénique, en 1954.

P. M.

 

Bibliographie : Claude Herzfeld, « La Verve mirbellienne de Léon Werth », Cahiers Octave Mirbeau, n° 10, 2003, pp. 159-166 ; Gilles Heuré, L’Insoumis Léon Werth, Viviane Hamy, 2005, pp. 24-26, 54-65 et 90-94 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau et Léon Werth », Société Octave Mirbeau, 2007 ; Jean de Palacio, « Léon Werth, doublure, continuateur ou alter ego  », Dix-neuf  / Vingt, n° 10, octobre 2000, pp. 65-76.

.

 


WHISTLER, james abbott mcneill

WHISTLER, James Abbott McNeill  (1834-1903), peintre américain qui a fait toute sa carrière en Europe, en Angleterre (il a longtemps vécu à Londres) et en France (il a étudié la peinture à Paris et, à l’occasion de ses nombreux séjours, il est devenu une figure de la vie parisienne). Il était lié d’amitié avec Mallarmé et Monet, et, par leur truchement, est devenu aussi l’ami de Mirbeau. Il a réalisé des paysages (de la Tamise, dont il a peint plusieurs nocturnes, et de Venise, notamment) et surtout de nombreux portraits : de sa mère (1871), de Lady Meux (1882), de Théodore Duret (1885), de Lady Dombasle (1885), de Pablo de Sarasate (1886) et de Robert de Montesquiou (1892). Il intitulait souvent ses tableaux par les contrastes de couleurs qui les caractérisaient, par exemple Symphonie en blanc, également connu comme La Fille en blanc (1862), Variations en violet et vert (1871), Arrangement en noir et gris (1871), Nocturne en bleu et or (1875), Harmonie en noir et rouge (1882),  Arrangement en noir (1884), ou Autoportrait en brun et or (1896), car, pour lui, c’est l'harmonie des couleurs qui importe seule, et non la représentation d’une réalité objective, raison pour laquelle il a pu être considéré par certains historiens de l’art comme un précurseur de la peinture abstraite. Mallarmé a traduit son Ten o’clock, conférence sur l’esthétique.

Mirbeau a longtemps manifesté pour Whistler une vive admiration, en dépit de ses gamineries et de son goût pour le scandale, la réclame, les dépenses inconsidérées et surtout pour la procédure (Whistler a, par exemple, intenté à Ruskin un ruineux procès en diffamation pour une critique un peu vive). En 1882, dans un article signé Demiton, il admire le portrait de Lady Meux, « une simple, belle et grande œuvre », où il y a, « dans l’harmonie générale du tableau, une mélancolie grandiose, qui fait penser à la Marche funèbre de Chopin » (Paris-Journal, 4 mai 1882). Trois ans plus tard, dans son « Salon », il qualifie Whistler de « portraitiste de race », avec « le charme sans rival de ses tonalités exquises » (« Le Salon I – Coup d’œil général », La France, 1er mai 1885), sa « délicatesse d’analyse » et son « mysticisme troublant » (ibid., 9 mai 1885) ; il admire particulièrement le portrait de Lady Dombasle, qui semble « brossé d’hier » et à travers lequel se révèle « toute une noblesse, toute une race », et il affirme que Whistler « a du style, et même un style qui lui est propre » (ibid., 26 mai 1885). L’année suivante, dans son « Salon » de La France, Mirbeau est admiratif devant « l’harmonie souveraine » du portrait de Sarasate, qui « dénote une habileté prestigieuse de dessinateur » et qui exprime « le caractère physique et le caractère moral de cette physionomie si intéressante » : « les passages du noir du noir du fond avec le noir de l’habit, ceux du noir de l’habit avec le blanc de la chemise et le ton enveloppé des chairs, sont ménagés avec une science étonnante » (24 mai 1886). Lors de l’exposition internationale de la rue de Sèze, un an plus tard, nouveau dithyrambe face aux « cinquante et un petits joyaux du prix le plus rare » présentés par le peintre américain, notamment des eaux-fortes « incomparables », qui n’ont d’égales que celles de Rembrandt, et un portrait de femme, « harmonie en noir, qui impressionne comme un mystère » (Gil Blas, 13 mai 1887). Dans son « Salon » de 1892, Mirbeau classe Whistler parmi les rares « élus » et admire particulièrement sa Place Saint-Marc, « avec ses architectures noyées de nuit » (Le Figaro, 6 mai 1892).

Par la suite, il n’est plus guère question de Whistler dans sa critique d’art, comme si la connaissance intime de l’homme avait ramené son admiration pour le peintre à des proportions plus modestes. Tout au plus Mirbeau voit-il en Whistler celui qui, par la connaissance qu’il en a, serait le mieux placé pour écrire « l’histoire du préraphaélisme, ce « prodige de folies esthétiques et d’erreurs morales », dont « il eut à souffrir » (« L’Homme au large feutre », Le Gaulois, 23 octobre 1896). C’est précisément par Whistler que Mirbeau a connu les dessous du curieux pacte passé, un quart de siècle plus tôt, entre le poète Dante Gabriel Rossetti et son disciple, le peintre William Morris, pour la possession de la sculpturale Jane Burden, épouse du second et maîtresse du premier : il en a tiré la matière première de sa chronique satirique intitulée « Intimités préraphaélites » (Le Journal, 9 juin 1895) et qui deviendra le chapitre X du Journal d’un femme de chambre, ajouté sur épreuves, au dernier moment.

En 1895, Mirbeau a accepté de seconder le peintre lors de ses démêlés avec l’écrivain George Moore, qui avait insulté Whistler dans un article de la Pall Mall Gazette : Whistler a alors chargé ses deux témoins, Mirbeau et Francis Viélé-Griffin, d'exiger soit une rétractation formelle, soit une réparation par les armes. Moore n’ayant pas répondu, l'affaire se termina par la publication d'un procès-verbal de carence dans Le Journal du 24 mars. Ce même jour, dans une chronique du Journal intitulée « Le Portrait de sa femme », Mirbeau évoquait le procès de Whistler avec un de ses clients, lord Eden, qui ne voulait payer un portrait grand format de son épouse que le dixième du prix habituel, amenant Whistler à ne pas livrer son œuvre, et il ironisait sur l’arrêt aberrant rendu le 27 février par le président Toutée, condamnant le peintre à rendre à Eden le portrait de sa femme, ainsi que les cent livres versées en paiement, à lui payer de surcroît mille francs de dommages-intérêts, et à supporter tous les frais du procès... Naturellement, Whistler fera appel et finira par  gagner, en 1896. Le jour même de la parution de l’article, il écrit à Mirbeau pour le remercier : « Je voulais surtout vous dire combien je trouve charmant et brillant le terrible “Portrait de sa femme” ! J’en suis ravi ! Étincelant de joie, qui est toujours l’arme des gentilshommes, et rayonnant de clarté, ce qui fait la terreur de nos ennemis ! / Et le tout sans effort, sans explication, enfin un petit chef-d’œuvre de gaieté ! Et la gaieté du vrai artiste rend fou l’imbécile qui est toujours coupable en lui mettant le désespoir dans l’âme ! / Je ne sais pas combien de numéros du Journal sont déjà partis pour Londres. »

P. M.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, « Le Portrait de sa femme », Le Journal, 24 mars 1895 ; Joy Newton, « Whistler, Octave Mirbeau and George Moore », Romance quaterly, volume 37, mai 1990, pp. 157-163.

 

 

 

 

 

 

 


WILDE, oscar

WILDE, Oscar (1856-1900), écrivain anglais anti-conformiste et décadent. Il a provoqué la société victorienne par son dandysme, ses multiples paradoxes et son amoralité revendiquée, et l’a choquée par son homosexualité affichée et sa liaison avec le jeune Alfred Douglas – qui lui valurent, en 1895, une condamnation à deux ans de hard labour. Il écrivit des poèmes (dont la célèbre et émouvante Ballade de la geôle de Reading, 1898), des contes, des pièces de théâtre à succès (L’Éventail de Lady Windermere, 1892, De l’importance d’être constant, 1895, Un mari idéal), des contes et des nouvelles (Le Crime de lord Arthur Savile, 1891), et surtout un roman, Le Portrait de Dorian Gray  (1891). Il écrivit aussi directement en français Salomé  (1893) pour Sarah Bernhardt. Il est mort à Paris, anonymement, ruiné et usé prématurément par la vie carcérale.

            A priori, sa réputation de dandy et de fabricant de bons mots n’était guère de nature à le faire apprécier de Mirbeau, qui n’avait que mépris pour ceux qui prétendaient afficher leur supériorité par leur tenue vestimentaire ou leurs mots d’esprit. L’esthétisme de Wilde, étranger à toute préoccupation politique, et son goût pour la peinture préraphaélite, exécrée par le chantre de Monet, n’étaient pas davantage de nature à les rapprocher : au chapitre X du Journal d’une femme de chambre (1900), Mirbeau n’hésitera pas à se moquer gentiment de Wilde, sous le masque transparent de sir Harry Kimberly, « fervent pédéraste », mais « tellement charmant », et fort bien introduit dans les milieux préraphaélites dont il distille quelques secrets. Quant à la pédérastie affichée du poète anglais, elle était de nature à créer un abîme avec l’auteur de Sébastien Roch, qui a conservé du traumatisme inaugural de ses années de collège une phobie pour l’homosexualité masculine. 

            Et pourtant, quand Wilde est condamné au hard labour, Mirbeau est un des rares, en France, à avoir pris sa défense dans deux articles du Journal, quotidien qui tire alors à 600 000 exemplaires : le 16 juin 1895, dans « À propos du hard labour », et le 7 juillet suivant, dans « Sur un livre ». Le relativisme culturel, l’impossibilité de définir ce qui est moral, et la dialectique de la pourriture et de la beauté, constituent autant d’arguments qu’il assène pour dénoncer « l’affreux supplice » infligé à « un parfait artiste » par une société qui se prétend civilisée, mais qui continue de recourir à de « vieilles coutumes barbares ». S’il passe par-dessus ses multiples réticences éthiques, politiques et esthétiques, c’est parce qu’il voit avant tout en Wilde la victime d’une féroce société de Tartuffes, et qu’il est impératif à ses yeux de le défendre face aux forces d’oppression, quelles que soient ses divergences par ailleurs. L’affaire Wilde lui sert aussi de révélateur de ce qu’il appelle « la gangrène morale » des sociétés modernes : loin d’être le propre de la seule Angleterre, c’est une tare caractéristique de l’ensemble des sociétés bourgeoises de l’époque, toutes également hypocrites et incohérentes : partout on se paye « de mots », parce que les mots ont pour mission, de camoufler les réalités sordides au lieu de les exprimer ; partout est ouverte la chasse aux génies et aux esprits libres, qui osent jeter sur les choses un regard neuf ou commettent le crime irrémissible « de mettre la Société en face d’elle-même, c’est-à-dire de son propre mensonge » (« À un magistrat », Le Journal, 31 décembre 1899).

C’est toute cette pourriture des sociétés occidentales qui s’exhibe à travers la condamnation de Wilde au hard labour. Mais c’est précisément sur cette pourriture que, selon Mirbeau, poussent les plus belles œuvres du temps, de même que les resplendissants parterres de fleurs du Jardin des supplices sont engraissés par les cadavres pourrissants des suppliciés innocents.

P. M.

           

Bibliographie : Pierre Michel, « Octave Mirbeau et Oscar Wilde », Rue des Beaux- Arts, n° 7, février-mars 2007 ; Liliane-Lou Ferreira, L’Ombre d’Oscar Wilde, Thélès-Elzévir, à paraître début 2010.

 

 


WILDER, andré

WILDER, André  (1871-1965), est un peintre français, auteur surtout de paysages et de marines. Il était le fils du musicologue et journaliste Victor Wilder, avec qui Mirbeau a eu un temps des relations amicales. Élève d’un certain Marius Michel, homonyme oublié du célèbre relieur d'art, mais aussi de l'académiste Gérôme, il a subi surtout l'influence de Claude Monet. Il a exposé au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts et au Salon d'automne.

En 1904, Mirbeau a préfacé l’exposition de quarante toiles du jeune peintre chez les frères Bernheim. Ce qui semble l’avoir intéressé, c'est surtout son émancipation culturelle. En dépit d'un enseignement artistique des plus réduits, Wilder a fini par trouver sa voie, au terme d'une véritable ascèse, et a pu enfin exprimer son « tempérament d'artiste » et vibrer d'émotion devant le spectacle de la nature, à l'instar de Van Gogh. Au lieu de ne retenir de cette nature  que des détails, comme les naturalistes frappés de myopie, ou des « anecdotes sentimentales », comme les peintres de genre à succès, il tâche d'en rendre le « mouvement cosmique » et les « rythmes élémentaires », dans la continuité de Monet et de Pissarro. De surcroît Wilder a peint des paysages que Mirbeau affectionne tout particulièrement : le port d'Anvers, les côtes flamandes et les canaux hollandais, que son ami Georges Rodenbach lui a fait visiter en 1896, et qu'il va bientôt traverser de nouveau et qu’il évoquera dans La 628-E8 (1907).

P.M.



Bibliographie : Pierre Michel, « Mirbeau et André Wilder », Cahiers Octave Mirbeau, n° 2, 1995 pp.  204-210.

 


XAU, fernand

XAU, Fernand (1852-1899), journaliste français. Il a d’abord collaboré au Phare de la Loire, journal de Nantes, puis, venu à Paris, au Voltaire, au Gil Blas et à L’Echo de Paris. Il s’est spécialisé, avant Jules Huret, dans l’interview et l’enquête (par exemple, l’enquête sur les répétitions générales au théâtre), mais il n’a pas la même capacité que le grand reporter ami de Mirbeau à faire accoucher les esprits. En 1892, il a acquis brusquement une grande notoriété et une puissance certaine lorsqu’il a été nommé rédacteur en chef du Journal, quotidien lancé à l’américaine et dont le tirage ne cessera d’augmenter, pour atteindre 600 000 exemplaires vers 1900 et un million en 1913. Mirbeau voit alors en lui le « Dieu du moderne journalisme ». Alcoolique et souvent ivre, Xau est mort prématurément, le 1er mars 1899, et c’est Alexis Lauze qui a pris sa succession.

Quand il est sollicité par Xau en août 1892, Mirbeau est encore sous contrat avec L’Echo de Paris. Il n’a donc pas d’emblée collaboré au Journal sous son nom et n’y fera son entrée officielle qu’en janvier 1894. Pour ses six premières contributions, du 30 octobre 1892 (« L’Orateur ») au 13 janvier 1893 (« Les Affaires au ciel »), il a dû recourir au pseudonyme de Jean Maure, derrière lequel se cache « une des personnalités les plus marquantes du journalisme et du roman contemporain », comme Le Journal l’annonce dans le chapeau précédant sa première chronique. Toujours serviable et bien décidé à faire de ce nouveau quotidien un instrument de ses combats, il est intervenu auprès de Xau, en quête de collaborateurs littéraires, pour qu’il fasse entrer au Journal, plutôt que de vieilles gloires fanées, des écrivains pleins d’avenir, « des jeunes gens ardents, combatifs, pleins du plus beau talent », tels que Bernard Lazare, Paul Adam, Remy de Gourmont – en faveur duquel il devra intervenir à maintes reprises par la suite –, Ernest La Jeunesse et Georges Lecomte ; chaque fois son entremise a été couronnée de succès, mais il a parfois bien du mal à coincer celui qu’il qualifie plaisamment de « concombre fugitif ». Pendant l’Affaire, il réussira aussi à caser au Journal Henry Bauër, chassé de L’Écho de Paris.

Dans une lettre à Camille Pissarro de novembre 1892, Mirbeau dévoile les dessous du Journal et montre un Xau assailli de quémandeurs de tout poil et caressant de cyniques arrière-pensées : « Il paraît que Xau est le Monsieur le plus assailli, le plus courtisané de France, pour le moment. On voit dans son  antichambre des foules respectueuses, qui attendent des jours, des semaines, des mois, la faveur d’être reçues par lui, ou seulement l’espérance de le voir. Ce sont des députés, des sénateurs, des académiciens, des évêques, des généraux, des peintres, des aéronautes. [...] Les fonds du journal ont été faits par MM. Letellier, Hersent, Couvreux, de grosses légumes d’entrepreneurs, qui ont commis des quantités d’escroqueries et de vols dans l’affaire du Panama. Ils ont fait Le Journal, pour se créer une influence, et tâcher de ne pas passer en police correctionnelle. Mais ledit Xau, qui comprend très bien que, le jour où ces brigands-là seront sauvés, ils retireront peut-être les fonds, travaille, en sous-main, pour les faire passer en correctionnelle. N’est-ce pas admirable ? »

Pendant l’affaire Dreyfus, Xau est anti-dreyfusard, ce qui interdit à Mirbeau de publier au Journal ses articles dreyfusistes et rend la cohabitation difficile. Quand Xau juge que Zola a commis « une mauvaise action » en publiant « J’accuse », le 13 janvier 1898, Mirbeau réplique, dans L’Aurore du 15 janvier, que c’est Xau qui « a commis envers Zola un acte d’inconvenance » : « Je ne lui reproche pas d’avoir des idées autres que celles de Zola. Je lui reproche seulement de les avoir exprimées sur un ton qui ne convenait pas. Il était tenu à la déférence envers un homme qu’il connaît assez pour savoir que Zola est un grand honnête homme et qu’il ne commet pas une mauvaise action. » Il réaffirmera poliment son soutien à Zola six semaines plus tard, dans les colonnes du Journal, mais ne cherchera pas à se brouiller avec Xau qui, par ailleurs, en guise de compensation peut-être, souscrira au Balzac de Rodin peu avant de passer ad patres.

P. M.

 

 

 

 

 

 

 


ZAMACOIS, eduardo

ZAMACOIS, Eduardo (1876-1971), écrivain espagnol. Journaliste, il a collaboré à El Cuento Semanal, à Los Contemporáneos, à Germinal, à  El Gato Negro, a été le correspondant à Paris de La Tribuna et a fondé et dirigé Vida Galante. Romancier prolifique, d’inspiration réaliste et volontiers érotique, il est l’auteur de La enferma (1895), Consuelo (1896), Punto negro (1897), Incesto (1900), El seductor (1902), Memorias de una cortesana (1904), Sobre el abismo (1905), dont le style a été comparé à celui de Mirbeau, etc. Républicain engagé, il a vécu en exil après la victoire des franquistes.

Zamacois a connu Mirbeau à Paris et a eu l’occasion de lui rendre visite avenue du Bois, vers 1902. Il a rendu compte élogieusement des Mauvais bergers dans La España artistica, en février 1898. Le 26 décembre 1904, dans sa rubrique de El Radical « Celebridades contemporaneas », il a consacré à Mirbeau un nouvel article sympathique, qui sera inséré en 1911, dans le chapitre « Octavio Mirbeau », de El teatro por dentro -  Autores, comediantes, escenas de la vida de bastidores. Plein d’admiration pour ce « professeur d’énergie » et ce « philanthrope », il retrace sa carrière en s’appuyant sur le Journal des Goncourt, puis évoque rapidement et élogieusement sa « trilogie douloureuse » et Les Mauvais bergers, pièce « sombre », parce qu’elle révèle le triomphe de l’injustice. Le Calvaire, « livre admirable », est « l’échec de l’amour », L’Abbé Jules est « l’échec du prêtre » que ses obligations privent de famille, quant à Sébastien Roch, « roman « terrible, pessimiste et amer », c’est « l’échec de l’éducation ». Pour Zamacois, le caractère dominant de Mirbeau est la révolte, combinée à une haine qui n’est que l’envers de l’amour.


P. M.

 


ZO D'AXA

ZO D’AXA, Alphonse Gallaud, dit (1864-1930), .militant, journaliste et pamphlétaire libertaire, d’inspiration individualiste. Ancien chasseur d’Afrique, il a déserté et vécu en exil, jusqu’à son amnistie, en 1889. Il a fondé et dirigé un hebdomadaire de combat anti-autoritaire et antimilitariste au titre emblématique, L’Endehors, qui a eu 91 numéros et vécu près de deux ans, du 5 mai 1891 au 19 février 1893. Il a été condamné à dix-huit mois de prison et 2 000 francs d’amende pour une série d’articles parus du 14 juin au 14 septembre 1892 sous le titre « Chourineurs de caserne ». Il a publié en 1895 Le Grand Trimard et De Mazas à Jerusalem et a fondé, en 1897, un pamphlet qui a eu vingt-cinq numéros, La Feuille. Passablement désabusé, il a fini par se suicider après avoir pas mal bourlingué à travers le monde.

En avril 1892, Mirbeau a envoyé 20 francs lors d’une souscription organisée par Zo d’Axa afin de venir en aide aux enfants d’un complice de Ravachol (voir la notice). C’est précisément à Ravachol qu’il a consacré le seul article signé de son nom paru dans L’Endehors, le 1er mai 1892 : il s’y réjouit que Ravachol n’ait pas été condamné à mort lors de son premier procès, car il n’est que le produit de la mauvaise organisation sociale : « Elle a semé la misère : elle récolte la révolte. » Même s’il n’y a plus collaboré, il n’a cessé de s’intéresser à cette publication, à laquelle collaborait notamment son ami Félix Fénéon (voir la notice) et dont l’individualisme et le non-conformisme lui plaisaient. Sur une gravure d'époque représentant la salle de rédaction de l’hebdomadaire, Mirbeau est présent aux côtés de Zo d’Axa, de Jean Grave et d’Augustin Hamon. Mirbeau et Zo d’Axa étaient alors surveillés par la police, comme Jean Grave, et des lettres échangées entre eux semblent avoir été interceptées.

P. M.

 

 

 

 

 

 


Page:  « Prev ... 16 17 18 19 20 Next »
Glossary 3.0 uses technologies including PHP and SQL