Familles, amis et connaissances

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Terme
IBSEN, henrik

IBSEN, Henrik (1828-1906), auteur dramatique norvégien, qui a vécu hors de son pays natal de 1864 à 1891. Il est un des phares de la rénovation théâtrale en Europe dans la deuxième moitié du siècle, en introduisant sur scène des problèmes moraux et sociaux en lien avec la vie moderne. Mais il n’est pas pour autant tombé dans le théâtre à thèse, et il a su dépasser l’opposition stérile entre naturalisme et symbolisme (voir par exemple Peer Gynt, 1867). Il avait la capacité de faire vivre des personnages fortement individualisés, dans des cadres bien précis et bien observés, engagés dans une action fortement agencée. Ses principales pièces sont La Comédie de l’amour (Kjærlighedens Komedie, 1862), Brand (1866), Une maison de poupée (Et Dukkehjem, 1879), Les Revenants (Gengangere, 1881), Un Ennemi du peuple (En folkefiende, 1882), La Dame de la mer (Fruen fra Havet, 1888) et Solness le constructeur (Bygmester Solness, 1892).

Au cours des années 1890, Mirbeau a eu l’occasion d’assister à de nombreuses représentations de pièces d’Ibsen : Les Revenants (Théâtre Libre, 30 mai 1890), Le Canard sauvage (Théâtre Libre, 27 avril 1891), Hedda Gabler (Vaudeville, 17 décembre 1891), Un Ennemi du peuple (Bouffes du Nord, 10 novembre 1893), Maison de poupée (Vaudeville, 20 avril 1894), Solness le constructeur (L’Œuvre, 3 avril 1894), Brand (22 juin 1895), Peer Gynt (L’Œuvre, 12 novembre 1896) et Jean-Gabriel Borkmann (L’Œuvre, 9 novembre 1897). Et d’emblée, comme son ami Marcel Schwob, il a été frappé par le « génie » d’Ibsen. Sollicité par Lugné-Poe de donner son avis sur Peer Gynt, il a d’abord jugé, au vu du manuscrit, que l’œuvre n’était pas vraiment faite pour la scène, mais il a ensuite reconnu volontiers, après la représentation, qu’il avait eu tort et, le 15 novembre 1896, il en a parlé élogieusement dans une désopilante chronique du Journal intitulée « Les Pintades », où il désigne par ce terme dépréciatif les grotesques critiques dramatiques, aussi insensibles à la beauté que ces volatiles stupides face  à des colliers en or. Il est revenu sur cette incompréhension des critiques face au théâtre scandinave dans sa chronique du 24 janvier 1897, « Entracte à l’Œuvre », où il faisait dialoguer l’un d’eux avec un abonné de l’Œuvre qui ne comprend rien à Ibsen : « C’est absurde, c’est incohérent, c’est obscur, c’est rasant… » Et pourtant, force lui est de reconnaître, bien malgré lui, « qu’il y a, tout de même, dans Peer Gynt, un je ne sais quoi… un petit rien, qui vous intéresse… Je sais comment cela commence… Un petit rien… Un petit picotement d’abord !… Et puis après, le grand frisson, le grand délire ! Ça y est !… Vous êtes fichu !… Cela devait arriver !… » Quelques jours plus tard, Mirbeau a uni Ibsen et Bjørnson dans un même hommage reconnaissant, parce qu’ils ont rénové le vieux théâtre enkysté et lui ont permis d’éprouver « de fortes joies et de nobles émotions » (La Revue blanche, 15 février 1897). Pendant l’affaire Dreyfus, le 29 mars 1898, il a volontiers accepté de faire de la figuration lors d’une représentation unique d’Un ennemi du peuple, au théâtre de la Renaissance, qui était aussi une manifestation politique en faveur de Dreyfus et de Zola.

P. M.

 


JARRY, alfred

JARRY, Alfred (1873-1907), est le fondateur de la pataphysique, définie comme « la science des solutions imaginaires », dans Gestes et opinions du docteur Faustroll (posthume, 1911). Il a mené sa vie durant une existence misérable et alcoolisée, Mirbeau et Thadée Natanson l’empêchant même, par leurs subsides, de mourir littéralement de faim. Très lié à Alfred Vallette et Rachilde, il a fréquenté un temps le milieu du Mercure de France, collaboré avec Remy de Gourmont pour L’Ymagier (1894-1895), été secrétaire du Théâtre de l’Œuvre ; puis il a collaboré à la Revue blanche, où il a connu Mirbeau, à La Plume et au Canard sauvage. Mais il a vécu le plus souvent retiré dans son petit « phalanstère » près de Corbeil. Son œuvre la plus célèbre, Ubu roi, représentée à l’Œuvre le 10 décembre 1896, lui a valu une notoriété de scandale à cause d’un retentissant « Merdre » inaugural, mais le personnage d’Ubu est vite devenu un type, auquel il s’est souvent amusé à ressembler – à l’instar de Monnier avec M. Prudhomme – et auquel Mirbeau s’est référé dans La 628-E8 (1907), pour caractériser Guillaume II en particulier et les monarques en général : « Ubu est d’ailleurs l'image la plus parfaite qu'on nous ait encore donnée des Empereurs, des Rois, et, disons-le, de tous ceux qui, à un titre quelconque, se mêlent de gouverner les hommes... ». Son œuvre combine étrangement la logique et la dérision, l’humour et la spéculation, le jeu et une conception tragique de l’homme. Il est notamment l’auteur de : César antéchrist (1895), Les Minutes de sable, mémorial (1896), Les Jours et les nuits, roman d’un déserteur (1897), L ‘Amour en visite, Messaline (1901) et Le Surmâle (1902). Ses chroniques du Mercure de France et de la Revue blanche ont été recueillies dans La Chandelle verte.

            Mirbeau et Jarry ont fait probablement connaissance à La Revue Blanche, au moment de la représentation d'Ubu Roi, après s’être ratés, en août 1896, lors du projet de représentation de Peer Gynt, quand Alfred Jarry, chargé de récupérer le manuscrit de la traduction de la pièce d’Ibsen par Prozor, que Lugné-Poe avait confié à Mirbeau pour avis, s’était déplacé pour rien à Carrières-sous-Poissy, Mirbeau étant alors en voyage. En août 1901, le sachant dans le voisinage, Mirbeau a invité Jarry dans sa résidence d’été de Veneux-Nadon (Seine-et-Marne). Dès son arrivée à bicyclette, le pataphysicien crotté aurait attrapé un superbe barbillon, suscitant ce commentaire de son hôte : « Depuis, on n'a jamais repris de barbillon à cette place, et Dieu sait si on a essayé de tous les engins. » (anecdote rapportée par Noël Arnaud dans Alfred Jarry, 1974, pp. 431-432).

Mirbeau appréciait vivement l’humour grinçant et provocateur de son jeune confrère, son goût de la dérision et du grotesque, sa veine farcesque et loufoque, son fraternel esprit de démystification radicale, qui permettent de mieux faire face à la masse des larves, décervelées par la fameuse machine jarryque, et des “respectables” fripouilles, auxquelles ils étaient tous deux allergiques, mais qui les fascinaient également. De son côté Jarry admirait son aîné et lui a offert et dédicacé tous ses ouvrage  (voir le catalogue de la vente de la bibliothèque de Mirbeau, 1919, t. I, pp. 68-69). Il a aussi rendu compte élogieusement des 21 jours d’un neurasthénique (Revue blanche, 1er septembre 1901) et de Les affaires sont les affaires, où il voit en Isidore Lechat « le cupide moderne », qui « restera aussi typique qu’Harpagon », et, dans l’accident automobile du dénouement, « le deux ex machina », la machine jouant le rôle du dieu (Le Canard sauvage, 18 avril 1903, et La Plume, 15 juin 1903). Quant au  roman-patchwork de son aîné, voici comment il le perçoit : « De l’horreur, du courage, de la violence, de la tendresse, de la justice, fondus en beauté dans trois cents pages. [...] La ville d’eau où séjourne le neurasthénique prend des proportions énormes pour contenir ses formidables et burlesques hôtes, et c’est bien en effet, la société tout entière qui se cristallise dans cette vingtaine de fripouilles, admirables à force d’ignominies – et de vérité – groupées autour de la buvette. »

P. M.

 

Bibliographie : Alfred Jarry, La Chandelle verte, Le Livre de Poche, 1969, pp. 307-309 rt 600-601 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau et Alfred Jarry, ou l‘amitié sans pareille d'un Don Juan de l'Idéal et d'un pataphysicien crotté », L'Étoile-Absinthe, n° 49-50, janvier 1992, pp. 3-20.


JAURES, jean

JAURÉS, Jean (1859-1914), célèbre homme politique français. Normalien et agrégé de philosophie, il a mené d’abord une carrière d’enseignant et de journaliste, puis une carrière politique. Professeur de  philosophie à Albi et alors radical, il a été élu député du Tarn en 1885. Battu en 1889, il a été réélu à Carmaux en 1893. Il découvre alors la misère de la condition ouvrière et se rallie au socialisme. Il est de nouveau battu en 1898, au cœur de l’affaire Dreyfus, au cours de laquelle, à la différence de Jules Guesde, il a rallié les socialistes à la cause de la Vérité et de la Justice. Il a fondé L’Humanité en 1904 et le Parti Socialiste Unifié, Section Française de l’Internationale Ouvrière, en 1905. Par son humanisme et ses talents d’orateur et de tribun, il a exercé pendant une douzaine d’années un magistère moral et une influence considérable sur l’ensemble de la gauche. Il a été assassiné à la veille de la déclaration de guerre. Outre une innombrable quantité de discours, il a soutenu deux thèses de philosophie, publié Les Preuves de l’innocence du capitaine Dreyfus, et il a aussi fait œuvre d’historien avec La Commune (en collaboration avec Louis Dubreuilh), Histoire socialiste (1789-1900) (1901-1908), qu’il a dirigé, et Histoire socialiste de la Révolution française (1901-1904).

Mirbeau a longtemps critiqué le « socialisme d’État » et ce qu’il appelle le « collectivisme » de Jaurès, ayant comme un pressentiment de ce que serait le totalitarisme stalinien : « Quand M. Jaurès proteste avec indignation contre la qualification de “socialiste d’État” que M. Léon Say lui donna un jour, à la tribune, cela nous fait sourire un peu, vraiment. Et il ne fait que jouer sur les mots. Non, M. Jaurès n’est pas un socialiste d’État, selon la signification, d’ailleurs arbitraire, que l’on attribue à cette sorte de politicien. Mais il est quelque chose de pire. Qu’est-ce donc le collectivisme, sinon une effroyable aggravation de l’État, sinon la mise en tutelle violente et morne de toutes les forces individuelles d’un pays, de toutes ses énergies vivantes, de tout son sol, de tout son outillage, de toute son intellectualité, par un État plus compressif qu’aucun autre, par une discipline d’État plus étouffante et qui n’a d’autre nom dans la langue, que l’esclavage d’État ? Car enfin je voudrais bien savoir comment M. Jaurès concilie, avec la servitude de ses doctrines collectivistes, son respect avoué de l’individualisme, et comment, toutes ses idées s’étayant sur l’État, il peut, un jour, rêver la disparition de cet État qui est la seule base où il prétend instaurer sa société future » (« Questions sociales », Le Journal, 20 décembre 1896). De son côté, Jaurès n’a pas du tout apprécié le nihilisme des Mauvais bergers (1897), ni les attaques de Mirbeau contre les députés socialistes, accusés par Jean Roule de trahir les luttes ouvrières après les avoir exacerbées : « Effarant ! », titre-t-il son article de La Petite République, le 25 décembre 1897.

Les deux hommes se sont réconciliés pendant l’Affaire, et, lorsque Jaurès a commencé la publication des « preuves » de l’innocence de Dreyfus dans les colonnes de La Petite République, Mirbeau, s’adressant « à un prolétaire », le supplie d’écouter Jaurès, « la grande parole », plutôt que Jules Guesde, le mauvais berger, et de crier avec lui « Vive Zola ! » : « Et écoute Jaurès. C’est un grand logicien, lui aussi, et c’est un grand poète, un grand apôtre, une grande Parole, et une grande Âme de Justice !... » (« À un prolétaire », L’Aurore, 8 août 1898).

En avril 1904, Mirbeau a d’emblée accepté de collaborer à L’Humanité, le quotidien socialiste créé par Jaurès. Pendant six mois, il y a donné un article par quinzaine et y a notamment mené bataille contre l’autocratie tsariste. Mais il s’en est éloigné, en novembre, lorsque la politique politicienne et partidaire – la préparation de la fusion des partis socialistes –  lui a paru prendre le pas sur les questions sociales, esthétiques et littéraires, largement prioritaires à ses yeux. Il a néanmoins continué à soutenir le journal et à admirer Jaurès, en particulier dans son combat, couronné de succès en 1906, pour faire reconnaître l’innocence d’Alfred Dreyfus, auquel tous deux, minoritaires chez les dreyfusards, sont resté fidèles. En 1908, à en croire Jules Renard, Mirbeau a retrouvé Jaurès  à Contrexéville et l’aurait promené en voiture à travers les Vosges.

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Mirbeau et Jaurès », in Jaurès et les écrivains, Orléans, Centre Charles Péguy, 1994, pp. 111-116 ; Pierre Michel, « Une lettre inédite de Jaurès à Mirbeau », Cahiers Jean Jaurès, n° 156, février 2001. 

 

 


JEAN-MAURIENNE

JEAN-MAURIENNE, pseudonyme de René Fodéré, était un médecin et un homme de lettres, actif dans les premières décennies du vingtième siècle. Il a publié des romans (Michel Mornois, scènes de la vie médicale, 1907, Fleur fanée, 1926, L’Écho. Le Premier client, 1927) et des études sociologiques et médicalo-littéraires : Les Coulisses du palais : cuisine judiciaire (1925), Les Roulants. Vie du moderne Gaudissart (1930) et Maupassant est-il mort fou ? (1947), qui a eu l’honneur d’une traduction espagnole.

Complètement oublié aujourd’hui, Jean-Maurienne doit sa très modeste notoriété, en même temps que sa présence dans ce dictionnaire Mirbeau, au fait qu’il a pris, en 1930, l’initiative de constituer une Société des amis de Mirbeau. Il a contacté à cette fin bon nombre de ceux que le grand écrivain avait loués et contribué à lancer et, à l’en croire, s’est heurté à maintes réticences. Il faut bien imaginer cependant qu’il n’a pas dû être complètement étranger, du fait de son esprit brouillon et vindicatif et de ses maladresses diverses, qui ont rapidement fait le vide autour de lui, à l’échec de cet ancêtre de notre Société Octave Mirbeau. Ses réalisations, avant qu’il ne rende l’âme, se limitèrent en fait à l’apposition d’une plaque sur la maison natale de Mirbeau, à Trévières, et encore fut-elle payée par Sacha Guitry... Jean-Maurienne a du moins tiré de cette très modeste expérience la matière d’un volume vengeur, Tribulations de la Société des amis d’Octave Mirbeau - Souvenirs d’un désenchanté, publié en 1939 par la Société  Française d’Imprimerie et de Librairie (247 pages) et dont, semble-t-il, le tirage a été extrêmement modeste. Jean-Maurienne y exprime sa déception de mirbeauphile. Les anecdotes qu’il rapporte sont révélatrices tout à la fois de la passion suscitée par Mirbeau chez les happy few, et des réserves qu’il éveille chez des écrivains et artistes arrivés, souvent, grâce à lui, et qui ne semblent guère lui en avoir de la reconnaissance. L’auteur cite de nombreux documents, notamment des lettres de Gaston Chérau, Sacha Guitry, Eugène Fasquelle, Roland Dorgelès, Léon Deffoux, Lucien Descaves, Léon Hennique, Léon Frapié et Lucie Delarue-Mardrus.

 

P. M.

 

Bibliographie : Roger Jouet, « Octave Mirbeau et Trévières », in Colloque Octave Mirbeau, Éditions du Demi-Cercle, 1994, pp. 11-18.

 

 

 

 


JEANNIOT, georges

JEANNIOT, Georges (1848-1934), peintre, dessinateur et illustrateur français. Ancien officier, il s’est converti à la peinture et à la gravure, auxquelles il s’est consacré entièrement à partir de 1888, date de sa démission de l’armée. Il fréquentait le milieu des peintres impressionnistes et des écrivains naturalistes. Il a réalisé des toiles présentant de la guerre une vision réaliste, qui ne cherchait pas à l’héroïser, à la différence de Detaille et de la plupart des peintres exposant au Salon, ce qui était de nature à plaire à Mirbeau. Il a illustré également bon nombre de romans, notamment Germinie Lacerteux, des frères Goncourt, Les Soirées de Medan, Tartarin de Tarascon, de Daudet, Contes choisis de Maupassant, Les Misérables, de Victor Hugo, Les Liaisons dangereuses, de Laclos, et Le Calvaire, de Mirbeau.

Dans son « Salon » de 1886, rendant compte de La Ligne de feu, qu’il analyse très longuement, Mirbeau oppose avantageusement Jeanniot à Detaille et le loue d’avoir montré « de vrais soldats » et d’avoir « donné un magistral coup de pied dans la convention des petits soldats de plomb » : « Il est superbe, ce tableau, et il nous promet un grand peintre militaire », mais, ajoute-t-il, « en montrant tant de talent indépendant dans un genre habitué à voir triompher tant de convention puérile », Jeanniot « s’expose à bien des difficultés et bien des luttes » (La France, 16 mai 1886).  Éloge du même tonneau, mais lapidaire, dans son « Salon » de 1892 : « M. Jeanniot excelle à donner un caractère de vérité, une interprétation libre à ses épisodes de la vie du soldat. Il nous en montre le côté philosophique et humain, sans aucune arabesque patriotique » (Le Figaro, 6 mai 1892). L’année suivante, il regrette de n’avoir pas trouvé la place pour parler de nouveau de Jeanniot, mais il le reçoit à plusieurs reprises à Carrières. Pendant l’affaire Dreyfus, il le sollicite pour illustrer une réédition du Calvaire : le contrat est signé le 30 janvier 1899 et le volume paraît, chez Ollendorff, en octobre 1900. Mirbeau est ravi des soixante-douze illustrations de Jeanniot, la plupart dans le texte, et l’en remercie chaleureusement : «Vos dessins sont âpres, nerveux, très divers, très humains… Je ne connais pas un livre qui soit mieux illustré que le mien. Et s’il reste, c’est à vous que je le devrai… J’ai retrouvé, exprimé mieux que par le texte, tout ce qui parfois encore me gonfle le cœur. » Il lui demande alors un dessin illustrant Le Journal d’une femme de chambre : représentant Célestine en train d’écrire son journal, ce dessin, sous-titré « Un qui m’intrigue, c’est Joseph », paraîtra en couverture du numéro du 18 novembre 1900 du Cri de Paris des frères Natanson.

P. M.

 

 

 

 

 

 

 


JOUBERT, edmond

JOUBERT, Edmond, était un banquier et un homme d’affaires. En 1869, avec Adrien Delahante et Henri Cernuschi, il a fondé la Banque de Paris, dont le siège était situé à Paris, au 3 de la rue d'Antin. Trois ans plus tard, elle a fusionné avec la Banque de Crédit et de Dépôt des Pays-Bas, créée en 1863 par Louis-Raphaël Bischoffsheim, pour donner naissance à la Banque de Paris et des Pays-Bas, la future Paribas. Edmond Joubert est devenu le vice-président du conseil d’administration de cette importante banque d’affaires. Il est décédé en 1895.

            Après avoir quitté Arthur Meyer, dont il était le secrétaire particulier, Mirbeau a travaillé pour Edmond Joubert, dans des conditions que nous ignorons. Sous le pseudonyme de Gardéniac, il lui a consacré un article élogieux dans Le Gaulois du 19 mars 1882, à l’occasion de la mort de sa mère, le louant notamment d’avoir eu le mérite de « pousser » dans la vie « des jeunes gens chez qui il pressentait des aptitudes spéciales ». Il est probable qu’il a accompagné son patron en Hongrie en avril 1882 – voyage qu’il évoquera en 1898 lors d’un meeting dreyfusard. C’est Joubert qui, avec l’aide des frères de Mourgues, imprimeurs, a commandité Les Grimaces, hebdomadaire de combat qui a duré six mois, du 21 juillet 1883 au 12 janvier 1884, et dont Mirbeau était le rédacteur en chef. Mais il a rapidement mis fin à l’expérience, après avoir exigé que le nom de Mirbeau disparaisse de la couverture, peut-être parce qu’il craignait des dérapages peu compatibles avec ses intérêts de capitaliste. Il gardera néanmoins de bonnes relations avec son ancien porte-plume, qui lui manifestera sa sympathie lorsqu’il sera inculpé, en mai 1890, ans l’affaire dite “des métaux”

            Voir aussi Les Grimaces.

P. M.


JOURDAIN, francis

JOURDAIN, Francis (1876-1956), fils de l’architecte Frantz Jourdain, est un peintre, un dessinateur, un décorateur, un architecte et un mémorialiste. Artiste et écrivain engagé à l’extrême gauche, il a été un compagnon de route du Parti Communiste entre les deux guerres et il est resté toute sa vie ardemment pacifiste et antimilitariste. Ami des Nabis et influencé par les « fauves », il a été un des premiers promoteurs des arts décoratifs modernes. Il a collaboré aux Cahiers d’aujourd’hui, de George Besson, avant et après la première guerre mondiale. Il est l’auteur de deux livres de souvenirs : Né en 1876 (1951) et Sans remords ni rancune (1953), où il raconte notamment comment Mirbeau a acheté au père Tanguy les Iris et  les Tournesols, de Van Gogh, à l’insu de sa pingre épouse, à qui il a fait croire qu’il s’agissait de cadeaux pour le remercier de ses articles.

Il a toujours manifesté une très vive admiration et une grande ferveur pour Octave Mirbeau, auquel il est resté immuablement fidèle et qu’il a évoqué à plusieurs reprises avec beaucoup de sympathie. Mirbeau voyait en lui un esprit fraternel et appréciait vivement son goût et la sûreté de son jugement : ainsi c’est Francis Jourdain qui lui a fait découvrir Marie-Claire, de Marguerite Audoux, en décembre 1909. En 1912, Jourdain a fondé les Ateliers Modernes, dont l’objectif était de fabriquer des meubles fonctionnels et bon marché, à vocation de masse, et il a alors été soutenu par Mirbeau, qui a accepté de préfacer la plaquette de Léon Werth sur cette entreprise de leur commun ami Francis Jourdain.

P. M.

 

Bibliographie : Francis Jourdain, « À propos d'Octave Mirbeau », Commune, mars 1937, pp. 769-774 ; Francis Jourdain, « Un grand écrivain méconnu : Octave Mirbeau », L’Humanité, 12 mai 1950 ; Francis Jourdain, « Mon cher Mirbeau », in Né en 1876, Éditions du Pavillon, 1951, pp. 249-255 ; Octave Mirbeau, lettres à Francis Jourdain, Cahiers d’aujourd’hui, n° 9, 1922, pp. 177-180.

 

 


KAFKA, franz

KAFKA, Franz (1883-1924), écrivain tchèque de langue allemande, qui a passé toute sa vie à Prague, alors situé en Autriche-Hongrie. Issu d’une famille juive, il a eu des relations difficiles avec son père et, par la suite, avec les femmes. À partir de 1907, jusqu’en 1922, il a travaillé avec beaucoup de sérieux comme employé dans une compagne d’assurances, mais, atteint de tuberculose, il a dû démissionner pour se soigner en sanatorium et il est mort à quarante ans. De son vivant, il n’a publié que de rares récits, notamment La Métamorphose (Die Verwandlung, 1915) et La Colonie pénitentiaire (In der Strafkolonie, 1919). La plupart de ses œuvres ont été publiées après sa mort par son ami et exécuteur testamentaire Max Brod, qui ne les a pas brûlées, contrairement aux dernières volontés de Kafka : Le Procès (Der Prozeß, 1925), Le Château (Das Schloß, 1926), inachevé, L’Amérique (Amerika), également inachevé, et Le Terrier (Der Bau). Ses œuvres ont donné lieu à de multiples commentaires, les uns insistant sur leur portée métaphysique, d’autres sur leur portée sociale, les uns sur la vision tragique de l’homme et d’autres sur l’humour noir et la cocasserie, qui, paraît-il, faisaient rire Kafka aux éclats quand il lisait ses propres textes à des amis. Ce qui est le plus souvent mis en lumière, c’est l’absurde, pré-existentialiste, de la condition humaine, et la critique de l’État bureaucratique, tentaculaire et aberrant, où l’on a souvent perçu comme une préfiguration des totalitarismes du vingtième siècle.

Nous savons que Kafka a lu Mirbeau, du moins des volumes traduits en allemand  et qui figuraient dans sa bibliothèque, tels que Le Jardin des supplices (Der Garten der Qualen) et un recueil de six contes, non recueillis en volume en France, et qui a paru à Vienne en 1903, sous le titre Laster und andere Geschichten. Plusieurs commentateurs (Burns, Gruhn, Ivanovic et Muzzi, notamment) ont bien noté l’influence certaine exercée par les descriptions du bagne chinois, par Mirbeau, sur La Colonie pénitentiaire de Kafka, deux évocations d’un monde où l’innocence n’est pas reconnue, et ont en particulier rapproché les personnages de l’officier kafkaïen et du bourreau mirbellien. Mais un autre rapprochement devrait également s’imposer : « La Vache tachetée », conte écrit pendant l’affaire Dreyfus (voir la notice), et qui met en lumière la radicale absurdité de la si mal nommée “Justice” en présentant le cas absurde et tragique d’un innocent condamné à mort parce qu’on l’accuse de posséder une vache tachetée qu’il ne possède même pas, semble bien être une anticipation du Procès. Reste à déterminer si Kafka a pu en lire une traduction dans un journal de langue allemande, ou bien le lire en français lors de sa publication dans Le Journal en novembre 1898, ou à l’occasion d’une reprise dans une revue. Il est aussi à noter que, dans le recueil Laster und andere Geschichten, on trouve également deux contes qui ont à coup sûr pu être lus par Kafka et qui étaient susceptibles de le marquer : « Tatou » et « En attendant l’omnibus ».

Il est sûr que les deux écrivains ont en commun une vision à la fois tragique et distanciée de l’homme et de la société, le refus libertaire de la domination étatique et de toutes les formes d’aliénation et le goût d’une littérature qui, tout en étant ancrée dans le réel, refuse le réalisme et, à la frontière du fantastique, du mythe et de la fable, tâche d’obliger le lecteur à regarder Méduse en face et à s’interroger.  Mais l’étude de l’influence effective de Mirbeau sur Kafka reste à faire.

  P. M.

 

Bibliographie : Wayne Burns, « In the penal colony : variations on a theme by Octave Mirbeau », Accent, Urbana, n° 17, 1957, pp. 45-51 ; Dorit Heike Gruhn, Untergang der Folterkultur als konservative Kulturkritik ? Ein Vergleich zwischen der Bedeutung von Franz Kafkas Figur des Offiziers “In der Strafkolonie” und Octave Mirbeaus chinesischem Folterer in “Der Garten der Qualen” als Quelle für Kafka, Hagen, 1999, 36 pages ; Claude Herzfeld, « Mirbeau, Kafka et la domination », Cahiers Octave Mirbeau, n° 12, 2005, pp. 247-271 ; Christine Ivanovic, « Vergleich der Gewahltdarstellungen in Octave Mirbeaus Der Garten der Qualen (1899) und in Franz Kafkas In der Strafkolonie (1919) », site Internet d’Anna-Vision, 2002, 18 pages ; Alain Montandon, « Anthropologie et douleur. Mirbeau et Kafka », in M. Schmitz-Emans & Ch. Winterhalter (éd.), Komparatistik als Humanwissenschaft, Königshausen & Neumann, Würzburg, 2008 ; Nino Muzzi, «  Una fonte trascurata », The Kafka project, novembre 2004.

 


LA JEUNESSE, ernest

LA JEUNESSE, Ernest (1874-1917), journaliste, polémiste, et romancier, qui possédait aussi un certain talent de dessinateur. Il est “monté” à Paris mener sa carrière littéraire après avoir passé sa jeunesse à Nancy. Il a été une figure curieuse et pittoresque du boulevard et de la littérature au tournant du siècle, tant par ses œuvres irrévérencieuses, qui dénotent un esprit libre, sans préjugés ni crainte de choquer les « honnêtes gens », que par ses impertinences calculées et volontiers colportées, sa laideur proverbiale, une apparence de petit vieillard qui dément son patronyme, sa voix de castrat et ses excentricités vestimentaires. Outre Les Nuits, les ennuis et les âmes de nos plus notoires contemporains (1896), volume quelque peu insolent qui l’a signalé à l’attention de Mirbeau, il a publié des romans « contemporains » (L’Holocauste, 1898, L’Inimitable, 1899, Sérénissime, 1900), des critiques dramatiques (Des soirs, des gens, des choses, 1911), de la critique littéraire passablement impertinente (Cinq ans chez les sauvages, 1901), et L’Imitation de notre maître Napoléon (1897), dont l’ex-bonapartiste Mirbeau a rendu compte élogieusement dans Le Journal du 31 janvier 1897. La Jeunesse collaborait aussi au Journal, mais, cordialement détesté de la plupart de ses confrères, il s’y était fait beaucoup d’ennemis. Ainsi Alfred Jarry l’a-t-il caricaturé dans Les Jours et les nuits, sous le nom d'Allmensch Severus.

            Mirbeau a été le protecteur attitré du jeune littérateur venu de sa province et qui, un peu perdu dans la jungle parisienne, s’est adressé à lui comme au seul capable de le comprendre et de l’aider. C’est lui qui lui a notamment permis d’être embauché au Journal et d’y gagner sa pitance, lui aussi qui, selon toute vraisemblance, a intercédé auprès de Fasquelle pour qu’il publie Les Nuits. Il apprécie en effet, chez La Jeunesse, son esprit de rébellion, son idéalisme naïf, son ironie, son déboulonnage des gloires consacrées, et aussi son tempérament qui lui confère un style personnel. De son côté, La Jeunesse voue à son « Maître », comme il l’appelle, une vive admiration qui ne s’est jamais démentie. Dans Cinq ans chez les sauvages, il raconte comment il a eu, le 25 mars 1891 exactement, la révélation de Mirbeau grâce à  la reprise, dans La Vie populaire, d'un de ses contes, « Le Pauvre sourd ». La lecture du Calvaire, de L’Abbé Jules et surtout de Sébastien Roch lui a permis ensuite de se découvrir un véritable ami,  « un ami lointain et proche, l'ami des jours de jeûne et des soirs de deuil, l'ami des nuits glacées et des pâles aurores, l'ami qui ne tenterait pas méchamment de m'apporter la banale consolation aux souffrances qu'on ne console pas, qui me donnerait la fièvre et le feu, le dégoût et la colère ». Mieux encore, Mirbeau est devenu pour lui un professeur de liberté, ce qui n’a pas dû manquer de flatter son amour-propre... Il semble cependant que leurs relations se soient distendues par la suite : peut-être Mirbeau a-t-il fini par comprendre tout ce qu’il y avait d’arrivisme et d’égoïsme derrière des insolences trop calculées pour être totalement honnêtes.

            Les lettres de Mirbeau à La Jeunesse sont recueillies dans le tome III de sa Correspondance générale.

 

P.M.

 

            Bibliographie : Pierre Michel, « Octave Mirbeau et Ernest La Jeunesse », Cahiers Octave Mirbeau, n° 2, 1995, pp.  172-203.

 


LANDAUER, gustav

LANDAUER, Gustav (1870-1919), écrivain et militant anarchiste allemand. Exclu de l’université à cause de son activisme, il a d’abord fait partie de l’Association des socialistes indépendants, qui a fait scission d’avec le S.P.D. marxiste, et au début de 1893, est devenu rédacteur en chef de leur organe, Der Sozialist, auquel il a donné une orientation nettement anarchisante, très critique à l’égard du S.P.D. Il a été plusieurs fois emprisonné à cause de ses activités militantes. Il a participé à la fondation de la Neue Freie Volksbühne, en octobre 1892, et a été membre de la commission artistique chargée du choix des pièces, qui étaient  données officiellement sous forme de représentations “privées” pour contourner la censure prussienne. En 1893, il a publié Der Todesprediger (1893), roman où se ressent l’influence de Nietzsche et qui comporte un plaidoyer en faveur de Ravachol. Après le tournant du siècle ont paru ses discours programmatiques : Die Revolution (1907) et Aufruf zum Sozialismus (1911). En 1909, il a repris la direction du Sozialist, mais cette fois c’était pour en faire l’organe du Sozialistischer Bund, qu’il avait fondé en 1908.  Pendant la révolution de 1918 en Allemagne, il eut un rôle important en tant que commissaire à la culture dans la République des Conseils en Bavière, proclamée le 7 avril 1919. Après l’effondrement de cette éphémère République, Landauer a été arrêté par les troupes blanches, le 1er mai 1919, et assassiné le lendemain, à la prison de Stadelheim, à Munich.

Landauer s’est senti une fraternité d’esprit avec Mirbeau après avoir lu, dans la préface de Grossmann à sa traduction de La Grève des électeurs, qu’il était « antipolitique ». Il a découvert ensuite, dans Les Temps nouveaux, des extraits des Mauvais bergers, qu’il a alors entrepris de traduire, particulièrement intéressé par la critique des politiciens socialistes. Mais, condamné à six mois pour délit de presse, c’est en prison qu’il s’est attelé à cette traduction, réalisée en dix jours, avec l’aide de son ami Fritz Mauthner. Il était encore en prison, où il n’avait plus que 24 heures à purger, lorsque a eu lieu, à Berlin, au théâtre Thalia, la représentation des Schlechte Hirten, par la Neue Freie Volksbühne, le 25 février 1900. La pièce a fait une grosse impression sur les 1 100 spectateurs, mais, sans doute pour des raisons financières, il n’y eut pas de seconde représentation. Il est à remarquer que, contrairement au texte français et à la traduction, fidèle, de Landauer, le dénouement a été modifié à la représentation : Madeleine ne meurt pas au cinquième acte, et tout espoir ne meurt donc pas avec elle et avec l’enfant qu’elle porte, et qui, peut-on imaginer, sera un jour le vengeur des ouvriers massacrés... En 1912, Landauer a publié une interview de Mirbeau sur le siège de Tripoli (« Der Raubzug nach Tripolis », Der Sozialist, 1er janvier 1912), mais il ne semble pas avoir eu avec lui de relations directes.

P. M.

 

Bibliographie : Walter Fähnders  et Christoph Knüppel,  « Gustav Landauer et Les Mauvais bergers », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, 1996, pp. 207-211.


LARBAUD, valery

LARBAUD, Valery (1881-1957), écrivain français. Très riche (son père possédait les sources d’eaux minérales Vichy Saint-Yorre), il a mené une vie de dandy et d’esthète, sans jamais être obligé de travailler, mais, ayant dépensé toute sa fortune, il sera, sur le tard, contraint de vendre tous ses biens, y compris son immense bibliothèque. Polyglotte, critique et traducteur, il a été un passeur et a notamment contribué à acclimater en France James Joyce et Samuel Butler. Il a fait ses débuts littéraires en 1908, avec un recueil de Poèmes d’un riche amateur, publié sans nom d’auteur (complété et réédité en 1913 sous le pseudonyme de Barnabooth), puis avec un roman, Fermina Márquez (1911), qui a concouru pour le prix Goncourt. Il est également l’auteur de Ce vice impuni, la lecture (1925-1941). Il a passé les vingt-deux dernières années de sa vie aphasique et hémiplégique, cloué dans un fauteuil.

Pour le prix Goncourt 1908, Mirbeau a voté pour les Poèmes d’un riche amateur, sans savoir qui en était l’auteur, lequel lui en manifestera tardivement sa reconnaissance : « De tous les encouragements que je reçus alors, ce fut peut-être le plus précieux. » Il a récidivé en 1911 pour Fermina Márquez, mais en toute connaissance de cause, cette fois, car les deux hommes s’étaient rencontrés au moins deux fois entre-temps et avaient un lien commun : Marguerite Audoux. Ils ne se sont pas pour autant liés d’amitié : « Il y avait entre nous une différence d’âge qui rendait toute intimité impossible », expliquera le cadet. En 1922, Larbaud a accepté de rendre hommage à son aîné dans le numéro spécial Mirbeau des Cahiers d’aujourd’hui. Il y reconnaît le « rôle important » que l’auteur du Calvaire a joué « dans la vie intellectuelle » de la période 1890-1910. Il lui sait gré d’avoir introduit, dans ses romans-essais à la forme renouvelée, des « préoccupations et des aspirations intellectuelles et des préférences esthétiques ». Passant par-dessus ce qui lui semblait « un peu gros » et propice aux « succès de vente », il s’est avant tout attaché « à tout ce qui était purement littéraire et ouvrage de moraliste et de poète ». Il n’a découvert que plus tard les critiques d’art de Mirbeau et a souhaité qu’on en fasse « une édition complète et soignée », qui « serait assurément le plus beau monument qu’on pourrait élever à sa mémoire ». Quant à l’homme, dont l’apparente « brusquerie » n’était jamais qu’une « habitude née du besoin de protéger une sensibilité très délicate et toujours en danger d’être froissée », il l’a respecté et aimé, « non seulement à cause de ses livres, mais pour la passion avec laquelle il avait servi les lettres ». Et il regrette vivement de ne pas le lui avoir dit.

P. M.

 

Bibliographie : Valery Larbaud, « Mirbeau l’essayiste », Cahiers d’aujourd’hui, 1922, n° 9, pp. 131-134.


LAVEDAN, henri

LAVEDAN, Henri (1859-1940), auteur dramatique français. Fils d’un puissant journaliste conservateur et ultra-catholique, Léon Lavedan, il a fait ses débuts avec un recueil de contes, Mam’zelle Vertu (1885), puis s’est spécialisé dans la rédaction, pour les grands quotidiens, d’un grand nombre de dialogues et de saynètes, jugées un peu légères, où se manifeste sa connaissance de la vie mondaine à Paris et qu’il a recueillis en volume. Il a connu ensuite de grands succès au théâtre avec des pièces de boulevard, se spécialisant dans la peinture superficiellement critique de la vieille aristocratie : Le Prince d’Aurec (1894), Les Deux noblesses (1895), Viveurs (1895), Le Nouveau jeu (1898), Le Vieux marcheur (1899), Le Marquis de Priola (1902), Le Duel (1905), Servir (1913). Il a eu des responsabilités à la Société des Gens de Lettres, pour laquelle il a notamment rédigé, le 9 mai 1898, la résolution par laquelle le comité de la S.G.D.L refusait le Balzac de Rodin et prétendait avoir « le devoir et le regret de protester contre l’ébauche que M. Rodin expose au Salon et dans laquelle il se refuse à reconnaître la statue de Balzac ». Au même moment, Lavedan se range résolument dans le camp anti-dreyfusard en adhérant à la Ligue de la Patrie française, ce qui lui ouvre les portes de l’Académie Française, où il est élu le 18 décembre 1898, contre le dreyfusard Paul Hervieu, bien que certains, dans les milieux bien-pensants, lui eussent reproché bien des « obscénités », dans ses saynètes, et des « désordres » dans sa vie privée.

Mirbeau a eu un temps des relations cordiales avec Lavedan, dont il a fait la connaissance au moment où il publiait ses Lettres de ma chaumière chez le même éditeur, Laurent, chez qui paraissait Mam’zelle Vertu. Et il lui a aimablement dédié une de ses Lettres, « La Bonne ». En 1886-1887, il l’a rencontré de temps à autre au dîner des Bons Cosaques, fondé avec Paul Hervieu. En 1888, Lavedan lui a adressé une lettre chaleureuse sur L’Abbé Jules, dont l’orientation anticléricale n’était pourtant guère de nature à lui plaire. Mais, tout en restant polies – Lavedan l’invitait à ses premières, et Mirbeau a eu l’occasion de le recevoir chez lui avec d’autres amis –, leurs relations se sont distendues par la suite, et l’affaire Dreyfus et l’affaire du Balzac ont achevé de les éloigner. Mirbeau voyait en son ancien ami un arriviste sans scrupules, recourant à de vieilles ficelles dramatiques et à un dialogue artificiel.

P. M.

 

 

 

 

 

 


LAZARE, bernard

LAZARE, Bernard, (1865-1903), a été le premier héros de l’affaire Dreyfus (voir la notice). Journaliste et critique, il s’est engagé à la fois dans la lutte littéraire, aux côtés des symbolistes, et dans les luttes politiques et sociales, aux côtés des anarchistes. Comme Mirbeau, il était un libertaire intransigeant et extrêmement hostile au collectivisme. Il a collaboré aux Entretiens politiques et littéraires et au Journal, où il est resté deux ans, avant de passer à L’Écho de Paris, au Paris et au Voltaire. En 1894, il publie L'Antisémitisme, son histoire et ses causes, étude où il critique le judaïsme et qu’il reniera partiellement par la suite, et, en 1895, ses Figures contemporaines. Le 1er février 1896, il fonde son propre hebdomadaire, L’Action sociale, qui n’a  que cinq numéros. S’il intervient alors dans l’Affaire, c’est à la demande de Mathieu Dreyfus, le frère d’Alfred, soucieux de tout mettre en œuvre pour faire éclater l’innocence du condamné. Lazare se consacre désormais entièrement à cette tâche, au point de lui sacrifier sa carrière et sa santé. Il rédige deux brochures révélant l’innocence de Dreyfus : Une erreur judiciaire – La vérité sur l’affaire Dreyfus, en novembre 1896, et  Une erreur judiciaire : l’affaire Dreyfus, en novembre 1897. Ce faisant, ce Juif totalement assimilé et naguère patriote français découvre son appartenance au peuple juif et, tout en restant foncièrement anarchiste, devient un nationaliste juif, comme l’a démontré Philippe Oriol.  À la fin de sa vie, il s’est beaucoup employé pour les misérables Juifs de l’est européen, et notamment de Roumanie. Bernard Lazare le Juste passe ses dernières années dans la misère et meurt prématurément. Ses deux  œuvres littéraires majeures sont Les Porteurs de torches (1898), recueil de contes-paraboles d’inspiration nettement anarchiste, et Le Fumier de Job (posthume).

            Mirbeau et Lazare ont beaucoup d’affinités, tant littéraires que politiques et éthiques, et, pendant une dizaine d'années, ils ont été liés d'amitié, se sont voué une admiration réciproque, et ont participé conjointement au combat pour l'anarchie, pour la Justice et la Vérité. C’est Mirbeau qui fait entrer son cadet au Journal, en octobre 1892, cependant que Lazare trace de son aîné un portrait dithyrambique dans ses Figures contemporaines de 1895. Pour lui, en effet, Mirbeau n’est pas seulement le porte-voix des artistes novateurs, il est surtout celui qui a le plus œuvré à l'émancipation des esprits en arrachant les masques des puissants, en mettant à nu les hideurs de la société capitaliste, en obligeant un lectorat misonéiste  à jeter sur les choses, les hommes et les institutions, un regard neuf, débarrassé des préjugés corrosifs. Il constitue donc à ses yeux un modèle littéraire et journalistique : aussi Lazare se fixe-t-il la même mission politique et esthétique que lui, c’est-à-dire libérer l'esprit de la gangue des préjugés. L’affaire Dreyfus confirme leur compagnonnage, et c’est de conserve, par exemple, qu’ils prennent le train pour se rendre à Rennes assister avec indignation au procès d’Alfred Dreyfus (voir la notice).

P. M.

 

            Bibliographie : Pierre Michel, « Octave Mirbeau et Bernard Lazare », in Bernard Lazare, anarchiste et nationaliste juif, Champion, 1999.

 


LE GUYADER, frédéric

LE GUYADER, Frédéric (1847-1926), poète breton de langue française, n'est pas un illustre inconnu pour les mirbeauphiles. Octave Mirbeau l'a rencontré en 1884, lors de son séjour à Audierne, puis épinglé ( le pauvre était venu se faire pistonner auprès du journaliste influent) dans une lettre à Paul Hervieu du 15 février de la même année et dans la nouvelle des Lettres de ma chaumière intitulée « Un Poète local », pour son entêtement à faire des vers partout et sur tout « en quinze, dix-huit et jusqu'à vingt-deux pieds ». Toujours ce goût de l'exagération chez Octave : Frédéric Le Guyader ne commettait que des alexandrins...

On lui doit des drames historiques comme Le Roi s'ennuie (1867), ou La Mort d'Etienne Marcel (1882), qui n'ont pas laissé, comme à Mirbeau, des souvenirs impérissables. De son oeuvre émergent L'Ere Bretonne (1896) et surtout La Chanson du cidre (1901), dont la « verve rabelaisienne », selon son préfacier, lui permet d'être toujours au répertoire de troupes théâtrales bretonnes... Déchiré entre son métier de receveur des contributions indirectes et ses aspirations littéraires, il terminera sa carrière comme conservateur de la bibliothèque municipale de Quimper, où une rue et une école portent son nom.

Ne mérite-t-il pas un meilleur sort que celui qui lui est réservé dans les Contes cruels de Mirbeau, où il est classé dans le chapitre « Des existences larvaires » ? Car notre poète, dans l'avant-propos de La Chanson du cidre, s'est livré en peu de mots à une analyse judicieuse des failles du roman naturaliste, à propos de Zola venu en Bretagne « faire un roman breton, une étude bretonne, une synthèse bretonne », avec des « monceaux » de documents, statistiques, rapports officiels et médicaux, bref un dossier complet. En panne d'inspiration à cause de ce fatras de papiers, « Zola eut l'intelligence de comprendre qu'il n'avait rien à faire chez nous. Il quitta Sainte-Marine, alla promener ailleurs son bistouri et sa personne. La Bretagne ne fut pas diffamée par Zola ». Tout est dit. « N'est pas Breton qui veut », ajoute le « poète local ». Pas si larve que ça, Frédéric Le Guyader !

J.-P. K.


LEAUTAUD, paul

LÉAUTAUD, Paul (1872-1956), collaborateur au Mercure de France de Vallette, de 1908 à 1941. C’est sous le pseudonyme de Maurice Boissard qu’il se taille une solide réputation de critique dramatique. Ses Entretiens avec Robert Mallet font connaître au grand public sa passion des bêtes abandonnées, son indécrottable misanthropie, sa rare liberté de ton, tous traits en lesquels Mirbeau peut reconnaître un cœur fraternel. Le Petit Ami, en 1903, In Memoriam, en 1929, sont, chacun à leur manière, l’expression du sentiment ambigu de Léautaud à l’endroit de ses parents : l’un évoque la mort du père, l’autre revient sur les rapports complexes, jugés équivoques par certains, à sa mère.

Ses qualités de cœur font de Mirbeau un visage à part, unique, qui séduit et force l’admiration de Léautaud, ce dernier lui donnant du « Cher Maître », dans sa correspondance, et multipliant les « ce bon Mirbeau », ce « Brave Mirbeau », plus loin qualifié d’ « excellent homme, excessivement généreux, toujours prêt à aider de sa bourse », en son Journal littéraire. Les mentions de Mirbeau émaillent de leur souvenir vivant les textes du diariste, comme cette annotation, deux mois avant la mort de Léautaud, relative à « son mariage, ses amours, ses changements d’opinion, sa collaboration au Journal, sa visite et déjeuner chez lui avec George Besson ».

La première rencontre entre les deux hommes a lieu le 20 décembre 1905, chez Mirbeau. Destinée à faciliter la recherche d’un poste de fonctionnaire au bénéfice de Léautaud, elle laisse celui-ci pour le moins perplexe quant à la personne de son hôte : « Une girouette, un parleur, rien au fond. ». Le romancier épaulera néanmoins réellement son cadet auprès du ministre Briand, sans que la recommandation aboutisse.

Hors cette narration factuelle, les affinités profondes se tissent d’un œuvre à l’autre, et d’une sensibilité à l’autre. Rappelons brièvement quelques traits communs. Leurs détestations sont les mêmes : Mirbeau, comme Léautaud, se définit par ses haines, se pose en s’opposant. Les corps constitués, les coteries de toutes sortes, la société, tant dans ce qu’elle a de niveleuse que d’inégalitaire, aiguillonnent, sans jamais la tarir, la verve de ces deux pamphlétaires. À l’instar de Léautaud, Mirbeau ne se fera pas scrupule, après avoir liquidé l’influence d’un milieu conservateur, de nier lui aussi la famille, l’amour, la religion, la patrie. Retenons que tous deux, savent préserver une ardeur de sentiments intacte. Au « Je suis toujours du côté de celui qui souffre et qui pâtit. Je n’ai pas le goût du châtiment » de Léautaud, répond le programmatique « Je suis, moi, aveuglément aussi, et toujours, avec le pauvre contre le riche, avec l’assommé contre l’assommeur, avec la malade contre la maladie, avec la vie contre la mort » d’un Mirbeau à l’occasion manichéen.

Le journaliste Mirbeau, très tôt attentif à la mise en place de la loi Grammont, soulève dès 1881, le problème du fonctionnement des S.P.A., pierre d’angle de l’amendement moral de l’homme : « Quelques sourires dont on ait, à l’origine, accueilli la naissance de la société protectrice des animaux, quelques plaisanteries dont on se soit diverti à propos de la loi Grammont, on ne peut nier les tendances civilisatrices qui inspiraient ces mesures, on doit reconnaître qu’un progrès en est résulté. »

Dans la foulée, il affirme sa haine de la chasse et son mépris pour la déshonorante vivisection, s’attriste, lors des inondations de 1910 (« Hier, aujourd’hui, toujours », Paris-Journal, 8 février 1910) de l’indifférence des hommes face à la détresse animale, ou prend fait et cause pour les ânes du manège de l’Avenue de Suffren, en 1900. Profession de foi relayée au quotidien par le contact des nombreuses bêtes qui l’entourent sa vie durant, et qui feraient de lui une manière de Léautaud qui aurait réussi.

Les années où se croisent Mirbeau et Léautaud coïncident avec l’attribution des premiers Prix Goncourt. On lira avec profit les minutes de l’année 1907, dans le Journal littéraire de Léautaud, pour y trouver, pêle-mêle, le détail de l’élection au forceps de Jules Renard à l’Académie Goncourt, moyennant un ultimatum de Mirbeau ; le projet de ce dernier de faire passer en force son protégé Renard et… In memoriam, dudit Léautaud, véritable Arlésienne ; les propos éminemment élogieux tenus par l’auteur de L’Abbé Jules sur Léautaud, au chevet du pauvre Jarry mourant ; les galanteries d’Alice Regnault ; la hauteur de ton d’un Mirbeau aux prises avec les basses attaques de Henry Bernstein ; ou la jolie surprise que  réserve Mirbeau à Léautaud en lui offrant un exemplaire de La 628-E8« un livre neuf, de grand air, qui nous repose des livres savants, des livres faits avec d’autres livres. »  L’année 1908 est, sur ce terrain, plus pauvre qui commence par faire écho à cette nouvelle édifiante : Mirbeau a fait raser sa moustache… Mais l’affaire du Foyer, qui oppose Mirbeau à Claretie, y trouve, dans le Journal littéraire, une caisse de résonance singulière. Léautaud confie qu’il pense par exemple passer dans la presse une retranscription parodique des débats entre Mirbeau et Claretie. Le 29 septembre, il se rend au domicile parisien de Mirbeau, malade, afin de prendre de ses nouvelles, mais n’y rencontre qu’Alice, dont la beauté de grande dame l’impressionne. Le 4 décembre, invité par Mirbeau, il assiste à la répétition générale de la pièce. Dès 1910, auprès d’Apollinaire, il enregistre les premiers troubles de l’aphasie chez Mirbeau, ou consigne de la bouche du même le pedigree du dernier compagnon de Mirbeau, « chien de ruisseau », retient les propos vipérins mais pouffants de Porto-Riche contre le dramaturge Mirbeau ; fait de Mirbeau le champion du roman-pamphlet (tout en reconnaissant ne pas en avoir lu un seul). En 1917, il s’indigne plusieurs pages durant des manœuvres de l’intrigante Alice, vieille cocotte coupable de tenter de réintégrer son défunt mais subversif époux dans le sein de la Patrie, et fait d’elle, au passage, « la sœur de Julia Bartet ». En 1923, il assiste à la répétition générale d’Un sujet de roman, de Sacha Guitry, « pièce du ménage Mirbeau », sans qu’il éprouve le besoin d’infirmer ni de valider le caractère de fidélité à l’itinéraire biographique de l’écrivain.

S. L.

 

Bibliographie : Samuel Lair, « Paul Léautaud et Octave Mirbeau : Arlequin, l’animal et la mort », Cahiers Mirbeau n° 12, 2005, pp. 154-167 ; Pierre Michel, « Aristide Briand, Paul Léautaud et Le Foyer », Cahiers Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 218-233 ; Jean-François Nivet, « Octave Mirbeau et Paul Léautaud », Cahiers Paul Léautaud, 1988, pp. 5-14.

 


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