Thèmes et interprétations

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Terme
VAGABOND

Pour Mirbeau, le vagabondage est une situation imposée par la société aux plus faibles, mais l’errance est aussi une recherche de liberté. Apparaissent alors les contradictions et les richesses d’un auteur partagé entre sa vision négative de l’errance poussant les êtres à la douleur, à la solitude, et une vision idéale du vagabond, qui en fait l’homme de la transgression sociale, de la remise en cause permanente de l’ordre établi sédentaire.

 

Mirbeau et l’errance

Influencé par les idées des médecins psychiatres de la fin du XIXe siècle, Mirbeau décrit l’errance comme un des symptômes de l’impuissance et de la neurasthénie qui le menacent. Plus généralement, l’errance prend souvent pour lui la forme d’une fuite, un désir d'échapper à l’inacceptable, l’intolérable. De Jean Mintié (Le Calvaire) à l’écrivain narrateur des 21 jours d’un neurasthénique qui s’avoue hanté par la folie et la mort, de nombreux personnages, souvent autobiographiques, sont, à l’image de leur créateur, tentés ou captivés par l’errance. Dans Le Journal d’une femme de chambre, Célestine, condamnée à ne « pouvoir jamais se fixer nulle part », résume bien les sentiments mélancoliques diffus de Mirbeau et l’illusion qui ne disparaît jamais vraiment : « L’on va, l’on va […] Voyez cet horizon poudroyant là-bas… C’est bleu, c’est rose, c’est frais, c’est lumineux et léger comme un rêve… Il doit faire bon vivre là-bas. ».

Pendant toute sa vie Mirbeau cherche un équilibre dans sa vie familiale et son travail, qui se paie par nombre de compromis et de renoncements que l’auteur stigmatise notamment dans Mémoire pour un avocat (1894). Il lui faut trouver “un état”, subvenir à ses besoins, s’intégrer dans un monde qu’il vomit, auquel il ne peut survivre que par un engagement constant contre toutes les injustices.

 

Les personnages d’errants

La présence de nombreux vagabonds dans l’œuvre de Mirbeau révèle son intérêt pour les déshérités condamnés à l’errance, boucs émissaires et victimes expiatoires du système capitaliste Proches de ceux de Maupassant à bien des égards (“le vagabond” ou “le gueux”), les personnages de vagabonds sont les victimes la répression ou de la profonde indifférence sociale. Jean Loqueteux ou Jean Guenille est l’archétype du vagabond chez Mirbeau. Naïf et simple, il se livre à la cruauté  de la société en “commettant” une bonne action. Elle ne peut voir en lui qu’un vagabond, c’est-à-dire un criminel ou un fou, condamné d’avance à l’enfermement. Mirbeau le libertaire sait depuis longtemps qui est le principal coupable. Ce n’est pas celui qui ne peut maîtriser son destin, mais c’est l’État qui n’aide pas les plus démunis, qui détruit les individus et les avilit. On retrouve chez lui les diatribes de Léon Bloy, pour qui « la joie du riche a pour substance la douleur du pauvre » (Le Sang du pauvre) et l'ombre de Vallès, pour qui le pauvre n’est jamais totalement coupable, poussé qu’il est par la société à commettre un crime.

Il y a aussi chez aussi une profonde tendresse pour ses errants. Mirbeau rejoint alors les poètes et les écrivains des pauvres (Jean Richepin, Jehan Rictus, Charles-Louis Philippe) dans la tradition de défense du pauvre, mais aussi d’amour de l’opprimé, quand il affirme que ces exclus ont droit comme les riches au plaisir et à la beauté. Mirbeau est, comme l’écrit Émile Zola dans sa lettre du 3 août 1900, « le justicier qui a donné son cœur aux misérables et aux souffrants ».

 

La lutte contre l ‘injustice malgré tout

Dans la quête de l’émancipation et de l’idéal, le vagabond, est, pour Mirbeau, l’homme de la rupture qui, sans attache, annonce un changement radical. Il adopte ainsi les positions des anarchistes qui dénoncent une éducation oppressive et qui font du prolétariat en haillons (le lumpenprolétariat) la véritable classe révolutionnaire. Mirbeau refuse cette division des classes populaires en classes dangereuses, instables et nomades, d’un côté, et classes laborieuses et sédentaires, de l’autre. Le pauvre errant n’est pas seulement l’étranger, le mauvais pauvre, mais il est aussi le déraciné condamné à errer, qui croise sur sa route de nombreux autres marginaux et reprouvés (prostituées, filles-mères, juifs et anarchistes), victimes de la même politique d’exclusion.

Mais Mirbeau sait qu’il ne suffit pas de lutter contre l’État et la bourgeoisie, il faut aussi combattre les préjugés et la demande de répression qui touchent toute l’opinion jusqu’aux classes populaires. Les responsables sont en premier lieu les défenseurs de la démocratie libérale et les collectivistes, qui ne voient que leurs propres intérêts, méprisent les individus et perpétuent une société inégalitaire et autoritaire. Les contradictions sont nombreuses chez Mirbeau. Il constate dans Les Mauvais bergers que les malheureux sont trop enfermés dans l’ignorance pour pouvoir s’émanciper de leurs dirigeants. Réveiller les consciences est difficile et provoque également le rejet.

L’écrivain éprouve une sympathie immédiate pour ses rejetés, ses perdants de l’histoire dont il se sent proche. Mirbeau se sent comme un vagabond, à la fois rejeté et réfractaire, dans une société où il a toujours eu du mal à trouver sa place, où il se sent perpétuellement déplacé. C’est ce double errant, malade et instable qu’il lui faut combattre, mais également aimer, puisqu’il est celui qui a ce « don fatal de sentir vivement » qui le pousse à écrire.

J.-F. W.

           

Bibliographie : Jean-François Wagniart, « Le poète,  le réfractaire et le vagabond », in  Le Vagabond à la fin du XIXe siècle, Paris, Belin, 1999, pp. 61-100 ; Jean-François Wagniart, « Les Représentations de l’errance et des vagabonds dans l’œuvre d’Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 306-315.

 

 

 


VERITE

Pour un dreyfusard tel que Mirbeau, la Vérité est, avec la Justice, une des deux valeurs cardinales de son éthique. Mais s’il écrit ces deux mots avec une majuscule, ce n’est que pour leur conférer une dignité supérieure, et non pas parce qu’il croit en l’existence d’Idées platoniciennes du Juste et du Vrai, qui seraient éternelles et absolues. Mirbeau est en effet extrêmement lucide et radicalement matérialiste : il sait pertinemment qu’il n’existe pas de valeurs dans l’absolu et que celles qu’il a faites siennes, après son grand tournant de 1884-1885, ne sont que des boussoles destinées à faciliter, en les éclairant, les choix éthiques des humains. Il se méfie par conséquent de ceux qui font présomptueusement profession d’apporter aux autres la Vérité, que ce soit au nom des vieilles religions prétendument révélées, ou au nom de la science, dans cette dégénérescence de la vraie science qu’est le scientisme. La Vérité avec un V majuscule n’existe pas plus que la Justice avec un J majuscule. Mais, à défaut d’absolu, avec de l’expérience, de l’observation et de l’esprit critique, il est cependant possible d’aboutir à des vérités partielles et relatives, et, en particulier, de déceler, avec plus ou moins de certitude, où se trouve le mensonge, qu’il s’agisse de celui des religions, des propagandes politiciennes, de la désinformation journalistique ou de la mauvaise foi dans les relations humaines – et au premier chef dans les relations amoureuses –, qui toutes reposent sur le mensonge. Raison pour laquelle la vérité est communément détestée par les hommes, qui verraient avec inquiétude disparaître l’amour, l’amitié, la morale, l’ordre, la hiérarchie et la religion, pour peu qu’un jour la vérité parvienne à percer, comme Mirbeau l’a illustré dans une fable, « La Vérité est morte ». Cette haine de la vérité permet aussi de comprendre pourquoi tous les pouvoirs constitués sont toujours tentés de jeter en prison des « tas d’effrontés et dangereux coquins qui s’en vont proclamant des vérités, par les chemins », comme l’illustre cette autre fable, kafkaïenne, qu’est « La Vache tachetée » (Le Journal, 20 novembre 1898).

Bien que modeste en apparence, ce premier pas sur le chemin de la vérité, fût-elle en négatif, n’en est pas moins décisif. Ainsi, au cours de l’affaire Dreyfus, à défaut d’en connaître les tenants et les aboutissants, Mirbeau a-t-il compris, dès novembre 1897, qu’il se tramait quelques forfaitures du côté de l’État Major de l’armée et des gouvernements “républicains” qui se sont succédé depuis 1894 : c’était largement suffisant pour qu’il s’engage dans le combat révisionniste. Il est symptomatique à cet égard que, dans le premier texte qui a signé son engagement dreyfusiste, la septième livraison de Chez l’Illustre Écrivain (Le Journal, 28 novembre 1897), le jeune poète qui est son porte-parole fasse reposer sa conviction de l’innocence d’Alfred Dreyfus, non sur des preuves, puisque, à ce stade de l’Affaire, personne n’en connaît, mais sur une simple « impression mystérieuse », c’est-à-dire inanalysable, irréductible à la raison, et qui n’en devient pas moins, à ses yeux, une « certitude humaine » : « Comment voulez-vous ? dit le poète avec plus de chaleur dans la voix, qu’un homme comme M. Scheurer-Kestner, un homme de sa grande pureté de vie, de sa valeur morale, de sa situation sociale, un homme de son intelligence, de son héroïsme réfléchi, se soit dévoué à une telle cause, s'il n’avait pas, non seulement la certitude, mais encore les preuves – les preuves, vous entendez – de l’innocence de l’un et de l’infamie de l’autre ? Que peuvent tous les jugements et toutes les sentences d’un conseil de guerre contre cette impression mystérieuse et révélatrice qui me pousse à crier : “Il est innocent ! Il est innocent !”, et contre l’absolue, l’impeccable sécurité que me donne cette chose sacrée : “La conscience d’un honnête homme !” » Le jeune poète et le journaliste qui le faisait parler étaient effectivement dans le vrai, comme la suite l’a prouvé, mais cette vérité entre-aperçue intuitivement n’en était encore qu’au stade négatif du rejet des mensonges des partisans de l’Ordre à n’importe quel prix.

De même que Mirbeau, qui a tant écrit, se défiait de l’outil malfaisant que sont les mots, de même il n’a cessé, paradoxalement, de se battre pour un idéal de vérité qu’il savait parfaitement être inaccessible. Dès lors, étroite, et par conséquent difficile à suivre, est la ligne de crête entre deux abîmes qu’il refuse également : d’un côté, les Vérités sacralisées et assénées d’en haut, qui ne sont en réalité que des mystifications, de même que la morale n’est qu’une pure hypocrisie ; de l’autre, tous les mensonges ordinaires sur lesquels reposent, non seulement les institutions sociales qu’il vitupère, mais aussi la vie quotidienne des individus. C’est pourtant ce chemin que Mirbeau a choisi modestement : grand démystificateur, il a toujours refusé de s’accommoder du mensonge et n’a cessé de dire sa vérité, c’est-à-dire sa façon personnelle de voir les choses et de nous obliger à les percevoir, par-delà leurs apparences trompeuses ; mais il n’a jamais prétendu pour autant disposer d’une quelconque autorité ni apporter des solutions toutes faites. Seule la confrontation entre sa vérité et tous les préjugés de ses lecteurs, dûment conditionnés, est susceptible d’en éclairer quelques-uns, ceux qu’il appelle des « âmes naïves », et de leur permettre de cheminer à leur tour vers leur vérité.

Voir aussi les notices Raison, Lucidité, Histoire, Éthique, Morale, Démystification, Désacralisation, Intellectuel, Scientisme, Affaire Dreyfus, Pessimisme et Autofiction.

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Octave Mirbeau et la raison », Cahiers Octave Mirbeau, n° 6, 1999, pp. 4-31 ; Pierre Michel, Lucidité, désespoir et écriture, Presses Universitaires d’Angers / Société Octave Mirbeau, 2001, 110 pages.

           

 


VIOL

Les contes et les romans de Mirbeau présentent un nombre impressionnant de viols. On peut y voir le reflet d’une époque où, par-delà le vernis de civilisation dont se targue la société française, se perpétuent des comportements barbares, dont les femmes et les enfants sont les principales victimes. On peut aussi y déceler une obsession de l’auteur, particulièrement sensibilisé aux violences sexuelles, probablement à la suite du traumatisme de celles dont, selon toute vraisemblance, il a été la victime au collège des jésuites de Vannes.

Dans Le Journal d’une femme de chambre (1900), Les Vingt et un jours d’un neurasthénique  (1901), et Dingo (1913), ce sont des fillettes qui sont violées et assassinées, mais le seul récit qu’on en ait est celui du vagabond, lors de son procès, dans Dingo, et le viol, post mortem, d’une fillette qu’il n’a pas eu la moindre intention de tuer semble plus le produit de la fatalité et de la misère sexuelle que de la cruauté des mâles prédateurs. Dans Sébastien Roch (1890), c’est un adolescent, qui est victime d’un prêtre infâme, mais le récit du viol stricto sensu, qui relève d’autant plus de l’indicible que le bourreau est une figure sacralisée, est remplacé par une ligne de points. Même procédé dans L’Écuyère (1882), où c’est une jeune femme assoiffée de pureté, Julia Forsell, qui est la victime d’un “noble” à figure d’oiseau de proie et d’un pari organisé par d’ignobles « gens du monde ». On trouve également une ligne de points à la place du récit de la nuit de noces de la jeune Geneviève Mahoul de Dans la vieille rue (1885) : comme ce mariage n’est en fait qu’un maquignonnage, l’inutile sacrifice de la vierge à celui qui l’a achetée est assimilé implicitement à un viol. Renoncer au récit du viol, c’est aussi refuser qu’il en soit fait une lecture érotisante, comme le font, dans leurs commentaires, les habitants du Mesnil-Roy et de Ponteilles-en-Barcis : car, comme le note Célestine au chapitre VIII du Journal, « Malgré l'horreur sincère qu'inspire ce meurtre, je sens parfaitement que, pour la plupart de ces créatures, le viol et les images obscènes qu'il évoque, en sont, pas tout à fait une excuse, mais certainement une atténuation... car le viol, c'est encore de l'amour... » Dans ces trois derniers exemples, où la victime survit au viol, le romancier fait clairement comprendre que leur vie est désormais anéantie : Sébastien Roch vit désormais comme un mort et son sacrifice absurde, pendant la campagne de l’armée de la Loire en 1870, peut être assimilé à un suicide ; Julia Forsell.finit par choisir de se suicider d’une façon spectaculaire pour retrouver son honneur et sa pureté perdus ; quant à Geneviève Mahoul, elle est résignée à voir sa vie lui échapper et « les horizons entrevus se ferm[er] pour toujours ».

L’un des grands intérêts de ces différents récits de viols, c’est que Mirbeau a été l’un des tout-premiers à mettre en lumière leurs conséquences traumatisantes pour les victimes, surtout quand le viol a un caractère incestueux, comme celui de Sébastien Roch, puisque le « père » de Kern bénéficie d’une triple autorité paternelle : celle du prêtre, du professeur et du substitut du père. Or, si Sébastien est anéanti et ne s’en sort pas, Mirbeau, lui, a su rebondir et est parvenu, un quart de siècle plus tard, à faire de son expérience la matière d’un roman en forme d’exutoire et de thérapie : il est un cas typique de la de « résilience » mise en lumière par Boris Cyrulnik. Car, à la différence de son double, il a su transformer la prise de conscience et la lucidité de Sébastien en action et en combat pour des valeurs : autant que du Sébastien Roch, il y a du Bolorec en lui, il s’est dédoublé pour les besoins du roman et, ce faisant, indique en filigrane la voie à suivre pour les victimes de violences sexuelles.

Voir aussi les notices Sexualité, Pédophilie, L’Écuyère et Sébastien Roch.

P. M.

 

Bibliographie : Laurent Ferron, « Le Viol de Sébastien Roch : l’Église devant les violences sexuelles », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001 pp. 287-297 ; Philippe Ledru, « Genèse d’une poétique de la corruption », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 4-26 ; Pierre Michel, « Sébastien Roch, ou le meurtre d’une âme d’enfant », introduction à Sébastien Roch, Éditions du Boucher, 2003, pp. 3-24 ; Pierre Michel, « L’Écuyère : tragédie et pourriture », introduction à L’Écuyère, Éditions du Boucher, 2004, pp. 3-21.. 

 

 


VIOLENCE

Octave Mirbeau passe pour un écrivain « féroce » et violent, voire « ultra-violent ».  Mais ce qualificatif accusatoire ne permet pas de faire le départ entre la violence sociale, qui constitue pour lui un thème littéraire et qui est dénoncée par un écrivain d’inspiration anarchiste, et la violence du pamphlétaire et du critique engagé dans des combats politiques ou esthétiques qui requièrent le maximum d’efficacité. Et surtout il ne permet pas de distinguer la fin et les moyens, comme si la violence du polémiste et la cruauté du conteur étaient à mettre sur le compte de la personnalité de l’écrivain, sans tenir compte de ses objectifs, littéraires, éthiques ou politiques.

 

La violence sociale

Libertaire de cœur et d’esprit depuis sa jeunesse, Mirbeau n’a cessé de dénoncer la violence exercée par les institutions sur les individus, et au premier chef par l’État (voir ce mot), « assassin et voleur », qu’il voudrait réduire à son « minimum de malfaisance » (Le Gaulois, 25 février 1894) : « L'État pèse sur l'individu d'un poids chaque jour plus écrasant, plus intolérable. De l'homme qu'il énerve et qu'il abrutit, il ne fait qu'un paquet de chair à impôts. Sa seule mission est de vivre de lui, comme un pou vit de la bête sur laquelle il a posé ses suçoirs. L'État prend à l'homme son argent, misérablement gagné dans ce bagne : le travail ; il lui filoute sa liberté à toute minute entravée par les lois ; dès sa naissance, il tue ses facultés individuelles, administrativement, ou il les fausse, ce qui revient au même » (Préface à La Société mourante et l'anarchie, de Jean Grave, 1893).  La violence la plus évidente exercée par l’État est celle de son bras armé (voir la notice Armée). C’est en effet au sein de l’armée que les jeunes gens sont initiés à « toutes les violences criminelles » dont « l‘éducation militaire » fait l’apologie, et c’est là que l’on « fabrique des assassins » (Préface d’Un an de caserne,  1901). Deuxième violence étatique : l’appareil répressif nommé “Justice”, sans doute par antiphrase, est entre les mains d’individus que Mirbeau qualifie de « monstres moraux », parce qu’ils sont dépourvus de pitié et d’humanité, courbent le dos devant les puissants et écrasent les pauvres de leur pouvoir arbitraire, à la faveur de lois iniques qu’ils ont pour mission d’appliquer impitoyablement.

À la violence exercée par les institutions étatiques s’ajoute celle exercée par la sainte trinité de la famille, de l’école et de l’Église (voir ces mots), qui vise à crétiniser les enfants pour en faire des larves (voir ce mot) et celle qui résulte du système économique : car, quel que soit l’incontestable développement des forces productives, le capitalisme industriel et financier constitue une monstrueuse violence exercée sur la majorité de la population par une poignée de patrons de droit divin, tel Hargand des Mauvais bergers (1897), ou de cyniques affairistes et prédateurs, tels qu’Isidore Lechat dans Les affaires sont les affaires (1903). 

La violence comme moyen

Si Mirbeau dénonce ainsi la violence sociale sous toutes ses formes, c’est parce qu’il a pour idéal une société harmonieuse, juste et égalitaire, où règneraient entre tous les citoyens des relations pacifiées et d’où la violence serait exclue. Dans une chronique de 1883, c’est-à-dire bien avant son ralliement officiel à l’anarchisme, il imagine déjà une société qui se passerait avantageusement de toutes les institutions oppressives qu’il exècre : bref, l’anarchie idéale, du moins sur le papier, car ce n’est là, bien sûr, qu’une utopie (« Royaume à vendre », Le Gaulois, 29 avril 1883). Pour ceux qui caressent cet idéal de fraternité et de justice, la question se pose de savoir comment passer d’une société inégalitaire, oppressive et violente, à une communauté pacifique d’hommes libres et égaux. Quels moyens mettre en œuvre ? Est-il concevable que les nantis et les puissants se retirent d’eux-mêmes, sans combattre, et laissent poliment leur place au soleil aux sans-voix, aux sans-le-sou et aux sans-toit ? Évidemment non. Dès lors, sauf à capituler avant même de commencer la lutte, force est d’envisager de mettre en œuvre les moyens de les y contraindre. À la violence des oppresseurs pourrait bien s’ajouter, en retour, celle des opprimés en révolte.

Dans l’espoir de faire s’effondrer l’édifice étatique, certains anarchistes ont eu recours à ce qu’ils ont appelé « la propagande par le fait », en s’imaginant naïvement que quelques attentats, bien ciblés de préférence – mais ce n’est pas le cas de celui perpétré par Émile Henry au Café Terminus, en janvier 1894, et aussitôt condamné par Mirbeau (« Pour Jean Grave », Le Journal, 19 février 1894) – contribueraient à ouvrir les yeux des larges masses et à les mettre en branle, jusqu’à la victoire finale et à la fin de toute exploitation de l’homme par l’homme. Non seulement cette stratégie a échoué, mais elle a entraîné immédiatement un sacré retour de bâton : les lois liberticides de 1893-1894, aussitôt qualifiées de « scélérates » et que Mirbeau n’a évidemment pas manqué de stigmatiser. Reste qu’il éprouve alors un tel dégoût des politiciens sans scrupules, des prédateurs en tous genres et de cette pseudo-République qui trahit sa mission, qu’il en arrive à souhaiter son renversement. En 1883 il en appelait au choléra vengeur pour débarrasser le pays des « joyeux escarpes » opportunistes qui, à l’en croire, avaient fait main basse sur la France (« Ode au choléra », Les Grimaces,  22 juillet 1883). À défaut, neuf ans plus tard,  il aimerait bien que tout puisse sauter, comme il l’avoue au compagnon Pissarro : « Ah ! que tout saute ! Que tout croule ! L’heure où nous sommes est trop hideuse ! » Dans cette période de sa vie on a comme l’impression que la tentation est forte de voir l’édifice social s’effondrer sous quelques coups de dynamite bien placés.

Mais sa lucidité lui interdit de croire à ce genre de rêve, et, a fortiori, de donner un coup de main à ceux qui n’hésitent pas à se salir les mains au nom d’une cause qui, à leurs yeux, légitime leur action. Dès sa chronique sur Ravachol (« Ravachol », L’Endehors, 1er mai 1892 ), il a pris clairement ses distances avec les attentats terroristes : d’une part, en réaffirmant qu’il a « horreur du sang versé, des ruines de la mort », que « toute vie [lui] est sacrée » et qu’il attend au contraire de l’anarchie « l’amour la beauté, la paix entre les hommes » ; et, d’autre part, en précisant que la seule « bombe » qui fera crouler « le vieux monde sous le poids de ses propres crimes » sera « d’autant plus terrible qu’elle ne contiendra ni poudre, ni dynamite », mais « de l’Idée et de la Pitié : ces deux forces contre lesquelles on ne peut rien ».

À la « propagande par le fait » il oppose donc clairement la propagande par le verbe, la seule susceptible de faire germer « l’Idée et la Pitié ». Et c’est naturellement dans cette voie qu’il s’est engagé en tant que journaliste, romancier et dramaturge, en mettant en œuvre une pédagogie de choc, dans l’espoir de secouer l’inertie de ses aveugles contemporains et de les forcer à ouvrir les yeux sur des horreurs méduséennes qu’ils ont peur de regarder en face, parce que cela bousculerait leurs bonnes consciences et perturberait leurs digestions. Mais c’est parce qu’il n’a cessé de dénoncer vigoureusement le scandale de la violence sociale qu’il est lui-même devenu scandaleux. Et tous ceux qu’il a stigmatisés et fait trembler ont cru se venger en retournant contre lui l’accusation de violence, parce que ses mots sont des armes, et des armes diablement efficaces, puisqu’elles servent à révéler au grand public les innombrables turpitudes sociales. Si Mirbeau peut apparaître comme « le Ravachol de la littérature », c’est uniquement parce que son projet éthico-politique est de dynamiter les bonnes consciences assassines et de faire table rase de tous les mensonges meurtriers accumulés dans la société de son temps.

Qualifier Mirbeau de violent ou de féroce, alors qu’il est pacifiste et non-violent, c’est une manière de mettre la passion avec laquelle il s’est engagé au service de valeurs éthiques et esthétiques sur le compte de prédispositions, voire de perversions, relevant de la psychologie, voire de la psychiatrie, et de dédouaner du même coup la société des violences effectives qu’elles n’a cessé d’exercer en toute impunité.

Voir aussi les notices Anarchie, Politique, Exagération et Ravachol.

P. M.

 

Bibliographie : Céline Beaudet, « Zola et Mirbeau face à l’anarchie – Utopie et propagande par le fait », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, 2010, pp. 147-156 ; Sharif Gemie, « Anarchism and analysis of violence in the works of Octave Mirbeau », Violence and conflict, Sheffield Academy Press, 1994, pp. 13-24 ; Isabelle Genest, « Octave Mirbeau : the Ravachol of literature ? – The case of an anarchist intellectual from 1884 to 1898 », Modern and contemporary France, n° 46, juillet 1991, pp. 17-27 ; Pierre Michel, « Les Contradictions d’un écrivain anarchiste », in Littérature et anarchie, Actes du colloque de Grenoble, Presses de l’Université du Mirail, Toulouse, 1998, pp. 31-50 ; Pierre Michel, « La Violence d’un anarchiste non-violent : le cas Octave Mirbeau », in Actes du colloque de Nanterre Écrire et penser la violence politique en littérature au XIXe siècle (1800-1914), à paraître en 2011 ; Philippe Oriol, « Littérature et anarchie : le cas Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 298-305 ; Lawrence Schehr, « Mirbeau’s Ultraviolence », Substance, n° 86, vol. 27, 1998, pp. 106-127.

 

 

 


VOYAGE

Mirbeau n’avait rien d’un explorateur, mais, avec les moyens dont il disposait – le train, la bicyclette et, sur le tard, l’automobile –, il a à son actif un nombre nullement négligeable de voyages. Non seulement il a sillonné la France en tous sens, mais il a visité aussi l’Espagne, l’Italie la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche, la Hongrie et l’Angleterre. Avant de découvrir la griserie de la vitesse et de la liberté qu’apporte l’automobile, il était apparemment motivé par la découverte de cultures différentes et la jouissance des chefs-d’œuvre de l’art en même temps que par la curiosité et le désir d’entrer en contact avec des hommes vivant dans des conditions sociales et politiques différentes des siennes. Pourtant, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’est montré fort sévère pour les voyageurs et qu’il a également démystifié la pratique du voyage. Comment expliquer cette apparente contradiction ?

 

Mornes voyageurs

L’ennui majeur des voyages tels que les évoque Mirbeau, à une époque où seule une élite friquée peut se les permettre, c’est qu’on y croise quantité d’autres voyageurs, malheureusement tous aussi stupides et vulgaires les uns que les autres, et il y a là de quoi couper l’appétit des apprentis voyageurs les plus motivés. Voici par exemple quelques spécimens gratinés d’humanité que rencontre le neurasthénique narrateur des 21 jours (1901) : « À X..., par exemple, les soixante-quinze hôtels sont surbondés de voyageurs. Il y a de tout, des Anglais, des Allemands, des Espagnols, des Russes, et même des Français. [...] Et du matin au soir, on les voit, par bandes silencieuses ou par files mornes, suivre la ligne des hôtels, se grouper devant les étalages, s’arrêter longtemps à un endroit précis, et braquer d’immenses lorgnettes sur une montagne illustre et neigeuse qu’ils savent être là, et qui est là, en effet, mais qu’on n’aperçoit jamais, sous l’épaisse muraille plafonnante de nuages qui la recouvre éternellement... Tout ce monde est fort laid, de cette laideur particulière aux villes d’eaux. À peine une fois par jour, au milieu de tous ces masques épais et de tous ces ventres pesants, j’ai la surprise d’un joli visage et d'une svelte allure. Les enfants eux-mêmes ont des airs de petits vieillards. »

Loin de constituer un nécessaire et enrichissant dépaysement, le voyage tel qu’il est conçu par ces hordes de touristes misonéistes n’est qu’un effet de mode : « L’été, la mode, ou le soin de sa santé, qui est aussi une mode, veut que l’on voyage. Quand on est un bourgeois cossu, bien obéissant, respectueux des usages mondains, il faut, à une certaine époque de l’année, quitter ses affaires, ses plaisirs, ses bonnes paresses, ses chères intimités, pour aller, sans trop savoir pourquoi, se plonger dans le grand tout. Selon le discret langage des journaux et des personnes distinguées qui les lisent, cela s’appelle un déplacement, terme moins poétique que voyage, et combien plus juste !... Certes, le cœur n’y est pas toujours, à se déplacer, on peut même dire qu’il n’y est presque jamais, mais on doit ce sacrifice à ses amis, à ses ennemis, à ses fournisseurs, à ses domestiques, vis-à-vis desquels il s’agit de tenir un rang prestigieux, car le voyage suppose de l’argent, et l’argent toutes les supériorités sociales » (ibidem). Au lieu de découvrir du neuf et de souhaiter frotter leurs cervelles à celles d’autres peuples, ils se retrouvent entre eux, leurs idées et leurs comportement sont interchangeables, ils ne constituent plus qu’un triste troupeau que l’on mène à la mer ou à la montagne, aux eaux ou dans les musées.

Bien sûr, il peut y avoir parmi eux des individus un tout petit peu plus curieux, mais Mirbeau ne les ménage pas davantage, tant leurs pratiques sont le reflet d’une bonne conscience crasse et de superficielles bribes de culture mal digérées : « Je sais des gens qui ont le don d’écrire, en marge de leurs guides, au jour le jour, leurs émotions de voyage, ou ce qu’ils croient être leurs émotions ; qui vont, de salle en salle, dans les musées, un stylographe d’une main, un carnet de l’autre, le Baedecker en poche, les yeux ailleurs et l’esprit nulle part; qui font arrêter la voiture devant une ruine historique, un point de vue recommandé, l’emplacement d’un ancien champ de bataille, pour enregistrer aussitôt une “idée et sensation”, qui n’est le plus souvent que la réminiscence d’une lecture de la veille ; qui ne s’endorment jamais sans avoir inscrit scrupuleusement le compte détaillé de leurs enthousiasmes, en même temps que de leurs dépenses. Par exemple, ceci, que j’ai lu sur un carnet oublié par un touriste dans une chambre d’hôtel : “Visité le château de Chambord (voir description dans Baedecker…). On ne bâtit plus comme ça… Oublié les hontes du présent (Combes, Pelletan, Jaurès, Hervé)… Vécu toute la journée parmi les nobles gloires du passé (François Ier, Diane de Poitiers, duchesse d’Étampes)… Me sens consolé, et meilleur… (à développer)… Donné deux francs au gardien, ce que ma femme trouve excessif… Acheté pour douze sous de cartes postales illustrées (montrer combien ces cartes postales grèvent aujourd’hui le budget d’un voyage).” Ces gens-là, je les vénère. Peut-être connaissent-ils des joies supérieures que j’ignore. Mais je tiens à les ignorer, me contentant des miennes » (La 628-E8, 1907). Entendre les commentaires imbéciles des touristes en contemplation devant les chefs-d’œuvre de la peinture exposés dans les musées constitue une expérience aussi décourageante, comme s’en plaint l’Homère de Rembrandt, dans une cocasse prosopopée : « Éloigne de moi tous ces sourds bourdonnements de moustiques, toutes ces douloureuses piqûres de mouches, qui rendent ma vie si intolérable, dans ce musée. [...] Tiens ! regarde cette grosse dame… oui, là-bas… à gauche… cette grosse dame en rose… devant le Vermeer… Tout à l’heure, elle rassemblait autour de moi toute sa famille [...] et elle disait à tout ce monde, en me désignant de la pointe d’une aiguille à chapeau : “Examinez bien ce vieux-là, mes enfants. Comme il ressemble à votre grand-père !” Et les enfants de s’écrier, en tapant dans leurs mains : “C’est vrai !… Grand-papa… grand-papa !” » (ibid.).  À l’étranger, il s’y ajoute bien souvent la xénophobie franchouillarde la plus crasse, qui se donne libre cours sans vergogne, et c’est encore bien pire : « Il est entendu que rien n’est beau, élégant, pétulant, spirituel, rien n’est intelligent que de France »...

 

Imagination, déception et révolution

Mais si, par-delà les rencontres pénibles qu’ils occasionnent, les voyages se révèlent si souvent décevants, c’est parce qu’ils ne sont jamais à la hauteur des rêves qu’ils ont suscités avant qu’on ne les entreprenne : « Pour faire le voyage imaginaire de novembre, il faut que nous fassions le voyage réel d’août » (« En route », L’Événement, 4 août 1884). Où qu’ils aillent, il n’y a, pour tous les candidats au voyage, qu’« un seul but » : « Le but, c’est le changement, l’oubli du labeur monotone, la détente du corps, de l’esprit, du cœur peut-être. [...] Là-bas, là où on n’est pas, où on a rêvé d’être. Là-bas, c’est-à-dire ailleurs [...], au pays du désir, du rêve, de l’espoir ou du retour. [...] Là-bas, c’est-à-dire vers l’avenir, coloré par l’enchantement de l’espérance. [...] Tous nous avons à cette heure la délicieuse émotion de l’inconnu. » Mais, ajoute-t-il, « que d’illusions dans tout cela et d’imagination décevante ! Que de vanité dans cette agitation qui croit avoir un but ! »  (ibid.). Même analyse dans La 628-E8 : « Le départ fait joyeuses les pires détresses… car, pour les malades, le remède n’est jamais là où ils souffrent… il est là-bas… C’est qu’on a l’espace devant soi et pour soi… et, qu’ayant l’espace, on a le temps aussi, et qu’au bout de l’espace et du temps cela ne peut être que le bonheur… Le voyage est un engourdissement, un sommeil que peuplent les songes heureux… Mais un rien vous réveille et fait  s’envoler les songes… Il suffit de la première forme rencontrée en ce vague énorme qui vous berce ; il suffit de la première ville où l’on atterrit, du premier visage humain où se confrontent à nouveau nos égoïsmes implacables… Et quand on arrive, c’est la réalité qui vous reprend, partout… partout… partout… »

Au-delà du retour brutal au réel que l’on croyait fuir, la déception de l’individu curieux de découvrir le monde peut aussi être liée au fait que « le voyageur, qui passe quelque part, ne voit jamais que ce qui se voit » (ibid.) et ne parvient donc pas vraiment à pénétrer l’âme des villes et des peuples.

Et pourtant Mirbeau n’a cessé de pérégriner à travers l’Europe : « J’aime beaucoup voyager, avoue-t-il en 1908, parce que « les voyages sont une mise en route de l’imagination », bien plus efficace que d’autres moteurs tels que les livres. Il lui suffit d’un rien, « d’un tableau entrevu dans un musée, d’un livre, d’un seul hémistiche », pour qu’il soit « mordu de nouveau de l’envie de voyager ». Mais comme il prétend se fatiguer vite de toutes choses, et qu’il n’est pas « un héros », il se contente de se promener à sa façon, tout en rêvant, comme jadis quand il lisait les aventures de Sindbad, de périples héroïques tels que le New York-Paris promu par Le Matin (« Un voyage pour le péril », Le Matin, 5 février 1908). Pour avoir vécu ce type de promenades en toute liberté grâce à l’automobile, à défaut d’aventures périlleuses, il rend hommage au constructeur Fernand Charron, dans sa longue dédicace de La 628-E8 : « Cet hommage, je vous le dois, car je vous dois des joies multiples, des impressions neuves, tout un ordre de connaissances précieuses que les livres ne donnent pas, et des mois, des mois entiers de liberté totale, loin de mes petites affaires, de mes gros soucis, et loin de moi-même, au milieu de pays nouveaux ou mal connus, parmi des êtres si divers dont j’ai mieux compris, pour les avoir approchés de plus près, la force énorme et lente qui, malgré les discordes locales, malgré la résistance des intérêts, des appétits et des privilèges, et malgré eux-mêmes, les pousse invinciblement vers la grande unité humaine. »

Mais l’apport spécifique de l’automobile, c’est le vertige lié à la vitesse : « L’automobile,  c’est aussi la déformation de la vitesse, le continuel rebondissement sur soi-même, c’est le vertige. La vie de partout se précipite, se bouscule, animée d’un mouvement fou, d’un mouvement de charge de cavalerie, et disparaît cinématographiquement, comme les arbres, les haies, les murs, les silhouettes qui bordent la route… Tout, autour [du voyageur], et en lui, saute, danse, galope, est en mouvement, en mouvement inverse de son propre mouvement. Sensation douloureuse, parfois, mais forte, fantastique et grisante, comme le vertige et comme la fièvre » – et de surcroît thérapeutique, car « il n’est pas de mélancolie dont ne triomphe l’ardent plaisir de la vitesse… » (La 628-E8). Le voyager en automobile apporte alors une révolution dans la façon de sentir le monde et de s’y insérer. Il ne permet plus seulement de rapprocher les peuples, il devient aussi un moyen d’approfondir la connaissance de soi et de découvrir « un univers qui échappe à l’attraction perfide des miasmes, de la boue, pour devenir “météores” », comme dit Claude Foucart.

Voir aussi les notices Automobile et La 628-E8.

P. M.

 

Bibliographie : Lola Bermúdez, « 628-E8 : un viaje en automóvil por la Europa de principios des siglo XX », préface de 628-E8, Cádiz, U.C.A, 2007, pp. 7-27 ; Raffaella Cavalieri, « Una nuova percezione del mondo attraverso un automobile : il caso Mirbeau », préface de Octave Mirbeau, Viaggio in automobile attraverso il Belgio e l’Olanda, Edimond, Città di Castello, 2003, pp. 7-20 ; Claude Foucart, « Le Musée et la machine : l'expérience critique dans La 628-E8 », in Actes du colloque Octave Mirbeau d’Angers, Presses de l'Université d'Angers, 1992, pp. 269-280 ; Sándor Kálai, « Le déchiffrement du monde en auto : enquête et récit dans La 628-E8 de Mirbeau », in Actes du colloque de Strasbourg, L'Europe en automobile – Octave Mirbeau écrivain voyageur, Presses de l'Université de Strasbourg, 2009, pp. 37-48 ; Christopher Lloyd, « Travelling man : Octave Mirbeau and La 628-E8 », in Occasional papers in literary and cultural studies, n° 2, E. S. R. I., University of Salford, mars 1994 ; François Masse, « L’automobile “vous met en communication directe” avec le monde : la relation au proche et au lointain  dans le voyage automobile d’Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, Angers, n° 15, 2008, pp. 68-76 ; Pierre Michel,  « La 628-E8 : de l’impressionnisme à l’expressionnisme », introduction à La 628-E8, Éditions du Boucher, 2003, pp. 3-31 ; Marie-Françoise Montaubin, « Impressions de route en automobile : variations sur l’esthétisme chez Proust et Mirbeau autour de 1907 », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 138-153.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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