Oeuvres

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Terme
L'ABBE JULES

À la fin du XIXe siècle, le monde change : la révolution industrielle a non seulement modifié le paysage, mais également changé les mentalités. Les citoyens sont dorénavant divisés en deux grandes catégories : ceux qui font partie des rouages essentiels du système technico-marchand et ceux qui, à leur corps défendant ou non, sont considérés comme des improductifs. Les romanciers ont une fascination particulière pour ce dernier groupe, à tel point qu’ils font de l’artiste (totalement inutile aux yeux des financiers), de la prostituée (sommée de ne pas faire d’enfants, quand bien même la Patrie exige de chaque femme son lot de petits soldats), ou du curé, des personnages récurrents. De ce point de vue, Octave Mirbeau est un écrivain de son temps. Comme Zola, Daudet, Huysmans, Bloy, Barbey d’Aurevilly et tutti quanti, il a choisi pour héros les déclassés ; comme eux, il a raconté l’histoire d’un prêtre.

Si l’on excepte les œuvres écrites sous des noms d’emprunt, L’Abbé Jules est le deuxième roman du Mirbeau, paru en mars 1888 – dix-huit mois après Le Calvairechez Paul Ollendorff. Sa conception a été difficile : Mirbeau a songé, dans un premier temps, à donner une suite au Calvaire, mais, parce qu’il ne trouve pas dans Rédemption (titre provisoire) de quoi nourrir son inspiration, il décide de composer une longue nouvelle sur un homme d’Église, Le Testament de l’Abbé Jules. Toutefois, sa plume est si alerte, le sujet si prenant, qu’il finit par écrire un vrai roman, entièrement consacré à la personnalité complexe de l’abbé Jules. 

Moins connu que Le Journal d’une femme de chambre (1900) ou, pour de moins bonnes raisons, Le Jardin des supplices (1899), c’est une œuvre prodigieuse dont les critiques ont découvert petit à petit la profondeur.

 

Résumé

L’histoire est, a priori, banale : Jules Dervelle, si l’on en croit le narrateur qui n’est autre que son frère, est un enfant difficile, capable de se conduire de la pire des façons aussi bien avec les membres de sa famille qu’avec ses contemporains. Or, bien que ses emportements le destinent à une vie d’aventure et de malheur, il décide de se faire curé, à la grande surprise de son entourage, en particulier de sa mère.

Après quelques années d’étude au séminaire, il devient le secrétaire particulier de l’Évêque. A-t-il changé de caractère ? Pas vraiment. Profitant de la faiblesse de son supérieur, il fait régner la terreur dans le diocèse. C’est ainsi qu’il menace, sans vergogne, les coreligionnaires qui lui font de l’ombre, tente de violer une jeune campagnarde, et rédige un mandement où, dans un pur style pamphlétaire, il s’attaque aux pouvoirs publics, sans craindre de mettre en émoi toutes les chancelleries européennes. Dans l’espoir d’enrichir sa bibliothèque, il cherche même à récupérer la fortune que le Père Pamphile, un trinitaire à moitié fou, a amassée durant ses longues années d’aumône à travers le monde. Un dernier coup d’éclat, oblige cependant l’Évêque à le renvoyer, puis à le nommer curé à Randonnai, un coin perdu de l’Orne, peuplé de sombres « t’zimbéciles ».

Fatigué de ce ministère qui ne lui procure que déceptions, Jules décide de partir à Paris.

Après six années d’exil, il revient enfin dans son village natal où il est accueilli pour son frère et son neveu. C’est là qu’il meurt, à la suite d’une longue agonie, au cours de laquelle il prononce « des mots abominables » et se livre « à des actes obscènes ». De sa vie, ne restent alors qu’une malle et un testament, ultime provocation d’un homme perpétuellement en colère contre le monde.

Un tel résumé ne rend pas évidemment compte de la qualité et de la richesse de l’œuvre.

 

Un roman déhanché

Pour comprendre l’attrait que L’Abbé Jules suscite chez les mirbeaulogues, il convient d’abord de signaler sa construction particulière, ce « déhanchement » que l’auteur note dans une lettre à Banville. En effet, loin de suivre une sage chronologie, comme aurait pu le faire un médiocre feuilletoniste, Mirbeau se plaît à bousculer le temps. C’est ainsi qu’il modifie l’ordre de la narration, commençant par le retour de Jules sur les lieux de son enfance, avant que d’habile analepses nous relatent les événements rocambolesques de l’évêché.

Mieux, Mirbeau se garde de combler toutes les étapes du récit. Au contraire, il ne répond jamais à la question que son frère, le docteur Dervelle, pose dès le premier chapitre : « Mais qu’a-t-il pu fabriquer à Paris ? ». Alors que les codes de la vraisemblance imposaient de fournir une explication, Mirbeau préfère se taire et laisser au lecteur le soin de combler les vides.

Le même déhanchement a, semble-t-il, présidé à la création du personnage. Nous sommes loin, avec Jules Dervelle, de l’abbé Faujas de Zola. Tandis que le prêtre zolien de La Conquête de Plassans poursuit, sans relâche, le même objectif (ramener la ville de Plassans dans le giron du pouvoir, au détriment des républicains), Jules n’a aucune ligne directrice dans sa vie. Tel un homme de chair et de sang, il réagit au gré de ses humeurs. Tantôt enragé, tantôt abattu. Ici, sujet aux pires accès de rage contre Dieu et l’Église, là volontiers soumis à la volonté des puissants. L’extravagance, chez lui, n’est pas le symptôme d’une folie qui gagnerait du terrain, mais l’expression mentale et physique (l’homme ne cesse de faire de longues marches) d’un désir, à jamais assouvi, de liberté. En d’autres termes, s’il manifeste une incohérence apparente, c’est parce qu’il est plongé dans le maelström du temps, sans autre guide que ses propres convictions.   

 

Une œuvre autobiographique ?

Faut-il voir dans ce roman une œuvre autobiographique ?  Assurément, nous retrouvons quelque chose de la vie de Mirbeau dans L’Abbé Jules. L’écrivain s’est, en effet, inspiré de son propre village de Rémalard pour composer le cadre de son récit ; pour créer son personnage principal, il s’est également souvenu de son oncle Louis-Amable Mirbeau, un prêtre libre, mort dans les bras de son neveu en 1867.

Mais là n’est pas l’essentiel. Mirbeau a surtout mis beaucoup de sa personnalité. Nous retrouvons chez le romancier et l’abbé Jules des emballements communs, une passion identique pour les livres, un même goût pour la mystification et la nature. Il suffit de lire les lettres de l’écrivain pour retrouver les déchirements, les angoisses, les peurs, les dépressions du prêtre.

Il lui a prêté, en outre, nombre de ses idées. Ce n’est pas, en effet, un hasard si Jules a une conception aussi tragique de la vie ou s’il développe  une morale dans laquelle la liberté de pensée et l’ignorance salutaire des règles s’opposent à toutes les forces oppressives de la famille, de l’école ou de l’Église. N’entend-on pas les mots de Mirbeau dans les propos du curé : « Les religions – la religion catholique surtout- se sont faites les grandes entremetteuses de l’amour… Sous prétexte d’en adoucir le côté brutal – qui est le seul héroïque – elles en ont développé le côté pervers et malsain, par le sensualité des musiques et des parfums, par le mysticisme des prières et l’onanisme moral des adorations. […] Elles savaient ce qu’elles faisaient les courtisanes ! Elles savaient que c’était le meilleur et le plus sûr moyen d’abrutir l’homme et de l’enchaîner » ? Exemple parmi tant d’autres d’une véritable infusion de la pensée mirbellienne dans les pages de L’Abbé Jules.

 

Un nouvel évangile ?

Reste que L’Abbé Jules n’est pas une autobiographie. C’est à la fois une étape essentielle dans l’élaboration d’une œuvre toujours plus révolutionnaire, et un livre de combat, presque de vérité. À travers L’Abbé Jules, Mirbeau poursuit son travail de déconstruction du roman traditionnel et règle ses comptes avec Dieu.

Pour cela, il élabore – c’est du moins une lecture possible – un nouvel évangile. De fait, en lisant le roman, nous retrouvons, non seulement certaines techniques vétéro- et néo-testamentaires, mais également des passages obligés de la vie de Jésus. Tel son illustre devancier, Jules soigne les malades, enrôle un disciple auquel il prodigue son enseignement, passe de vie à trépas, avant  de réapparaître devant les yeux éberlués de ses contemporains. Toutefois,  la perspective est totalement inversée. Il ne s’agit plus de plier l’homme à la religion, mais de dénouer des liens qui rattachent l’humanité à Dieu. Au rebours des Pères, Mirbeau et Jules défendent  la vie contre la mort, la pauvre vérité des hommes contre la Révélation, la colère contre la soumission, le ricanement libérateur et farcesque contre la peur avilissante.

C’est, sans doute, la plus grande réussite du romancier : donner aux lecteurs un compagnon d’infortune – un saint homme – afin qu’il apprenne  à chacun d’entre eux combien il est important de rire. Certes, le message reste jusqu’au bout teinté d’ambiguïté (après tout, Jules n’a jamais abandonné sa charge), mais pouvons-nous demander à Mirbeau l’anarchiste de devenir un nouveau maître ? Quoi qu’il en soit, L’Abbé Jules laisse deux testaments à la postérité.  Le premier, réel et mystificateur en diable, est l’acte notarié. Jules y explique qu’il n’a jamais cru à la sincérité de la vocation des prêtres campagnards et que seule l’indigence justifie l’état sacerdotal, précisant ensuite : « Au premier prêtre du diocèse qui se défroquera, à partir du jour de ma mort, je lègue, en toute propriété, mes biens meubles et immeubles ». Le second est la malle. De fait, étymologiquement, le testament est un témoignage. Or, celle-ci atteste à la fois de la mentalité des habitants et de la vie de Jules ; elle est, conjointement, un réservoir à fantasmes pour tous les curieux, et un lieu de refoulement pour le prêtre. Bref, elle est le coffre du Pandémonium dans lequel, selon la tradition, est enfermé le secret de la vie. Requiescat in pace !

 

  Y. L.

 

Bibliographie : Coiffait, Max, « L'oncle Louis-Amable dans la malle de l'abbé Jules », Cahiers Octave Mirbeau, n° 10, 2003, pp. 204-214 ; Coiffait, Max, « Enquête sur deux personnages du romancier Octave Mirbeau - L’oncle Louis Amable et une dame sans crinoline dans la malle de l’abbé Jules », Cahiers percherons, n° 2, 2003, pp. 14-32. ; Duret, Serge, « Portrait en négatif - Jules, l'abbé à la triste figure », dans Un moderne : Octave Mirbeau, Eurédit, 2004, pp. 83-96 ; Grenaud, Céline, « Les Doubles de l’abbé Jules, ou comment un hystérique peut en cacher un autre », Cahiers Octave Mirbeau, n° 13, 2006, pp. 6-31 ; Hagerty, Joseph, « Relative realities and specular images in Octave Mirbeau's L'Abbé Jules », Excavatio, Livingston (Texas), vol. IX, 1997, pp. 1-9  ; Kálai, Sándor, «Les possibilités d’une bibliothèque idéale (L’écriture, le livre et la lecture dans L’Abbé Jules) », Cahiers Octave Mirbeau, n° 13, 2006, pp. 22-35 ; Lemarié, Yannick, « Jules Dervelle et Ovide Faujas : deux curés en enfer », Cahiers Octave Mirbeau, n° 6, 1999, pp. 100-121 ; Lemarié, Yannick, « L'Abbé Jules :  le Verbe et la colère », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 18-33 ; Lemarié, Yannick, « L’Abbé Jules : De la révolte des fils aux zigzags de la filiation », Cahiers Octave Mirbeau, n° 16, 2009, pp. 19-33 ; Lemarié, Yannick, « Lazare en Octavie : le roman du mort vivant », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, 2010, pp. 51-67 Marquer, Bertrand, « L’Hystérie comme arme polémique dans L’Abbé Jules et Le Jardin des supplices », Cahiers Octave Mirbeau, n° 12, 2005, pp. 52-68 ; Michel, Pierre,  « Aux sources de L'Abbé Jules », Littératures, Université de Toulouse, n° 30, février 1994, pp. 73-87 ; Michel, Pierre, « L’Abbé Jules : de Zola à Dostoïevski », introduction à L’Abbé Jules, Éditions du Boucher, 2003, pp. 3-18 ; Michel, Pierre,  « L'Abbé Jules, ou l'évangile du cynisme », préface de L'Abbé Jules, L'Âge d'Homme, Lausanne, 2010, pp. 7-27 ; Proriol, Nathalie, « La Temporalité dans L’Abbé Jules », Cahiers Octave Mirbeau, n° 9, 2002, pp. 77-112 ;  Ziegler, Robert, « Birth and the book : The Incunabulum in Octave Mirbeau's L'Abbé Jules », Dalhousie French Studies, Canada, n° 36, automne 1996, pp. 100-112 ; Ziegler, Robert, « Le roman cinéraire d'Octave Mirbeau : L'Abbé Jules », in Octave Mirbeau : passions et anathèmes, Actes du colloque de Cerisy, 28 septembre-2 octobre 2005, Presses de l’Université de Caen, décembre 2007, pp. 69-80.

 

 

 

 

 

 


L'AFFAIRE

Plaquette de 42 pages, publiée en 1998 par le Théâtre de la Courtine, d’Angers. Elle comporte l’adaptation théâtrale, par Gilles Mathieu, de six textes de Mirbeau tirés de L’Affaire Dreyfus.

 


L'AFFAIRE DREYFUS

Paru en 1991 à la Librairie Séguier, ce volume est un recueil quasiment complet des soixante-deux articles de Mirbeau consacrés à l’Affaire et parus, pour l’essentiel dans L’Aurore, entre le 28 novembre 1898 et le 11 septembre 1899 — il convient toutefois de noter l’absence de « L’Espoir futur » (Le Journal, le 29 mai 1898), qui a été malencontreusement oublié. Les textes sont précédés d’une longue préface de Pierre Michel et Jean-François Nivet, « Présentation » (pp. 7-42). Un index nominum complète le volume.

Si l’entrée de Mirbeau dans la bataille révisionniste peut paraître tardive au premier abord, il convient de préciser que son premier article (le septième feuilleton de Chez l’Illustre écrivain) ne paraît en fait que trois jours après l’entrée en lice d’Émile Zola, dans son article « M. Scheurer-Kestner »), à un moment où il n’y a encore qu’une poignée de personnes convaincues de l’innocence de Dreyfus et de la forfaiture du haut État-Major. Dans l’incapacité de s’exprimer sur l’Affaire au Journal, qui, après un moment d’hésitation, a choisi le camp de l’Ordre, Mirbeau devra attendre son entrée à L’Aurore, début août 1898, pour donner toute sa mesure. Ses deux premières contributions sont particulièrement importantes, car elles s’adressent respectivement aux deux catégories sociales dont il souhaite promouvoir l’alliance : d’un côté, les couches intellectuelles petites-bourgeoises, à qui il tente de faire comprendre les enjeux culturels de la bataille qui s’est engagée (« Trop tard ! », 2 août 1898) ; et, de l’autre, le prolétariat, pour qu’il se joigne aux “intellectuels” et défende un innocent sans considération de son appartenance de classe et de “race” (« À un prolétaire », 8 août 1898).

Utilisant abondamment l’interview imaginaire, dont certaines sont désopilantes (voir notamment « À cheval, Messieurs », 5 janvier 1899), le pamphlétaire s’emploie à ridiculiser et à discréditer les politiciens, militaires, magistrats et écrivains anti-dreyfusards (avec une prédilection pour le président du Conseil Charles Dupuy (« Le Compagnon Charles Dupuy », 26 janvier 1899), le journaliste et député nationaliste Lucien Millevoye (« À M. Lucien Millevoye », 19 janvier 1899) et son ancien patron Arthur Meyer (« Apologie pour Arthur Meyer », 16 février 1899). Il entend ainsi les réduire à leur minimum de malfaisance, pour la plus grande jubilation de ses lecteurs.

Il tente aussi de  galvaniser son lectorat dreyfusiste en mettant en lumière l’impossibilité de ne pas l’emporter, tant sont abondantes les preuves des faux et de la forfaiture, et tant les républicains de toute obédience ont intérêt à serrer les rangs face à la menace de subversion des nationalistes au front bas et aux cris de mort. Mais, ce faisant, il leur inspire une confiance qu’il ne partage pas, comme en fait foi son dernier article, à la veille du procès de Rennes, « En province » : la province est complètement indifférente au sort du capitaine Dreyfus, « la province s’en fout », alors qu’on assiste au « retour de la barbarie ».

Trente-quatre de ces textes de Mirbeau dreyfusard sont consultables en ligne sur Wikisource. D’autres sont en ligne sur le site de Scribd.

Voir les notices Affaire Dreyfus, Dreyfus, Politique, Anarchie et Éthique.


P. M.


Bibliographie : Yannick Lemarié, « Octave Mirbeau, l’Affaire et la littérature de combat », Cahiers Octave Mirbeau, n° 7, 2000, pp. 95-108 ; Pierre Michel et  Jean-François Nivet, préface de L’Affaire Dreyfus, Librairie Séguier, 1991, pp. 9-42 ; Pierre Michel, « L’Opinion publique face à l’Affaire, d’après Octave Mirbeau », Actes du colloque de Tours sur Les Représentations de l’affaire Dreyfus dans la presse en France et à l’étranger, Littérature et nation, n° hors série, 1995, pp. 151-160 ;  Yvette Mousson, « Le Style de Mirbeau dans ses Combats politiques et L’Affaire Dreyfus », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, mai 1996, pp. 46-51.

 

 

 

 


L'AMOUR DE LA FEMME VENALE

C’est sous ce titre qu’a été publié, en 1994, aux éditions Indigo – Côté Femmes, un essai sur la prostitution inconnu en français et traduit... du bulgare ! C’est en effet en Bulgarie, à Plovdiv, qu’en 1922, soit cinq ans après la mort de Mirbeau, les éditions Spolouka ont publié une brochure de 24 pages intitulée Любовта на продажната жена (Lioubovta na prodajnata jena). Alexandre Lévy a traduit ce texte en français, avant de retraduire en bulgare moderne sa traduction française et de publier cette nouvelle version bulgare aux éditions Polisraf, également de Plovdiv... Nous ignorons de quand date de texte, et comment il a bien pu parvenir en Bulgarie post mortem. Mais il est plausible qu’il date des dernières années de l’écrivain, peut-être vers 1912, et qu’il ait été traduit, non pas directement du français, mais plutôt du russe. Reste à vérifier l’hypothèse en essayant de retrouver le texte russe dans la masse des journaux et revues russes de l’époque...

L’édition française, de 93 pages, comporte deux préfaces : l’une est de Pierre Michel, « Mirbeau et la prostitution » (pp. 7-27),  et l’autre de l’historien Alain Corbin, « Les Noces de la femme vénale » (pp. 29-43). L’essai de Mirbeau est divisé en six chapitres : « Origine de la prostituée », « Le corps de la prostituée », « La visite », « La haine et le courage de la prostituée », « L’amour de la prostituée » et « Son avenir ».

Mirbeau ne se contente pas d’étudier froidement la prostitution, il entreprend aussi une véritable réhabilitation de ses sœurs de misère. À la lumière de sa propre expérience, et sous l'influence conjuguée des grands romanciers russes, notamment Dostoïevski, et des théoriciens libertaires, il s'interroge sur les causes économiques et sociales du phénomène prostitutionnel. Dans le cadre de la guerre des sexes, il analyse le corps de la prostituée, ses relations avec ses clients, ses amours, et son avenir. Il voit en elle  une  victime d'une société hypocrite et foncièrement immorale qui, du fait du mariage monogamique et de la frustration sexuelle qui en découle, rend indispensable le recours aux amours tarifées, mais qui n'en continue pas moins à mépriser et à rejeter les prostituées, jugées corrompues et corruptrices. Il analyse la relation entre la femme vénale et son client et voit dans la prostituée, qui ne saurait être dupe des grimaces des gens riches et puissants qu'elle débusque dans leur intimité et qu'elle met à nu – comme la femme de chambre, Célestine –, une anarchiste potentiellement subversive, car la « haine de l'homme », de celui qui la paye et l’humilie, est constitutive de son être. Du coup, l'étreinte prend la forme d'un duel, mais c’est elle qui en sort vainqueur. Paradoxalement, cette haine, source de danger pour eux, contribue aussi à attirer les hommes et renforce leur désir..

Mirbeau manifeste aussi sa compassion pour les terribles et dangereuses conditions dans lesquelles les prostituées exercent leur métier et son admiration pour leur courage. Il exalte le noble amour qu’il leur arrive d’éprouver pour un homme qui n’est pas de leur milieu. Enfin, il réclame pour elle les mêmes droits et la même reconnaissance sociale que pour tous les autres travailleurs et imagine qu’un jour elle puisse être reconnue et honorée pour les éminents services qu’elle rend à la société. Mais ce jour-là, s’il arrive jamais – Mirbeau n’y croit naturellement pas –, pourra-t-on encore parler de prostitution ? .



On peut consulter en ligne la traduction anglaise, The Love of a venal woman, et la traduction italienne, L’Amore della donna venale.

Voir aussi la notice Prostitution.

P. M.

 

Bibliographie : Alain Corbin, « Les Noces de la femme vénale », préface de L’Amour de la femme vénale, Indigo – Côté Femmes, 1994, pp. 29-43 (traduction anglaise, « The Venal Woman's wedding », et traduction italienne, « Le Nozze della donna venale »)   ; Alexandre Lévy, « L'Amour des prostituées (Mirbeau lecteur de Dostoïevski) », Cahiers Octave Mirbeau, n° 2, 1995, pp. 139-154 ; Pierre Michel, « Mirbeau et la prostitution », préface de L’Amour de la femme vénale, Indigo – Côté Femmes, 1994,  pp. 7-27 (traduction anglaise, « Mirbeau and prostitution »,  et traduction italienne, « Mirbeau e la prostituzione ») ; Pierre Michel,  « Octave Mirbeau et la femme vénale », in Métiers et marginalité dans la littérature, cahier n° XXX des Recherches sur l’imaginaire de l’Université d’Angers, Presses de l’Université d’Angers, mai 2004, pp. 41-54 ;  Octave Mirbeau, L’Amour de la femme vénale, Indigo – Côté Femmes, 1994 (traduction anglaise, The Love of a Venal Woman,  et traduction italienne, L’Amore della donna venale).

 

 


L'ECUYERE

L’Écuyère est un roman de 301 pages, paru en avril 1882 chez Paul Ollendorff, dans la collection « Grand in-18° » à 3, 50 francs, sous le pseudonyme d’Alain Bauquenne, alias André Bertéra, pour qui Mirbeau a fait le nègre.

 

Une tragédie

 

Comme d’autres romans “nègres”, il s’agit d’un roman-tragédie où, une fois dressé le piège où doit tomber l’héroïne, on peut frapper les trois coups et suivre l’enchaînement fatal des péripéties, jusqu’au dénouement sanglant. Dans L’Écuyère, le piège est double : d’un côté, il y a les effets pervers d'une éducation religieuse – luthérienne, en l'occurrence –, qui fixe un idéal de pureté inaccessible et mortifère ; de l’autre, la criminelle hypocrisie du « beau monde », particulièrement immonde, que l’héroïne est amenée à frayer, car, dans une époque de totale confusion des valeurs, où tout marche à rebours du bon sens et de la justice,  les « saltimbanques » sont devenus les rois de l’époque et, « dans les cirques où ils trônent, ont une cour, comme autrefois les rois, composées de gentilshommes qui s’inclinent respectueusement devant leur souveraineté en maillot étoilé d’or ». Le point de départ a été suggéré à Mirbeau par une chronique de la série Paris déshabillé de 1880, « Miss Zaeo » (Le Gaulois, 15 août 1880), où il opposait l'image érotisée que les hommes (et aussi quelques femmes...) se font des écuyères et la rigueur des mœurs qu'elles sont obligées de préserver : « On imagine généralement que les écuyères, gymnastes et danseuses de corde mènent une existence déréglée, et qu'elles usent leurs forces et les banknotes des gentlemen dans l'énervement des cabinets particuliers. C'est une erreur, et, si la vertu disparaissait du théâtre, on la retrouverait certainement, à vingt mètres au-dessus du niveau de la mer, sur un trapèze, un fil ou une catapulte. »

L'écuyère du titre est une jeune et belle Finlandaise dotée d’un nom fort peu finnois, mais éminemment symbolique, Julia Forsell (for sale), qui rêve de « marcher entre les lis » et de préserver sa pureté et son indépendance, dont elle tire orgueil, jouissance et pouvoir. Elle représente la haute école, aristocratie du cirque, voire véritable aristocratie tout court. Malheureusement, parvenue au faîte de la célébrité et de la richesse, elle est d’autant plus pourchassée par les hommes du monde – et aussi par les femmes, qui lancent aux hommes un véritable défi pour la leur « reprendre » – qu'elle se refuse à eux, tout en les aiguillonnant par sa « mutinerie froide de gamine ». Elle est finalement victime d'un viol particulièrement sordide, perpétré en toute impunité par un « homme du monde », à la suite d'un pari  auquel ont participé tous ces gens ignobles, qui n’en tiennent pas moins le haut du pavé (mais le viol proprement dit se réduit à une ligne de points, comme dans Sébastien Roch). Le viol de son corps, résultat de cette chasse ouverte, sera pour Julia une blessure mortelle, une honte ineffaçable, qui fera s'effondrer « cet édifice d'honneur » que la luthérienne finlandaise a savamment construit, et qui, à ses yeux, ne saurait se réparer. Le traumatisme subi empoisonne son existence, et, incapable, malgré l'amour qu'elle inspire à un honnête jeune homme, Gaston de Martigues, de supporter plus longtemps cette « souillure » qui gâche leur union, elle finit par se suicider d'une façon spectaculaire, dont se souviendra Alice Regnault, future épouse Mirbeau, dans un sien roman, Mademoiselle Pomme (1886) : mieux vaut la mort que le déshonneur, affirme-t-elle ainsi, prouvant qu’elle incarne seule le code de l’honneur trahi ignominieusement par la vieille aristocratie de naissance.

 

Une tragédie de l’amour

 

L’Écuyère est aussi une tragédie de l’amour, comme le seront également La Belle Madame Le Vassart, La Duchesse Ghislaine et Le Calvaire. D’abord, parce que, pour Mirbeau comme pour Schopenhauer, la femme a été prédestinée, par la Nature aux desseins impénétrables, à constituer le piège tendu aux hommes pour qu'ils consentent à perpétuer la vie, sans même en avoir conscience ; même si telle n’est pas du tout leur intention, elles ne sauraient donc manquer, comme Julia Forsell, d’allumer, de fasciner et d’obséder les pauvres mâles, qui s'énervent, s'enfièvrent, et s'empêtrent dans leurs filets. Ensuite, parce que, à ce malentendu originel entre hommes et femmes, s’ajoute l’inévitable confrontation de deux volontés et de deux amours-propres, dans le cadre d’une véritable guerre des sexes. Car ce sentiment qu’on appelle traditionnellement “l’amour” et qu’on a tendance à croire naïvement généreux et désintéressé, est en réalité dangereusement contaminé par l’amour-propre : entre la sculpturale gymnaste et le jeune et fortuné Gaston de Martigues, c’est un combat de longue haleine qui s’est engagé, où l’orgueil de chacun est arc-bouté sur son pré-carré. Julia est convaincue que payer son soupirant de son amour en échange de sa tendresse respectueuse, ce serait s'avouer vaincue, capituler honteusement, de sorte que, même « si l'amour sucrait sa servitude, elle n'en serait pas moins pour cela servitude ». Quant au jeune homme, avant de l’emporter et de devenir le maître, du moins pour un temps, il se sent honteusement « possédé » par la « furieuse et maîtresse passion » qui le pousse irrésistiblement vers une femme qui l'humilie sans raison. Pour parachever le triste tableau de l’amour, cette permanente guerre des sexes est aggravée par « tout le mécanisme des lois sociales » et « tous les préjugés moraux » : les amoureux sont la cible des ragots des gens du “monde”, d’une part, et se heurtent, d’autre part, aux droits de la “mère noble” du jeune homme, qu’ils ont eux-mêmes reconnus et intériorisés, se privant du même coup de tout moyen de les contester. Dès lors, tout est écrit et c’est en vain que Julia et Gaston tentent de résister aux forces coalisées de la Nature, qui les prend au piège de l’amour, et de la Société, qui, par la voix du chœur des mondains, se permet de les espionner impunément, de les juger et de les condamner en toute injustice. Désespérément ils se débattent contre cette double emprise, mais leur révolte est vouée à l’échec.

 

Pourriture et catharsis

 

Le viol de Julia est aussi l’expression cathartique d’un traumatisme de jeunesse : les probables violences sexuelles subies par le jeune Octave, peu avant d’être chassé du collège des jésuites de Vannes. Dans L’Écuyère, puis dans Sébastien Roch (1890), il tâche d’exorciser son passé et met en œuvre une poétique de la corruption, où l’aspiration à la pureté se heurte constamment à la souillure du milieu. Mais L’Écuyère permet aussi au romancier masqué de vomir toute la bile accumulée pendant toutes les années où il a frayé avec les gens de la haute et où, abaissé au rang de « prolétaire de lettres » (Les Grimaces, 15 décembre 1883), il a dû endurer moultes humiliations pendant une douzaine d’années. En même temps qu’un « vomitoire », la plume est aussi une arme au service de la vengeance, comme elle le sera entre les mains de Célestine, dans Le Journal d’une femme de chambre (1900) :  le viol de Julia Forsell sert en effet de révélateur de la pourriture de tout un milieu, car il est le résultat d’un complot et l’œuvre collective du “monde”, qu’il compare ici à un « loup dévorant ». C’est avec jubilation qu’il arrache les masques de respectabilité et dévoile « toute la saleté » et « toute la bassesse » de l'âme des riches.

Voir aussi les notices Cirque, Amour et Pourriture.

P. M.

 

Bibliographie : Jennifer Forrest, « Death Rather Than Dishonor” in  Octave Mirbeau’s L’Ecuyère », 2005 ; Jennifer Forrest, « “La mort plutôt que le déshonneur” dans L’Écuyère d’Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, mars 2007, pp. 4-21 ; Philippe Ledru, « Genèse d’une poétique de la corruption », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 4-26 ; Philippe Ledru, « Le Voyage dans L’Écuyère, d’Octave Mirbeau – L’Odyssée d’une belle âme », Revue des Lettres et de Traduction, Kaslik (Liban), n° 11, novembre 2005, pp. 411-436 ; Pierre Michel,  « Introduction » à L’Écuyère, in Œuvre romanesque d’Octave Mirbeau, Buchet/Chastel – Société Octave Mirbeau, 2001, t. I, pp. 773-783 ; Pierre Michel, « L’Écuyère : tragédie et pourriture », introduction à L’Écuyère, Éditions du Boucher, 2004, pp. 3-21.

 


L'EPIDEMIE

L’Épidémie est une farce en un acte, créée au Théâtre Antoine le 14 mai 1898, en pleine affaire Dreyfus, et publiée peu après, à la Librairie Charpentier-Fasquelle, en un petit volume de 40 pages. André Antoine, qui n’aimait pas le genre de la farce et trouvait Mirbeau excessif, ne l’a montée qu’à contre-cœur et a reculé le plus possible la première, afin de lui organiser un bel étranglement, à la veille de la fin de saison. Mirbeau y a fusionné deux chroniques dialoguées parues précédemment dans L’Écho de Paris, « L’Épidémie », le 12 juillet 1892, et « Monsieur Beuf », le 31 janvier 1893. Et il se souvient d’un reportage effectué à Lorient, en juin 1888, à l’occasion d’une épidémie de typhoïde (voir « Au pays de la fièvre », Le Figaro, 12 juin 1888).

 Mirbeau situe la scène dans une ville maritime dotée d’un port de guerre et au cours d’une réunion du conseil municipal consacrée à l’épidémie de typhoïde qui commence à frapper les casernes et les quartiers misérables. Les conseillers, de la majorité et de l’opposition, sont totalement insensibles aux ravages du mal et refusent tous les crédits destinés à l’assainissement de la ville. Mais quand, frappé à son tour par la fièvre typhoïde, meurt un bourgeois inconnu, dont le maire fait aussitôt l’éloge paradoxal et grotesquement grandiloquent, sous l’effet de la terreur, le conseil fait volte-face et vote à l’unanimité des crédits himalayesques...

Le dramaturge dénonce au vitriol le cynisme homicide des politiciens bourgeois, uniquement soucieux de leurs intérêts égoïstes, et leur politique de classe, qui dénie au plus grand nombre le droit à des conditions humaines d’existence. Il s’emploie donc à saper l’aura de respectabilité qui les met à l’abri du regard de leurs administrés. À cette fin il renonce à toute velléité de réalisme et met en œuvre des procédés farcesques (caricature, grossissement, renversement brutal, symétrie, jeux de mots et paradoxes), destinés à distancier le spectateur et à l’obliger à exercer son esprit critique. Et il met dans la bouche de ces bourgeois grotesques et foireux des propos tellement absurdes et monstrueux qu’ils se détruisent eux-mêmes, contraignant le spectateur à rejeter le système représentatif qui donne aux élus pouvoir de vie et de mort sur le peuple qu’ils prétendent représenter.

Mirbeau dénonce aussi l’abus de l’autorité scientifique des faux savants, tels que le Dr Triceps, incarnation du scientisme, et, dans l’éloge paradoxal qu’en fait le maire, présente une caricature jouissive du petit rentier, dépourvu de toute sensibilité, de toute intelligence et de toute pitié.

P. M.

 

Bibliographie : Lucile Garbagnati,  « Le Médecin dans L’Épidémie, d’Octave Mirbeau », in Littérature et médecine, Presses Universitaires Franc-comtoises, 2000, pp. 241-257 ; Tomasz Kaczmarek,  « Farces et moralités.d’Octave Mirbeau », Studia romanica posnaniensia, Poznan, n° XXXII, 2005, pp. 150-154 ; Pierre Michel, « Introduction » à L’Épidémie, in Théâtre complet, Eurédit, 2003, t. IV, pp. 63-67 ; Pierre Michel,  « Rubén Darío, Tailhade et L’Épidémie », Cahiers Octave Mirbeau, n° 12, 2005, pp. 291-300.

 

 

 

 


LA 628-E8



Avec son titre de « roman de police »,  La 628-E8 est une œuvre singulière, dont la modernité ne cesse de nous surprendre et de nous séduire un siècle après sa parution, alors que tant de romans de la Nouvelle Vague attendent au purgatoire la limite de péremption.

Publié en 1907, deux ans après le voyage en France, en Belgique, en Hollande, en Allemagne qui en est le support, le prétexte, La 628-E8 est une œuvre singulière, improbable. Mirbeau s’est refusé à préciser les contours, les limites, la nature et même le genre de ce « Journal […] d’un voyage en automobile » : « Est-ce bien un journal ? Est-ce même un voyage ? N’est-ce pas plutôt des rêves, des rêveries, des souvenirs, des impressions, des récits qui le plus souvent, n’ont aucun rapport, aucun lien visible avec les pays visités… »

En dépit de cette mise en garde qui annonce Proust et son travail sur la mémoire enfouie, peut-être même Freud, Mirbeau reste attentif aux grands problèmes de l’époque. Certaines de ses prises de position feront scandale. Sur les Belges, qui paient un peu injustement  la véritable haine portée par l’auteur à leur souverain Léopold II, en raison de son exploitation cruelle de la  population de l’État libre  (!) du Congo. Sur  nos compatriotes eux-mêmes, dont le laisser-aller est comparé à l’efficacité et au sérieux des Allemands. Mirbeau est en effet convaincu, peut-être le seul Français à son époque, des avantages d’un axe franco-allemand. Dans le climat de revanche qui préparait chez nous l’hécatombe de 1914-1918, il  fallait un grand courage – on pense à l’assassinat de Jaurès –  pour exalter les « boches » et la joie de vivre à Strasbourg sous occupation prussienne.

Autre scandale, l’insertion des trois sous-chapitres de La Mort de Balzac (voir la notice),  grâce à un subterfuge littéraire digne du théâtre romantique. Las ! Les bonnes feuilles choqueront, à juste titre peut-être, la pudeur victorienne, une descendante imprévue de madame Hanska, de sorte que nous sommes condamnés, après le retrait contraint et forcé autant qu’onéreux des chapitres incriminés des exemplaires déjà reliés, de nous reporter à la magnifique Œuvre romanesque éditée par la Société Octave Mirbeau avec Buchet-Chastel.

Même en faisant abstraction de La Mort de Balzac, La 628-E8 reste un ouvrage composite, baroque, dans lequel Mirbeau, au sommet de son art, écarte en toute souveraineté les règles conventionnelles de la composition – mais pas de l’écriture ! Sa maîtrise lui permet de nous offrir à l’arrivée, au retour en France, un récit onirique dans lequel sont serties les scènes les plus diverses, où coexistent les récits les plus dissonants, par exemple le pogrom, des  comparaisons entre marques automobiles, des jugements lapidaires sur des souverains étrangers, etc., sans que jamais le lecteur se perde en route. Cette œuvre est, par rapport à une œuvre conventionnelle, ce qu’est un hologramme par rapport à la photo classique : même fragmentée elle reste entière. Par-delà  un XIXe siècle souvent empesé, on retrouve la jubilation  procurée par Jacques le fataliste, de Diderot ou  Tristram Shandy, de Sterne.

Cette singulière liberté de l’écrivain est mise au service de la modernité éclatante de La 628-E8. Découvrant avec ivresse l’automobile qu’il consomme à satiété, Mirbeau, l’homme qui a le mieux écrit sur l’impressionnisme, puis sur l’expressionnisme d’un Van Gogh, découvre que, à la différence de son ami Monet, immobile devant des paysages changeants, il est en mouvement dans sa « maison roulante » et combine sa propre  mobilité, encore fortifiée par la grande vitesse du déplacement de l’automobile, avec celle inhérente aux paysages qu’il traverse, décuplant ainsi ses sensations. Dépassant même la « révolution copernicienne » mentionnée dans la biographie de l’écrivain, on pensera à la théorie de la relativité révélée par Einstein en 1905, l’année même du voyage de Mirbeau, et qu’on peut ainsi présenter : l’étude impossible du  mouvement absolu d’un objet par rapport à un autre pris comme point de repère. On comprend l’enthousiasme de Marinetti, le pape du Futurisme, et on mentionnera encore, comme gage complémentaire de modernité, Les Demoiselles d’Avignon, de Picasso, préfiguration du cubisme en 1907, année de parution de La 628-E8, quelques années avant le coup de tonnerre du Sacre du Printemps.

Malgré l’avis au lecteur inséré par Mirbeau, tant de nouveauté, tant de singularité ne pouvaient que surprendre les conformistes comme Remy de Gourmont, le spécialiste du jugement hâtif, André Gide (en attendant les duchesses de Proust) et, plus décevant, Valery Larbaud, le futur traducteur de Joyce. Jusque-là prévenu contre Mirbeau par sa célébrité et ses éclats, Paul Léautaud découvrira dans la dédicace au génial Charron – une œuvre en soi – des raisons d’admirer son humanisme et son indépendance d’esprit. Avec plus de 40 000 exemplaires vendus en dix ans, le public sera finalement le plus avisé des critiques.

Pour l’autre Dictionnaire, le Robert, l’adjectif « épatant » désigne ce «  qui  provoque l’admiration, donne un grand plaisir ». Ce qualificatif délicieusement daté nous paraît merveilleusement convenir à La 628-E8, qui nous transporte d’aise et d’étonnement depuis plus d’un siècle.

A. Ge.

 

Bibliographie : Lola Bermúdez, « 628-E8 : un viaje en automóvil por la Europa de principios des siglo XX », préface de 628-E8, Cádiz, U.C.A, 2007, pp. 7-27 ; Raffaella Cavalieri, « Una nuova percezione del mondo attraverso un automobile : il caso Mirbeau », préface de Viaggio in automobile attraverso il Belgio e l’Olanda, Edimond, Città di Castello, 2003, pp. 7-20 ; Raffaella Cavalieri, « L’Automobile, nouvelle héroïne romanesque - De Mirbeau à Pirandello et Bontempelli », Cahiers Octave Mirbeau, n° 10, 2003, pp. 124-130 ; Claude Foucart, « Le Musée et la machine : l'expérience critique dans La 628-E8 », in Actes du colloque Octave Mirbeau d’Angers, Presses de l'Université d'Angers, 1992, pp. 269-280 ; Samuel Lair, « La 628-E8, le nouveau jouet de Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 54-67 ; Christopher Lloyd, « Travelling man : Octave Mirbeau and La 628-E8 », in Occasional papers in literary and cultural studies, n° 2, E. S. R. I., University of Salford, mars 1994 ; François Masse, « L’automobile “vous met en communication directe” avec le monde : la relation au proche et au lointain  dans le voyage automobile d’Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 68-76 : Enda McCaffrey, « La 628-E8 : la voiture, le progrès et la post-modernité », Cahiers Octave Mirbeau, n° 6, 1999, pp. 122-141 ; Pierre Michel, « Introduction » à La 628-E8, in Œuvre romanesque de Mirbeau, Buchet/Chastel - Société Octave Mirbeau, 2001, tome III, pp. 269-277 ; Pierre Michel, Pierre, « La 628-E8 : de l’impressionnisme à l’expressionnisme », introduction à La 628-E8, Éditions du Boucher, 2003, pp. 3-31 ;  Pierre Michel et Jean-Claude Delauney, « Les épreuves corrigées de La 628-E8 », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 209-217 ; Marie-Françoise Montaubin, « Impressions de route en automobile : variations sur l’esthétisme chez Proust et Mirbeau autour de 1907 », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11,  2004, pp. 138-153 ; Charles Muller, « Le Vocabulaire automobile d’Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 88-91 ; Éléonore Reverzy, « La 628-E8 ou la mort du roman », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 257-266 ; Éléonore Reverzy et Guy Ducrey, sous la direction de, L'Europe en automobile – Octave Mirbeau écrivain voyageur, Actes du colloque de Strasbourg de Strasbourg de septembre 2007, Presses de l'Université de Strasbourg, 2009, 320 pages ; Antigone Samiou, « L'Autre » La 628-E8 d’Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 77-87 ; Anita Staron, « Octave Mirbeau : la douleur ou la douceur de vivre », in Octave Mirbeau : passions et anathàmes, Actes du colloque de Cerisy de septembre 2005, Presses de l’Université de Caen, décembre 2007, pp. 227-236 ; Anne-Cécile Thoby, « La 628-E8 : opus futuriste ? », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 106-120 ; Alain Verjat, « Une histoire de la préhistoire :  La 628-E8 », in Automobile et littérature, Presses Universitaires de Perpignan,  2005, pp. 37-48 ; Robert Ziegler, « The Artist in Utopia : J.-K. Huysmans’ Là-bas and Octave Mirbeau’s La 628-E8 », in Beauty raises the Dead - Literature and Loss in the Fin-de-siècle, University of Delaware Press, Newark, et Associated University Presses, Londres, 2002,  pp. 114-145 ; Robert Ziegler, « The Novel as Machine : La 628-E8 », chapitre IX de The Nothing Machine - The Fiction of Octave Mirbeau, Rodopi, 2007, pp. 173-200.

 

 

 

 


LA BELLE MADAME LE VASSART

La Belle Madame Le Vassart est un roman paru en juillet 1884 chez Paul Ollendorff, dans la collection « Grand in-18° » à 3, 50 francs, sous le pseudonyme d’Alain Bauquenne. Cet Alain Bauquenne est en réalité le pseudonyme d’un certain André Bertéra, dont Otto Lorenz écrit, dans la Bibliographie de la France, que c’est « le pseudonyme de M...... », ce qui implique que le “nègre” a été plus bavard qu’il n’aurait dû l’être par contrat. Le roman semble avoir eu un très honorable succès : onze éditions en un an. 

Comme les autres romans écrits comme “nègre” au début des années 1880, il s’agit d’une tragédie de la fatalité, dont le dénouement est inscrit dans la manière même dont les personnages et leur situation sont présentés dès le premier chapitre. Dans cette tragédie de l’amour, nombreux sont les points communs avec La Curée de Zola, non seulement le titre – « la belle Madame Le Vassart » ne saurait manquer d'évoquer « la belle Madame Saccard » –, mais surtout les situations : comme dans La Curée,  le sujet en est l’amour incestueux entre un jeune homme, le brillant et talentueux compositeur Daniel Le Vassart, et sa jeune et séduisante belle-mère, Jane, musicienne accomplie, parfaitement saine de corps et d'esprit, qui a été sa maîtresse de piano avant que d’épouser son père, un riche, ambitieux, vulgaire et peu scrupuleux homme d’affaires, qui annonce l’Isidore Lechat de Les affaires sont les affaires (1903). Mais l'action, déplacée d'une vingtaine d'années, se déroule sous la Troisième République, et non plus sous l'Empire : la chute du régime impérial tant décrié par Zola n'a donc rien changé à la pourriture du système économique et politique, prouvant que la République bourgeoise a trahi sa mission. Différence plus décisive encore : la tragédie vient de ce que l'inceste, à la différence de ce qui se passait dans La Curée, n'est jamais consommé. En effet, Daniel respecte trop son père, qui n’en mérite pas tant (il a fait le malheur de la mère bien-aimée et  ne voit dans le talent de son fils, auquel il n’entend rien, qu'un moyen de se mettre en valeur dans les hautes sphères de la société), et il idéalise trop sa mère décédée, dont il n’est pas parvenu à faire son deuil, pour céder à son attirance toute naturelle pour une femme pourtant digne d’estime et qui partage ses goûts et ses idéaux. C’est précisément parce qu’il n’y a pas eu transgression, pas eu de passage à l’acte ni de plaisir incestueux, que les deux innocents doivent payer au prix fort… De fait, alors que l'assouvissement ramène toutes choses à de plus justes proportions, la continence obligée ne peut qu’enfiévrer les désirs, détraquer les sens et aveugler l'esprit : en l’absence d’assouvissement, Jane et Daniel ne peuvent faire l’expérience de la décristallisation qui les libérerait du piège où ils sont englués ; plus Daniel se sent coupable à l’égard de son père et plus se renforce sa résistance à ses pulsions, plus se consolide, parallèlement, le lien mortel qui l’attache à Jane, et moins ils ont de chances d’échapper à l’étau qui va les broyer inexorablement. C'est donc, paradoxalement, leur vertu qui les perd et qui conduit, l'un à la mort (Daniel se suicide par noyade dans un étang voisin de la maison de son enfance heureuse), l'autre à une vengeance en forme de déchéance ardemment souhaitée et d'autodestruction assumée, histoire de souiller à jamais le nom détesté qui lui a été imposé, à l’instar de la duchesse de Sierra-Leone des Diaboliques, de Barbey d’Aurevilly. Dès lors, force est au lecteur à tirer des conclusions morales diamétralement opposées à celles que lui suggérait Zola, défenseur de la famille et de l’ordre républicain reposant sur la vertu.

Comme dans les romans postérieurs de Mirbeau, l’amour apparaît comme un perpétuel malentendu entre les sexes et comme une torture, qui ne peut déboucher que sur un dénouement sanglant et qui, en attendant, comme dans Le Calvaire (1886), détruit peu à peu le génie potentiel du jeune compositeur, annihilé par sa jalousie. Mais le romancier ne se contente pas de soumettre ses personnages à des impulsions élémentaires et à des déterminismes simplistes : il crée des êtres vraiment vivants,  complexes, contradictoires et fluctuants. Une fois pris au piège d’un amour interdit par les conventions sociales, ils se débattent désespérément, allant d’illusions en déceptions, de malentendus en affrontements douloureux, et constamment aveuglés chaque fois qu'ils s’imaginent naïvement obéir à la voix de la Raison.

La Belle Madame Le Vassart  ne nous présente pas seulement une nouvelle illustration de la tragédie de l’amour aux prises avec les préjugés socioculturels, conformément à l’analyse mirbellienne. On y retrouve aussi le thème du sacrifice d’un innocent qui, comme dans L’Écuyère, La Maréchale, Dans la vieille rue, La Duchesse Ghislaine et Sébastien Roch, n’aura finalement servi à rien. Il apparaîtra par conséquent comme le comble de l’absurde et de l’injustice, ce qui permet du même coup de mettre carrément la société en accusation. Dans une société foncièrement inégalitaire et où règne la lutte pour la vie, la vertu constitue en effet un handicap insurmontable. Et c’est bien la société patriarcale et mercantile de l’époque, incarnée par le père Le Vassart, qui porte la responsabilité entière de la “passion” que vit Jane Le Vassart : d’abord, en la contraignant à un mariage qui n’est qu’un maquignonnage ; ensuite, en lui faisant mener une « vie à outrance » dans le rôle de la belle Madame Le Vassart imposé par son seigneur et maître ; enfin, en opposant, à son pur amour pour un artiste beau et jeune comme elle, des obstacles “moraux” et religieux d’autant plus insurmontables que le sentiment de culpabilité, chevillé à l’âme de Daniel par toute son éducation, les rend plus prégnants et corrosifs.

Ultime différence avec Zola : alors que l’auteur de La Curée reste attaché aux codes romanesques en vigueur et prend au sérieux ses thèses et son propre roman, Mirbeau-Bauquenne  prend ses distances par rapport à son récit et nous fait comprendre que ce n’est que de la littérature, et non de la vie, ce qui est un signe incontestable de modernité. Outre les nombreuses caricatures dont il parsème son texte et un ton très souvent distancié, c’est surtout le côté théâtral avoué du dernier chapitre  et le dénouement, que l’on pourrait presque qualifier de frénétique, qui mettent délibérément mal à l’aise le lecteur habitué aux conventions romanesques en usage.

P. M.

 

Bibliographie :  Sándor Kálai,  « Sous le signe de Phèdre : La Belle Madame Le Vassart et La Curée », Cahiers Octave Mirbeau, n° 10, 2003, pp. 12-30 ; Pierre Michel,  « Mirbeau et Zola : de nouveaux documents », Cahiers Octave Mirbeau, n° 1, 1994, pp. 140-150 ; Pierre, Michel,  « Introduction » à La Belle Madame Le Vassart, in Œuvre romanesque d’Octave Mirbeau, Buchet/Chastel - Société Octave Mirbeau, 2001, t. II, pp. 673-686 ; Pierre Michel, « Les Hystériques de Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 9, 2002, pp. 17-38 ; Pierre, Michel, « La Belle Madame Le Vassart, ou Zola revisité , introduction à La Belle Madame Le Vassart, Quand Mirbeau faisait le nègre, Éditions du Boucher, 2004 ;  Antonia Rutigliani, Antonia, Deux Phèdre du XIXe siècle : Renée de Zola et Jane de Mirbeau, tesi di laurea dactylographiée, université de Bari, 2005, 84 pages.

 

 


LA DUCHESSE GHISLAINE

La Belle Madame Le Vassart est un roman paru en juillet 1884 chez Paul Ollendorff, dans la collection « Grand in-18° » à 3, 50 francs, sous le pseudonyme d’Alain Bauquenne. Cet Alain Bauquenne est en réalité le pseudonyme d’un certain André Bertéra, dont Otto Lorenz écrit, dans la Bibliographie de la France, que c’est « le pseudonyme de M...... », ce qui implique que le “nègre” a été plus bavard qu’il n’aurait dû l’être par contrat. Le roman semble avoir eu un très honorable succès : onze éditions en un an. 

Comme les autres romans écrits comme “nègre” au début des années 1880, il s’agit d’une tragédie de la fatalité, dont le dénouement est inscrit dans la manière même dont les personnages et leur situation sont présentés dès le premier chapitre. Dans cette tragédie de l’amour, nombreux sont les points communs avec La Curée de Zola, non seulement le titre – « la belle Madame Le Vassart » ne saurait manquer d'évoquer « la belle Madame Saccard » –, mais surtout les situations : comme dans La Curée,  le sujet en est l’amour incestueux entre un jeune homme, le brillant et talentueux compositeur Daniel Le Vassart, et sa jeune et séduisante belle-mère, Jane, musicienne accomplie, parfaitement saine de corps et d'esprit, qui a été sa maîtresse de piano avant que d’épouser son père, un riche, ambitieux, vulgaire et peu scrupuleux homme d’affaires, qui annonce l’Isidore Lechat de Les affaires sont les affaires (1903). Mais l'action, déplacée d'une vingtaine d'années, se déroule sous la Troisième République, et non plus sous l'Empire : la chute du régime impérial tant décrié par Zola n'a donc rien changé à la pourriture du système économique et politique, prouvant que la République bourgeoise a trahi sa mission. Différence plus décisive encore : la tragédie vient de ce que l'inceste, à la différence de ce qui se passait dans La Curée, n'est jamais consommé. En effet, Daniel respecte trop son père, qui n’en mérite pas tant (il a fait le malheur de la mère bien-aimée et  ne voit dans le talent de son fils, auquel il n’entend rien, qu'un moyen de se mettre en valeur dans les hautes sphères de la société), et il idéalise trop sa mère décédée, dont il n’est pas parvenu à faire son deuil, pour céder à son attirance toute naturelle pour une femme pourtant digne d’estime et qui partage ses goûts et ses idéaux. C’est précisément parce qu’il n’y a pas eu transgression, pas eu de passage à l’acte ni de plaisir incestueux, que les deux innocents doivent payer au prix fort… De fait, alors que l'assouvissement ramène toutes choses à de plus justes proportions, la continence obligée ne peut qu’enfiévrer les désirs, détraquer les sens et aveugler l'esprit : en l’absence d’assouvissement, Jane et Daniel ne peuvent faire l’expérience de la décristallisation qui les libérerait du piège où ils sont englués ; plus Daniel se sent coupable à l’égard de son père et plus se renforce sa résistance à ses pulsions, plus se consolide, parallèlement, le lien mortel qui l’attache à Jane, et moins ils ont de chances d’échapper à l’étau qui va les broyer inexorablement. C'est donc, paradoxalement, leur vertu qui les perd et qui conduit, l'un à la mort (Daniel se suicide par noyade dans un étang voisin de la maison de son enfance heureuse), l'autre à une vengeance en forme de déchéance ardemment souhaitée et d'autodestruction assumée, histoire de souiller à jamais le nom détesté qui lui a été imposé, à l’instar de la duchesse de Sierra-Leone des Diaboliques, de Barbey d’Aurevilly. Dès lors, force est au lecteur à tirer des conclusions morales diamétralement opposées à celles que lui suggérait Zola, défenseur de la famille et de l’ordre républicain reposant sur la vertu.

Comme dans les romans postérieurs de Mirbeau, l’amour apparaît comme un perpétuel malentendu entre les sexes et comme une torture, qui ne peut déboucher que sur un dénouement sanglant et qui, en attendant, comme dans Le Calvaire (1886), détruit peu à peu le génie potentiel du jeune compositeur, annihilé par sa jalousie. Mais le romancier ne se contente pas de soumettre ses personnages à des impulsions élémentaires et à des déterminismes simplistes : il crée des êtres vraiment vivants,  complexes, contradictoires et fluctuants. Une fois pris au piège d’un amour interdit par les conventions sociales, ils se débattent désespérément, allant d’illusions en déceptions, de malentendus en affrontements douloureux, et constamment aveuglés chaque fois qu'ils s’imaginent naïvement obéir à la voix de la Raison.

La Belle Madame Le Vassart  ne nous présente pas seulement une nouvelle illustration de la tragédie de l’amour aux prises avec les préjugés socioculturels, conformément à l’analyse mirbellienne. On y retrouve aussi le thème du sacrifice d’un innocent qui, comme dans L’Écuyère, La Maréchale, Dans la vieille rue, La Duchesse Ghislaine et Sébastien Roch, n’aura finalement servi à rien. Il apparaîtra par conséquent comme le comble de l’absurde et de l’injustice, ce qui permet du même coup de mettre carrément la société en accusation. Dans une société foncièrement inégalitaire et où règne la lutte pour la vie, la vertu constitue en effet un handicap insurmontable. Et c’est bien la société patriarcale et mercantile de l’époque, incarnée par le père Le Vassart, qui porte la responsabilité entière de la “passion” que vit Jane Le Vassart : d’abord, en la contraignant à un mariage qui n’est qu’un maquignonnage ; ensuite, en lui faisant mener une « vie à outrance » dans le rôle de la belle Madame Le Vassart imposé par son seigneur et maître ; enfin, en opposant, à son pur amour pour un artiste beau et jeune comme elle, des obstacles “moraux” et religieux d’autant plus insurmontables que le sentiment de culpabilité, chevillé à l’âme de Daniel par toute son éducation, les rend plus prégnants et corrosifs.

Ultime différence avec Zola : alors que l’auteur de La Curée reste attaché aux codes romanesques en vigueur et prend au sérieux ses thèses et son propre roman, Mirbeau-Bauquenne  prend ses distances par rapport à son récit et nous fait comprendre que ce n’est que de la littérature, et non de la vie, ce qui est un signe incontestable de modernité. Outre les nombreuses caricatures dont il parsème son texte et un ton très souvent distancié, c’est surtout le côté théâtral avoué du dernier chapitre  et le dénouement, que l’on pourrait presque qualifier de frénétique, qui mettent délibérément mal à l’aise le lecteur habitué aux conventions romanesques en usage.

P. M.

 

Bibliographie :  Sándor Kálai,  « Sous le signe de Phèdre : La Belle Madame Le Vassart et La Curée », Cahiers Octave Mirbeau, n° 10, 2003, pp. 12-30 ; Pierre Michel,  « Mirbeau et Zola : de nouveaux documents », Cahiers Octave Mirbeau, n° 1, 1994, pp. 140-150 ; Pierre, Michel,  « Introduction » à La Belle Madame Le Vassart, in Œuvre romanesque d’Octave Mirbeau, Buchet/Chastel - Société Octave Mirbeau, 2001, t. II, pp. 673-686 ; Pierre Michel, « Les Hystériques de Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 9, 2002, pp. 17-38 ; Pierre, Michel, « La Belle Madame Le Vassart, ou Zola revisité , introduction à La Belle Madame Le Vassart, Quand Mirbeau faisait le nègre, Éditions du Boucher, 2004 ;  Antonia Rutigliani, Antonia, Deux Phèdre du XIXe siècle : Renée de Zola et Jane de Mirbeau, tesi di laurea dactylographiée, université de Bari, 2005, 84 pages.

 

 


LA FEE DUM-DUM

Sous ce titre a paru, en octobre 2003, chez Arcadia Éditions, un volume de 185 pages, comportant vingt-trois contes et nouvelles tirés des Contes cruels, mais qui n’ont pas été publiés en volume du vivant de Mirbeau. Le sous-titre sous-entend la recherche d’une certaine unité thématique. Les contes sont présentés dans l’ordre chronologique de leur première publication dans la presse, entre 1882 et 1901, et la date en est précisée :  « Le Numéro 24 », « Un raté », « Nocturne parisien », « Gavinard », « La Bonne », « Piédanat », « L’Assassin de la rue Montaigne », « L’Octogénaire », « Une perquisition en 1894 », », « La Première émotion », « Un point de vue »,  « Les Marchandes du temple », « Précocité », « En attendant l’omnibus », « Monsieur Joseph », « La Livrée de Nessus », « La Fée Dum-dum », « Veuve », « Le Pantalon », « Les Deux voyages », « La Peur de l'âne »,  « Dépopulation » et « Tableau parisien ».

La nouvelle qui donne son titre au recueil, et qui a paru dans Le Journal le 20 mars 1898, porte le nom d'un casernement de l'armée anglaise proche de Calcutta par lequel on désignait des balles explosives extrêmement dangereuses, les balles dum-dum, dont l'usage a été interdit en 1899, lors de la conférence de La Haye. Ce dialogue entre le narrateur et un officier anglais a été inspiré à Mirbeau par l'information, donnée le 3 mars 1898 dans Le Journal, sur les effets meurtriers de ces balles. Il l’insèrera en 1899 dans le chapitre VI de la première partie du Jardin des supplices.

Voir aussi  la notice Contes cruels.

P. M.

 

 

 


LA FOLLE

Sous ce titre a été publié un petit recueil de 87 pages, publié en 2001 par les Mille et une Nuits, dans la « Petite Collection », n° 316, accompagné d’une postface de Jérôme Varain, « Pourquoi tant de haine ? » (pp. 75-80). Il comporte neuf contes publiés dans le tome II des Contes cruels. Outre le conte qui donne son titre au recueil, on y trouve « Un administrateur », « Pantomime départementale », « Le Rebouteux », « La Vache tachetée », « Le Mur », « Le Rat de cave », « Un point de vue », et « L’Enfant ».

 


LA GOMME

La Gomme est une pièce en trois actes qui n’a pas été représentée, à notre connaissance, et qui a paru chez Dentu, en 1889, sous le nom de Félicien Champsaur, dans un volume artistement illustré par une pléiade de dessinateurs :  Caran d'Ache, Jules Chéret, Henry Gerbault, Auguste Gorguet, Lunel, Mars, Louis Morin, José Roy et Félicien Rops.  Selon toute probabilité, il s’agit d’une œuvre écrite par Mirbeau comme nègre, et la seule pièce de théâtre “nègre” qui ait pu être identifiée à ce jour.

Le texte a été à coup sûr écrit par Mirbeau, sinon dans sa totalité, du moins dans sa majeure partie, Champsaur s'étant visiblement contenté de la mise en pages décorative qui crée un volume de type nouveau et de la rédaction des couplets de l'acte III, mis en musique par Serpette et Massenet. C’est dans Le Gaulois du 24 avril 1882 qu’on annonce, en page 4, que Mirbeau travaille à une pièce en quatre actes intitulée la Gomme : « le sujet de la pièce est tiré d’une petite nouvelle de lui, parue dernièrement dans Le Gaulois, sous la signature de Gardéniac. » Il s'agit, selon toute vraisemblance, de « Dette d'honneur », qui se prête à une division en actes et traite d'un gommeux qui ruine son père après s'être endetté au jeu. Là-dessus arrive le suicide de Mlle Feyghine, actrice d'origine russe, dont les débuts à la Comédie-Française ont été un échec et qui, devenue la maîtresse du jeune duc de Morny, a été entraînée dans un monde de gommeux et, écœurée des turpitudes de son nouveau milieu, a fini par se tirer une balle dans l'hôtel particulier de son amant, le 11 septembre 1882. Mirbeau a alors consacré deux articles du Gaulois au suicide de la belle étrangère, le 13 septembre, « Mlle Feyghine », et le 22 septembre, « Le Faux monde », où il accuse « la gomme » de l'avoir tuée. Tout comme l'écuyère Julia Forsell, qui se prénommait comme Feyghine et qui était également étrangère, finlandaise en l’occurrence, dans L'Écuyère, roman “nègre”qui a précisément paru en avril de la même année.

Dans La Gomme, l'héroïne est d'origine hongroise, est comédienne et se nomme Thérèse Raïa. Elle a aussi des allures de Tzigane (au III, elle chante même une « Complainte tzigane » mise en musique par Massenet) ; elle nous est présentée comme une vierge naïve, saine et enthousiaste, qui se vante d’avoir « grandi, selon sa fantaisie, ayant pour exemple, dans les montagnes, l’indépendance des torrents et, dans le ciel, la virginité des étoiles ». À Paris, où elle est venue poussée par un irrésistible besoin de faire du théâtre, elle vit elle aussi chez sa tante, une dame Buchmann rebaptisée Boucher et originaire de Vienne, qui tente de tirer le meilleur profit de la beauté et du talent de sa nièce en la présentant à la gent mâle en quête de chair fraîche, dans « Le Thé de la débutante » du premier acte. Mais Thérèse est restée un « petit chat sauvage », dont la ferveur détonne en ce milieu. Elle fait ses débuts dans une adaptation théâtrale de Mademoiselle de Maupin, et, comme Feyghine, elle doit subir les critiques injustes de ceux qui daubent son accent et sa « chevelure fantasque ». Comme la jeune Russe, elle doit ensuite reprendre le rôle de Mrs Clarkson, dans L’Étrangère de Dumas fils ; et, comme elle,  elle est détestée par ses camarades de scène, qui la jalousent et ne lui passent rien. Dans l’espoir de pouvoir mener une belle carrière théâtrale, en dépit du bide de sa première apparition sur scène, Thérèse écarte la proposition de mariage de l'honnête musicien Jacques Rhodel, qui lui semble être une voie sans issue, et se laisse, à la fin de l’acte II, embobiner par les grossières promesses du duc de Trésel, directement inspiré du duc de Morny, qui prétend l’y aider. Vierge, elle se donne à lui tout entière et comme Feyghine, elle finit par mourir de dégoût lorsqu’il s’apprête à la laisser tomber  et à la léguer cyniquement à son futur beau-père, le banquier Savinel. Préférant la mort au déshonneur, comme Julia Forsell, elle se suicide chez son amant, après avoir repris à son compte plusieurs des formules mêmes de l’article de Mirbeau sur Mlle Feyghine.

Le style (notamment le goût du langage parlé, la surabondance des points de suspension et les formules qui font mouche) est typiquement mirbellien. De même les thèmes traités, que Mirbeau développe dans quantité de chroniques des années 1880. Quant au sujet, il est directement emprunté, ainsi que nombre de formules, à ses articles de 1882 sur Julia Feyghine. La paterniré de Mirbeau est donc éminemment probable. Mais nous ignorons dans quelles conditions a été passé le contrat liant Champsaur et son nègre de luxe.

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Octave Mirbeau, Félicien Champsaur et La Gomme – Un nouveau cas de négritude ? », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, à paraître en mars 2010 ; Dorothée Pauvert-Raimbault, « Champsaur, Mirbeau et Rimbaud », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, à paraître en mars 2010.

 

 


LA GREVE DES ELECTEURS

La Grève des électeurs : tel est le titre d’un articles anarchiste de Mirbeau paru le 28 novembre 1888 dans les colonnes du Figaro. En 1902, il a été publié en brochure par Les Temps nouveaux, n° 22, et diffusé très largement par les groupes libertaires français (40 000 exemplaires au moins) et traduit dans une dizaine de langues. Il a été republié à de nombreuses reprises depuis un siècle, le plus souvent avec un autre article de la même farine, « Prélude » (Le Figaro, 14 juillet 1889) : ces dernières années, chez Ludd en 1995, à l’Insomniaque en 2001 et 2007 et chez Allia en 2009. On le trouve aussi surabondamment sur Internet, où une cinquantaine de sites l’ont mis en ligne. C’est le texte de Mirbeau qui est donc le plus massivement diffusé, parce qu’un très grand nombre de lecteurs, qui sont aussi en droit des électeurs, y trouvent une excellente dénonciation de la duperie qu’est à leurs yeux le suffrage universel tel qu’il est pratiqué dans les pays qui se disent démocratiques.

Pour Mirbeau, ce qu’on appelle  « démocratie » n’est qu’une fiction que l’on sert au bon peuple, histoire de lui faire entériner on propre asservissement. Le comportement absurde de l’« inexprimable imbécile » qu’est l’électeur moyen, « cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant », n’est que le résultat d’un bourrage des crânes qui équivaut à un bourrage de ces urnes, qu’il qualifie d’« homicides ». Aussi Mirbeau souhaite-t-il provoquer un choc pédagogique chez le naïf, « qui s’imagine, le pauvre diable, faire acte de citoyen libre, étaler sa souveraineté, exprimer ses opinions, imposer – ô folie admirable et déconcertante ! – des programmes politiques et des revendications sociales ». Il faut pour cela saper sa confiance aveugle dans le pouvoir légitimant du vote en l’obligeant à découvrir qu’en votant il n’a fait en réalité que choisir un maître, lequel n’a souci que de ses propres intérêts, et pas du tout de ceux du peuple : « Souviens-toi que l’homme qui sollicite tes suffrages est, de ce fait, un malhonnête homme, parce qu’en échange de la situation et de la fortune où tu le pousses, il te promet un tas de choses merveilleuses qu’il ne te donnera pas et qu’il n’est pas d’ailleurs, en son pouvoir de te donner. [...] Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, ni pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. »

Mirbeau appelle donc de ses vœux la grève des urnes, dans l’espoir qu’un certain nombre de ses lecteurs-électeurs se comportent enfin en citoyens lucides et actifs. Sans quoi, aucune démocratie digne de ce nom n’est envisageable.

Voir aussi Élections, Anarchie et Politique.

P. M.

 

             

 

 


LA MORT DE BALZAC

Sous ce titre, La Mort de Balzac, ont été publiés, le 1er octobre 1923, dans Les Maîtres de la plume, les trois sous-chapitres de La 628-E8 qui avaient fait scandale, en novembre 1907, et que Mirbeau avait accepté de supprimer in extremis, à la demande de la fille de Mme Hanska, la comtesse Mniszech. C’est la reprise du Balzac de 1918 (voir la notice). La Mort de Balzac a été réédité en 1989, aux Éditions du Lérot, et en 1999, aux Éditions du Félin. Le texte a aussi été inséré à sa place initiale dans les dernières éditions de La 628-E8, notamment dans le tome III de l’Œuvre romanesque de Mirbeau, chez Buchet/Chastel (2001).

La Mort de Balzac comprend trois parties :  « Avec Balzac », « La femme de Balzac » et « La mort de Balzac » stricto sensu.  Dans la première partie, Mirbeau manifeste son admiration pour l’homme extraordinaire qu’a été Balzac et pour sa vie prodigieuse, plus encore que pour son immense production romanesque : « Non seulement j'adore l'épique créateur de La Comédie humaine, mais j'adore l'homme extraordinaire qu'il fut, le prodige d'humanité qu'il a été. Sa vie – du moins par ce que l'on en connaît – ressemble à son œuvre. On peut même dire qu'elle la dépasse. Elle est énorme, tumultueuse, bouillonnante. [...] Nous ne devons point soumettre Balzac aux règles d'une anthropométrie vulgaire. L'enfermer dans l'étroite cellule des morales courantes et des respects sociaux, c'est ne rien comprendre à un tel homme, c'est nier, contre toute évidence, le prodige, l'exception qu'il fut. Nous devons l'accepter, l'aimer, l'honorer tel qu'il fut. Tout fut énorme en lui, ses vertus et ses vices. Il a tout senti, tout désiré, tout réalisé de ce qui est humain. Il fut Bianchon, Vandenesse, Louis Lambert ; il fut aussi Rubempré ; il fut même Vautrin. »

Dans la seconde partie, le romancier retrace l’historique de la longue liaison de Balzac avec Eveline Hanska, « cet extraordinaire roman d'amour qui fut, en même temps que la méprise de deux cœurs trop littéraires, la chute finale de deux ambitions pareillement déçues ». Ce « roman » a abouti à leur tardif mariage, mais il était condamné d’entrée de jeu parce qu’il reposait sur un très grave malentendu : « Ils s'étaient dupés l'un l'autre, l'un par l'autre, ayant cru, sincèrement, qu'on peut transformer, en élans spirituels, en exaltations amoureuses, ce qu'il y a de plus vulgaire et de plus précis dans le désir humain... Et quinze ans... quinze ans de projets, de rêves, d'idéal fou, de mensonges, pour constater, en un jour, cette double méprise et cette double chute !... »

Mais c’est surtout le troisième chapitre qui a fait scandale, parce que Mirbeau y raconte, sur la foi du peintre Jean Gigoux, prétendument rencontré dans l'atelier de Rodin, que la veuve infidèle folâtrait avec son amant cependant que le génial romancier, délaissé, agonisait solitaire et commençait à pourrir dans la chambre voisine : « La vérité vraie est que Balzac est mort abandonné de tous et de tout, comme un chien ! [...] La décomposition avait été si rapide que les chairs de la face étaient toutes rongées... Le nez avait entièrement coulé sur le drap... » Cette version a été vivement contestée par les spécialistes de Balzac.

À vrai dire, Mirbeau ne se soucie aucunement de vérité historique, et ne prétend nullement qu’on doive croire sur parole un récit oral, de seconde main, obtenu du témoin un demi-siècle après les faits et sans la moindre garantie d’authenticité. Mais il entend exprimer deux sentiments qui lui tiennent particulièrement à cœur. Tout d’abord, il témoigne de son admiration pour un homme à la vie exceptionnelle et à la créativité hors normes, bien que lui-même, en tant que romancier, il se soit émancipé de son modèle romanesque. Ensuite, sur la base de sa propre expérience conjugale, il réitère sa vision très noire de l'incommunicabilité entre les sexes, qui sont condamnés à rester séparés par un abîme d'incompréhension : en traitant du couple Balzac, Mirbeau avait certainement en tête l’échec de son propre couple, et La Mort de Balzac constitue, treize ans après Mémoire pour un avocat, un nouvel acte d’accusation contre sa propre femme. Ce en quoi il s’est montré bon prophète : car, s'il n'est nullement prouvé que Mme Hanska ait trahi Balzac dans les conditions que rapporte Mirbeau, il est certain, en revanche, qu'Alice Mirbeau trahira ignominieusement la mémoire de son prestigieux époux en concoctant, avec la complicité de Gustave Hervé, un faux testament patriotique, au lendemain de sa mort... Comme si, décidément, conformément au paradoxe d’Oscar Wilde, c'était bien la vie qui imitait l'art, et non l'inverse...

Voir aussi les notices Balzac et La 628-E8.

P. M.


LA PIPE DE CIDRE

C’est sous ce titre, emprunté au premier conte du recueil, qu’en 1919, deux ans après la mort de l’écrivain, Alice Mirbeau a publié, à Paris, chez Flammarion, un volume de 288 pages comportant vingt-trois contes et nouvelles que Mirbeau avait dédaigné de recueillir en volume de son vivant : « La Pipe de cidre » - « Un Gendarme » - « Piédanat »  - « Le Colporteur » - Rabalan » - « La Belle sabotière » - « En viager » - « Conte polynésien » - « L'Octogénaire » - « La Première émotion » - « Paysage de foule » - « Le Polonais » - « Monsieur Quart » - « Les Âmes simples » - « Pour s'agrandir » - « Les Bouches inutiles » - « Deux amis s'aimaient » - « Le Tambour » - « Les Deux voyages » - « Paysage de foule » - « Jour de congé » - « Les Souvenirs d'un pauvre diable » - « Mémoire pour un avocat ».

Tous ces textes ont été recueillis dans l’édition des Contes cruels par Pierre Michel et Jean-François Nivet, sauf « Conte polynésien », qui a été reproduit dans les Contes drôles.

Voir la notice Contes cruels.

 


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