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Illustration de Cécile Oberlin
Le
roman commence par un "Frontispice". Lors d'une réunion d'intellectuels,
la discussion s'engage sur le meurtre. Tous, médecin, moraliste, poète,
philosophe, s'accordent à penser que le meurtre est, chez l'homme
comme dans la nature, un instinct vital au même titre que l'instinct
génésique. L'un des convives, politicien raté, qui porte sur sa
physionomie tous les stigmates d'une incommensurable souffrance, sort
de sa poche le manuscrit du Jardin des supplices.
Dans
une première partie, En mission, son récit retrace caricaturalement
son minable itinéraire descroc de la politique, son départ pour
Ceylan comme pseudo-"embryologiste", et ses rencontres
avec quelques spécimens gratinés d'humanité, parmi lesquels, Clara,
femme fatale aux cheveux roux et aux yeux verts, "pailletés
d'or, comme ceux des fauves" : l'homme succombe à sa sensualité
et commence son ascension au calvaire.
Clara par Leroy
La
deuxième partie du récit, Le Jardin des supplices stricto
sensu, se situe deux ans plus tard. À Canton, où lanonyme
narrateur a suivi la sadique et séduisante Anglaise, elle lui fait visiter
le bagne et assister au spectacle des supplices les plus épouvantables
et pour elle les plus jouissifs , dans un cadre édénique,
où des fleurs, somptueuses et inquiétantes, s'engraissent du sang et
de la chair des suppliciés.
Le Jardin des Supplices, couverture édition russe
Le Jardin
des supplices résulte d'un bricolage de textes disparates
conçus séparément et mis bout à bout sans le moindre souci dharmonisation
du style, de vraisemblance ou de crédibilité romanesque. Cest
à la fois un roman initiatique (la descente aux enfers des mystères
de linconscient), une métaphore de l'épouvantable condition humaine
soumise à la loi du meurtre, une condamnation sans appel des
sociétés qui reposent tout entières sur le meurtre ritualisé, une dénonciation
au vitriol du colonialisme occidental, qui transforme des continents
entiers en de véritables jardins des supplices, et un exercice fascinant
d'humour noir, notamment dans le long dialogue avec le jovial
bourreau " patapouf ".
Mirbeau y
mêle tous les tons et tous les styles, la caricature et la parodie y
côtoient le grand guignol, lesthétique de lhorreur annonciatrice
de Bataille voisine avec le discours militant, lindignation nexclut
pas la fascination. Plus que d'une monstruosité morale, il s'agit d'une
monstruosité littéraire, échappant à toute classification et
de nature à déconcerter le lecteur, dont il brouille et met à mal les
repères éthiques et esthétiques et qui ne sait comment aborder cet objet
littéraire non identifier.
Pierre MICHEL
Le texte du
roman est accessible gratuitement sur le site des éditions
du Boucher. On peut également le télécharger, en version numérisée
et dépourvue de préface, sur le site Gallica
de la B.N.F.
Une édition
critique du Jardin des supplices a été réalisée par Pierre
Michel, dans le tome II de luvre romanesque de Mirbeau,
Buchet/Chastel / Société Octave Mirbeau, 2000.
LEMARIÉ, Yannick, « Le Jardin des supplices : l’envers du décor
», préface au Jardin des supplices, La Piterne, 2017
Octave
Mirbeau - Le Jardin des Supplices (illustré) - flickr
Illustrations de Gio Colucci |
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