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Publié
de nouveau sous le pseudonyme dAlain Bauquenne, La Maréchale
est un roman placé délibérément sous le signe dAlphonse Daudet.
Le romancier a tempéré son habituel pessimisme en essayant de concilier
le réalisme social du tableau de « murs parisiennes »,
sous-titre du roman qui définit un genre bien codifié, et la fantaisie,
qui, chez Daudet, exprime un refus d'« une vision trop
cruelle de l'existence ».
Dans La
Maréchale, Mirbeau-Bauquenne met à profit un fait-divers pathétique
sur lequel il a enquêté pour le compte du Gaulois et qui lui
a permis de découvrir un personnage exceptionnel, shakespearien même,
modèle de lhéroïne éponyme : la princesse de la Moskova (1803-1881),
fille du banquier Jacques Laffitte. Ce fait-divers est loccasion
rêvée pour montrer que, dans une société mercantile où tout se vend
et s'achète, la liberté aussi a un prix, et que, dans un univers où
règne la loi du plus fort, linnocence doit être inéluctablement
sacrifiée à linjustice établie. Sous son masque de respectabilité,
le "monde" apparaît de nouveau comme un repaire de débauchés
sans scrupules, qui amassent des millions grâce à de louches spéculations
et de pendables trafics, et les jettent par la fenêtre dans des activités
dérisoires et de coûteuses représentations, où règne l'hypocrisie. La
critique sociale est infiniment plus virulente que chez Daudet !
La Maréchale Ney qui inspira La Maréchale
Le récit
du sacrifice de linnocente « vierge à vendre »,
Chantal de Varèse, aboutit néanmoins à un inattendu happy end,
à la faveur de trois miracles successifs : le romancier multiplie
les transgressions des règles de la vraisemblance et piétine allègrement
la crédibilité romanesque, comme il ne cessera plus de le faire. En
faisant apparaître larbitraire du dénouement imposé au drame contre
toute logique, il se libère aussi de tout souci de réalisme ; et
il souligne lartifice de toute littérature en tournant en dérision
son propre texte : signe évident de modernité.
Si la lecture
de La Maréchale est jubilatoire, cest aussi parce que.
Mirbeau-Bauquenne sy livre à un véritable festival linguistique
et que l'humour y est omniprésent : il constitue une protection
efficace contre une réalité décidément trop cruelle, puisquil
nous permet de rire ou de sourire de ce qui devrait nous émouvoir ou
nous bouleverser, et il contribue du même coup à distancier notre esprit
et à lui permettre d'exercice sa liberté de jugement.
Pierre MICHEL
Une édition critique de La
Maréchale été réalisée par Pierre Michel, et figure en annexe du tome I de
luvre romanesque de Mirbeau, Buchet/Chastel / Société Octave Mirbeau,
2001.
Le texte du roman est téléchargeable sur le site Internet des éditions
du Boucher, avec une préface de Pierre Michel.
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