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Comme
plusieurs des romans publiés sous pseudonyme, Sébastien Roch,
dont le héros éponyme porte un nom et un prénom lourds de significations,
est le récit du sacrifice dun innocent, dautant plus pathétique
et révoltant quil est inutile.
C'est " le
roman d'un enfant ", dont le génie potentiel est prématurément
détruit, et qui, sain de corps et d'esprit à son arrivée, est irrémédiablement
souillé à jamais quand il en est chassé comme un malpropre. D'abord
par l'éducation infligée par les jésuites du collège Saint-François-Xavier
de Vannes, où Mirbeau a passé quatre années denfer (viol de l'esprit).
Ensuite par la séduction dont il est l'objet de la part de son maître
d'études, le "père" de Kern (dont le modèle nest autre
que Sébastien du Lac), et qui aboutit au viol de son corps : sujet
on ne peut plus tabou à lépoque, ce qui entraînera une véritable
conspiration du silence lors de la publication du roman.

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double viol est symbolique du meurtre des âmes d'enfant qui se
perpètre en toute impunité dans le silence des collèges religieux, avec
la complicité du pouvoir politique : pour Mirbeau, il y a une alliance
objective entre Cartouche (les politiciens opportunistes au pouvoir)
et Loyola (lÉglise catholique). Mais lécole dite
"publique" nest pas idéalisée pour autant, car elle
contribue aussi à pétrir les âmes des enfants et à leur inculquer des
préjugés corrosifs : Mirbeau ne cède jamais au manichéisme.
L'armée parachève
le travail de destruction entamé par ces " pourrisseurs
d'âmes " que sont les jésuites : la mort du héros,
fauché absurdement dans la fleur de lâge, donne lieu à un récit
marqué au coin de lironie.
Tout le roman, qui nous fait percevoir le monde à travers la sensibilité
du jeune Sébastien, inspire au lecteur une pitié féconde qui
devrait le pousser à une remise en cause radicale des institutions
sociales à commencer par la famille, l'école et lÉglise
romaine et des idéaux mystificateurs dont on le berne. On y sent
frémir la révolte "anarchiste" du romancier
contre une société homicide et contre une religion hypocrite, qui se
prétend "damour", mais qui repose sur la manipulation,
laliénation et la compression des instincts.
Pierre MICHEL
Une édition critique de Sébastien
Roch a été réalisée par Pierre Michel, dans le tome I de luvre
romanesque de Mirbeau, Buchet/Chastel / Société Octave Mirbeau, 2000.
Le texte du roman, préfacé par
Pierre Michel, est accessible gratuitement sur le site Internet des
éditions du
Boucher.
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