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Terme
LA FEE DUM-DUM

Sous ce titre a paru, en octobre 2003, chez Arcadia Éditions, un volume de 185 pages, comportant vingt-trois contes et nouvelles tirés des Contes cruels, mais qui n’ont pas été publiés en volume du vivant de Mirbeau. Le sous-titre sous-entend la recherche d’une certaine unité thématique. Les contes sont présentés dans l’ordre chronologique de leur première publication dans la presse, entre 1882 et 1901, et la date en est précisée :  « Le Numéro 24 », « Un raté », « Nocturne parisien », « Gavinard », « La Bonne », « Piédanat », « L’Assassin de la rue Montaigne », « L’Octogénaire », « Une perquisition en 1894 », », « La Première émotion », « Un point de vue »,  « Les Marchandes du temple », « Précocité », « En attendant l’omnibus », « Monsieur Joseph », « La Livrée de Nessus », « La Fée Dum-dum », « Veuve », « Le Pantalon », « Les Deux voyages », « La Peur de l'âne »,  « Dépopulation » et « Tableau parisien ».

La nouvelle qui donne son titre au recueil, et qui a paru dans Le Journal le 20 mars 1898, porte le nom d'un casernement de l'armée anglaise proche de Calcutta par lequel on désignait des balles explosives extrêmement dangereuses, les balles dum-dum, dont l'usage a été interdit en 1899, lors de la conférence de La Haye. Ce dialogue entre le narrateur et un officier anglais a été inspiré à Mirbeau par l'information, donnée le 3 mars 1898 dans Le Journal, sur les effets meurtriers de ces balles. Il l’insèrera en 1899 dans le chapitre VI de la première partie du Jardin des supplices.

Voir aussi  la notice Contes cruels.

P. M.

 

 

 


LA FOLLE

Sous ce titre a été publié un petit recueil de 87 pages, publié en 2001 par les Mille et une Nuits, dans la « Petite Collection », n° 316, accompagné d’une postface de Jérôme Varain, « Pourquoi tant de haine ? » (pp. 75-80). Il comporte neuf contes publiés dans le tome II des Contes cruels. Outre le conte qui donne son titre au recueil, on y trouve « Un administrateur », « Pantomime départementale », « Le Rebouteux », « La Vache tachetée », « Le Mur », « Le Rat de cave », « Un point de vue », et « L’Enfant ».

 


LA GOMME

La Gomme est une pièce en trois actes qui n’a pas été représentée, à notre connaissance, et qui a paru chez Dentu, en 1889, sous le nom de Félicien Champsaur, dans un volume artistement illustré par une pléiade de dessinateurs :  Caran d'Ache, Jules Chéret, Henry Gerbault, Auguste Gorguet, Lunel, Mars, Louis Morin, José Roy et Félicien Rops.  Selon toute probabilité, il s’agit d’une œuvre écrite par Mirbeau comme nègre, et la seule pièce de théâtre “nègre” qui ait pu être identifiée à ce jour.

Le texte a été à coup sûr écrit par Mirbeau, sinon dans sa totalité, du moins dans sa majeure partie, Champsaur s'étant visiblement contenté de la mise en pages décorative qui crée un volume de type nouveau et de la rédaction des couplets de l'acte III, mis en musique par Serpette et Massenet. C’est dans Le Gaulois du 24 avril 1882 qu’on annonce, en page 4, que Mirbeau travaille à une pièce en quatre actes intitulée la Gomme : « le sujet de la pièce est tiré d’une petite nouvelle de lui, parue dernièrement dans Le Gaulois, sous la signature de Gardéniac. » Il s'agit, selon toute vraisemblance, de « Dette d'honneur », qui se prête à une division en actes et traite d'un gommeux qui ruine son père après s'être endetté au jeu. Là-dessus arrive le suicide de Mlle Feyghine, actrice d'origine russe, dont les débuts à la Comédie-Française ont été un échec et qui, devenue la maîtresse du jeune duc de Morny, a été entraînée dans un monde de gommeux et, écœurée des turpitudes de son nouveau milieu, a fini par se tirer une balle dans l'hôtel particulier de son amant, le 11 septembre 1882. Mirbeau a alors consacré deux articles du Gaulois au suicide de la belle étrangère, le 13 septembre, « Mlle Feyghine », et le 22 septembre, « Le Faux monde », où il accuse « la gomme » de l'avoir tuée. Tout comme l'écuyère Julia Forsell, qui se prénommait comme Feyghine et qui était également étrangère, finlandaise en l’occurrence, dans L'Écuyère, roman “nègre”qui a précisément paru en avril de la même année.

Dans La Gomme, l'héroïne est d'origine hongroise, est comédienne et se nomme Thérèse Raïa. Elle a aussi des allures de Tzigane (au III, elle chante même une « Complainte tzigane » mise en musique par Massenet) ; elle nous est présentée comme une vierge naïve, saine et enthousiaste, qui se vante d’avoir « grandi, selon sa fantaisie, ayant pour exemple, dans les montagnes, l’indépendance des torrents et, dans le ciel, la virginité des étoiles ». À Paris, où elle est venue poussée par un irrésistible besoin de faire du théâtre, elle vit elle aussi chez sa tante, une dame Buchmann rebaptisée Boucher et originaire de Vienne, qui tente de tirer le meilleur profit de la beauté et du talent de sa nièce en la présentant à la gent mâle en quête de chair fraîche, dans « Le Thé de la débutante » du premier acte. Mais Thérèse est restée un « petit chat sauvage », dont la ferveur détonne en ce milieu. Elle fait ses débuts dans une adaptation théâtrale de Mademoiselle de Maupin, et, comme Feyghine, elle doit subir les critiques injustes de ceux qui daubent son accent et sa « chevelure fantasque ». Comme la jeune Russe, elle doit ensuite reprendre le rôle de Mrs Clarkson, dans L’Étrangère de Dumas fils ; et, comme elle,  elle est détestée par ses camarades de scène, qui la jalousent et ne lui passent rien. Dans l’espoir de pouvoir mener une belle carrière théâtrale, en dépit du bide de sa première apparition sur scène, Thérèse écarte la proposition de mariage de l'honnête musicien Jacques Rhodel, qui lui semble être une voie sans issue, et se laisse, à la fin de l’acte II, embobiner par les grossières promesses du duc de Trésel, directement inspiré du duc de Morny, qui prétend l’y aider. Vierge, elle se donne à lui tout entière et comme Feyghine, elle finit par mourir de dégoût lorsqu’il s’apprête à la laisser tomber  et à la léguer cyniquement à son futur beau-père, le banquier Savinel. Préférant la mort au déshonneur, comme Julia Forsell, elle se suicide chez son amant, après avoir repris à son compte plusieurs des formules mêmes de l’article de Mirbeau sur Mlle Feyghine.

Le style (notamment le goût du langage parlé, la surabondance des points de suspension et les formules qui font mouche) est typiquement mirbellien. De même les thèmes traités, que Mirbeau développe dans quantité de chroniques des années 1880. Quant au sujet, il est directement emprunté, ainsi que nombre de formules, à ses articles de 1882 sur Julia Feyghine. La paterniré de Mirbeau est donc éminemment probable. Mais nous ignorons dans quelles conditions a été passé le contrat liant Champsaur et son nègre de luxe.

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Octave Mirbeau, Félicien Champsaur et La Gomme – Un nouveau cas de négritude ? », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, à paraître en mars 2010 ; Dorothée Pauvert-Raimbault, « Champsaur, Mirbeau et Rimbaud », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, à paraître en mars 2010.

 

 


LA GREVE DES ELECTEURS

La Grève des électeurs : tel est le titre d’un articles anarchiste de Mirbeau paru le 28 novembre 1888 dans les colonnes du Figaro. En 1902, il a été publié en brochure par Les Temps nouveaux, n° 22, et diffusé très largement par les groupes libertaires français (40 000 exemplaires au moins) et traduit dans une dizaine de langues. Il a été republié à de nombreuses reprises depuis un siècle, le plus souvent avec un autre article de la même farine, « Prélude » (Le Figaro, 14 juillet 1889) : ces dernières années, chez Ludd en 1995, à l’Insomniaque en 2001 et 2007 et chez Allia en 2009. On le trouve aussi surabondamment sur Internet, où une cinquantaine de sites l’ont mis en ligne. C’est le texte de Mirbeau qui est donc le plus massivement diffusé, parce qu’un très grand nombre de lecteurs, qui sont aussi en droit des électeurs, y trouvent une excellente dénonciation de la duperie qu’est à leurs yeux le suffrage universel tel qu’il est pratiqué dans les pays qui se disent démocratiques.

Pour Mirbeau, ce qu’on appelle  « démocratie » n’est qu’une fiction que l’on sert au bon peuple, histoire de lui faire entériner on propre asservissement. Le comportement absurde de l’« inexprimable imbécile » qu’est l’électeur moyen, « cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant », n’est que le résultat d’un bourrage des crânes qui équivaut à un bourrage de ces urnes, qu’il qualifie d’« homicides ». Aussi Mirbeau souhaite-t-il provoquer un choc pédagogique chez le naïf, « qui s’imagine, le pauvre diable, faire acte de citoyen libre, étaler sa souveraineté, exprimer ses opinions, imposer – ô folie admirable et déconcertante ! – des programmes politiques et des revendications sociales ». Il faut pour cela saper sa confiance aveugle dans le pouvoir légitimant du vote en l’obligeant à découvrir qu’en votant il n’a fait en réalité que choisir un maître, lequel n’a souci que de ses propres intérêts, et pas du tout de ceux du peuple : « Souviens-toi que l’homme qui sollicite tes suffrages est, de ce fait, un malhonnête homme, parce qu’en échange de la situation et de la fortune où tu le pousses, il te promet un tas de choses merveilleuses qu’il ne te donnera pas et qu’il n’est pas d’ailleurs, en son pouvoir de te donner. [...] Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, ni pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. »

Mirbeau appelle donc de ses vœux la grève des urnes, dans l’espoir qu’un certain nombre de ses lecteurs-électeurs se comportent enfin en citoyens lucides et actifs. Sans quoi, aucune démocratie digne de ce nom n’est envisageable.

Voir aussi Élections, Anarchie et Politique.

P. M.

 

             

 

 


LA MORT DE BALZAC

Sous ce titre, La Mort de Balzac, ont été publiés, le 1er octobre 1923, dans Les Maîtres de la plume, les trois sous-chapitres de La 628-E8 qui avaient fait scandale, en novembre 1907, et que Mirbeau avait accepté de supprimer in extremis, à la demande de la fille de Mme Hanska, la comtesse Mniszech. C’est la reprise du Balzac de 1918 (voir la notice). La Mort de Balzac a été réédité en 1989, aux Éditions du Lérot, et en 1999, aux Éditions du Félin. Le texte a aussi été inséré à sa place initiale dans les dernières éditions de La 628-E8, notamment dans le tome III de l’Œuvre romanesque de Mirbeau, chez Buchet/Chastel (2001).

La Mort de Balzac comprend trois parties :  « Avec Balzac », « La femme de Balzac » et « La mort de Balzac » stricto sensu.  Dans la première partie, Mirbeau manifeste son admiration pour l’homme extraordinaire qu’a été Balzac et pour sa vie prodigieuse, plus encore que pour son immense production romanesque : « Non seulement j'adore l'épique créateur de La Comédie humaine, mais j'adore l'homme extraordinaire qu'il fut, le prodige d'humanité qu'il a été. Sa vie – du moins par ce que l'on en connaît – ressemble à son œuvre. On peut même dire qu'elle la dépasse. Elle est énorme, tumultueuse, bouillonnante. [...] Nous ne devons point soumettre Balzac aux règles d'une anthropométrie vulgaire. L'enfermer dans l'étroite cellule des morales courantes et des respects sociaux, c'est ne rien comprendre à un tel homme, c'est nier, contre toute évidence, le prodige, l'exception qu'il fut. Nous devons l'accepter, l'aimer, l'honorer tel qu'il fut. Tout fut énorme en lui, ses vertus et ses vices. Il a tout senti, tout désiré, tout réalisé de ce qui est humain. Il fut Bianchon, Vandenesse, Louis Lambert ; il fut aussi Rubempré ; il fut même Vautrin. »

Dans la seconde partie, le romancier retrace l’historique de la longue liaison de Balzac avec Eveline Hanska, « cet extraordinaire roman d'amour qui fut, en même temps que la méprise de deux cœurs trop littéraires, la chute finale de deux ambitions pareillement déçues ». Ce « roman » a abouti à leur tardif mariage, mais il était condamné d’entrée de jeu parce qu’il reposait sur un très grave malentendu : « Ils s'étaient dupés l'un l'autre, l'un par l'autre, ayant cru, sincèrement, qu'on peut transformer, en élans spirituels, en exaltations amoureuses, ce qu'il y a de plus vulgaire et de plus précis dans le désir humain... Et quinze ans... quinze ans de projets, de rêves, d'idéal fou, de mensonges, pour constater, en un jour, cette double méprise et cette double chute !... »

Mais c’est surtout le troisième chapitre qui a fait scandale, parce que Mirbeau y raconte, sur la foi du peintre Jean Gigoux, prétendument rencontré dans l'atelier de Rodin, que la veuve infidèle folâtrait avec son amant cependant que le génial romancier, délaissé, agonisait solitaire et commençait à pourrir dans la chambre voisine : « La vérité vraie est que Balzac est mort abandonné de tous et de tout, comme un chien ! [...] La décomposition avait été si rapide que les chairs de la face étaient toutes rongées... Le nez avait entièrement coulé sur le drap... » Cette version a été vivement contestée par les spécialistes de Balzac.

À vrai dire, Mirbeau ne se soucie aucunement de vérité historique, et ne prétend nullement qu’on doive croire sur parole un récit oral, de seconde main, obtenu du témoin un demi-siècle après les faits et sans la moindre garantie d’authenticité. Mais il entend exprimer deux sentiments qui lui tiennent particulièrement à cœur. Tout d’abord, il témoigne de son admiration pour un homme à la vie exceptionnelle et à la créativité hors normes, bien que lui-même, en tant que romancier, il se soit émancipé de son modèle romanesque. Ensuite, sur la base de sa propre expérience conjugale, il réitère sa vision très noire de l'incommunicabilité entre les sexes, qui sont condamnés à rester séparés par un abîme d'incompréhension : en traitant du couple Balzac, Mirbeau avait certainement en tête l’échec de son propre couple, et La Mort de Balzac constitue, treize ans après Mémoire pour un avocat, un nouvel acte d’accusation contre sa propre femme. Ce en quoi il s’est montré bon prophète : car, s'il n'est nullement prouvé que Mme Hanska ait trahi Balzac dans les conditions que rapporte Mirbeau, il est certain, en revanche, qu'Alice Mirbeau trahira ignominieusement la mémoire de son prestigieux époux en concoctant, avec la complicité de Gustave Hervé, un faux testament patriotique, au lendemain de sa mort... Comme si, décidément, conformément au paradoxe d’Oscar Wilde, c'était bien la vie qui imitait l'art, et non l'inverse...

Voir aussi les notices Balzac et La 628-E8.

P. M.


LA PIPE DE CIDRE

C’est sous ce titre, emprunté au premier conte du recueil, qu’en 1919, deux ans après la mort de l’écrivain, Alice Mirbeau a publié, à Paris, chez Flammarion, un volume de 288 pages comportant vingt-trois contes et nouvelles que Mirbeau avait dédaigné de recueillir en volume de son vivant : « La Pipe de cidre » - « Un Gendarme » - « Piédanat »  - « Le Colporteur » - Rabalan » - « La Belle sabotière » - « En viager » - « Conte polynésien » - « L'Octogénaire » - « La Première émotion » - « Paysage de foule » - « Le Polonais » - « Monsieur Quart » - « Les Âmes simples » - « Pour s'agrandir » - « Les Bouches inutiles » - « Deux amis s'aimaient » - « Le Tambour » - « Les Deux voyages » - « Paysage de foule » - « Jour de congé » - « Les Souvenirs d'un pauvre diable » - « Mémoire pour un avocat ».

Tous ces textes ont été recueillis dans l’édition des Contes cruels par Pierre Michel et Jean-François Nivet, sauf « Conte polynésien », qui a été reproduit dans les Contes drôles.

Voir la notice Contes cruels.

 


LA VACHE TACHETEE

Paru à  Paris, chez Flammarion, en 1918, La Vache tachetée (257 pages) est un recueil posthume, réalisé par Alice Mirbeau, de vingt-deux contes et nouvelles parus dans la presse et que Mirbeau n'a pas publiés en volume : « La Vache tachetée » - « Notes de voyage » - « Idées générales » - « Vers le bonheur » - « Le Petit gardeur de vaches » - « Croquis bretons » - « ? » - « Le Poitrinaire » - « Une lecture » - « Sur la route » - « Sur la berge » - « En route » - « Mon jardinier » - « La Folle » - « Le Concombre fugitif » - « Explosif et baladeur » - « Paysage d'été » - « Paysage d'hiver » - Le Dernier voyage » - « Le Gamin qui cueillait les ceps » - « En attendant l’omnibus » - « Un homme sensible ».

La plupart de ces textes ont été repris dans les Contes cruels ou dans les Contes drôles.

Voir aussi la notice Contes cruels.

 

 


LE CALVAIRE

Publié chez Paul Ollendorff le 23 novembre 1886, après une prépublication, en cinq livraisons, dans La Nouvelle Revue, Le Calvaire est le premier roman que Mirbeau ait signé de son nom. Il a marqué, bien tardivement – car le faux débutant a déjà trente-huit ans et demi ! – son entrée officielle, et fracassante, en littérature, lui donnant d'emblée, dans la République des Lettres, une des toutes premières places. Mais au prix d'un énorme scandale.

 

La trame

 

Il s’agit d’une « histoire », c'est-à-dire d'un bref roman d'amour à deux personnages principaux, et qui finit mal, combinée à la tradition romanesque de la femme fatale et à un thème nouveau, celui du collage. Le récit est rédigé à la première personne par le personnage principal, Jean Mintié, anti-héros originaire d’un village de  l’Orne, comme le romancier : il s’agit de Rémalard, rebaptisé Saint-Michel-les-Hêtres pour les besoins de la fiction. Il est le narrateur de son propre calvaire et il entend expier ses fautes, ses lâchetés et ses velléités homicides, par l’aveu qu’il en fait, à l’instar de Des Grieux, le narrateur de Manon Lescaut.

Orphelin de mère, Mintié a passé une enfance sans chaleur, près d’un père notaire, dont le divertissement préféré était de faire des cartons sur les chats et les oiseaux. Les années de sa jeunesse se sont écoulées « ennuyeuses et vides » et il a fini par se sentir « indifférent » à tout. Mobilisé en 1870, il a participé à la débâcle de l’armée de la Loire et, oublié un soir par son bataillon, il a été amené, dans un geste réflexe annonciateur de celui de Meursault dans L’Étranger, à tuer à distance un cavalier prussien, en qui il venait pourtant de reconnaître une âme fraternelle ; prenant conscience qu’il venait de tuer un homme sans la moindre raison, il a couru, désespéré, étreindre le cadavre, noble scène qui a fait pousser les hauts cris : « Collant mes lèvres sur ce visage sanglant, d’où pendaient de longues baves pourprées, éperdument, je l’embrassai !…. » Après avoir fait ainsi « l’apprentissage de la vie, par le désolant métier de tueur d’hommes », il est  “monté” à Paris et y a entamé une modeste carrière littéraire, conscient que son premier livre, malgré un certain succès de ventes qui ne prouve rien, est un patchwork d’emprunts divers qui témoigne en réalité de son « impuissance ». Il a fréquenté assidûment un peintre d’avant-garde, Lirat, misogyne et sans illusions sur l’amour. C’est dans l’atelier de Lirat que Mintié a fait la connaissance d’une belle jeune femme, Juliette Roux, dont il s’est épris éperdument et aveuglément, malgré son peu de culture, la vulgarité de ses goûts et son passé de mangeuse d’hommes, comme si elle était en mesure de combler le vide de son cœur et d’apaiser son angoisse existentielle. Elle a fini par se donner à lui et par accepter de se mettre en ménage avec lui.

Dès lors a commencé sa montée au calvaire. Car non seulement la communication n’est pas possible entre deux amants séparés par un abîme, mais de surcroît la difficile cohabitation lui interdit de travailler, tarit son inspiration et fait de lui un raté. Quant au manque d’argent, conséquence d’un train de vie nettement au-dessus ses moyens, il le pousse à vendre précipitamment les biens hérités de son père, à chasser impitoyablement les honnêtes gens qui l’avaient servi et à accepter de plus en plus d’entorses à son éthique antérieure : sa déchéance morale lui fait perdre toute notion du bien et du mal. Jusqu’au moment où il n’a plus de quoi entretenir Juliette et où c’est lui qui se fait entretenir par elle, malgré la jalousie homicide et la « folie de brute forcenée » qui l’étreignent, quand il pense à sa vie dissolue. Il craint même, un jour, de l’avoir étranglée. Il décide alors de fuir ses enlacements pernicieux et de se réfugier loin de Paris, au bord de l’océan, au fin fond du Finistère. Las ! elle vient le relancer, et  sa “mauvaise vie” recommence. C’est après avoir fracassé le crâne du ridicule petit chien bichonné par sa maîtresse, « action monstrueuse » qui lui fait « horreur », et découvert par ailleurs que Juliette a réussi à circonvenir son ami Lirat, pris en flagrant délit de duplicité et obligé d’avouer qu’il est lui aussi « un sale cochon », que Jean Mintié disparaît, habillé en ouvrier, prêt à se purifier au sein de la nature, après avoir eu une hallucination où le rut et le meurtre ont partie liée.

Mirbeau avait prévu une suite, qu’il n’a jamais écrite, et qui devait s’intituler La Rédemption. Il entendait y rapporter la rédemption de son personnage au contact de la terre maternelle. Mais le style poétique qu’il entendait donner à son récit n’était visiblement pas dans ses cordes. Il est cependant probable qu’il ait utilisé des esquisses de ce projet dans son deuxième roman officiel, L’Abbé Jules (1888). 

Ce premier roman officiel est déjà en rupture avec les des canons naturalistes, qu’il critique vigoureusement dans ses chroniques littéraires. L’influence littéraire dominante est celle de son vieux maître  Barbey d'Aurevilly, mâtinée d’Edgar Poe, de Tolstoï et de Dostoïevski, que Mirbeau vient de découvrir. Le récit est totalement subjectif, par opposition à l’objectivité prétendument scientifique du roman zolien : nombre de cauchemars et d’hallucinations lui confèrent parfois une apparence proche du fantastique ; et tous les événements, les personnages et les paysages sont réfractés à travers une conscience qui trie, sélectionne, déforme, voire transfigure à tel point les données du “réel” qu'on serait presque tenté d'y voir un avatar de l'idéalisme schopenhauerien. Mirbeau prend aussi le plus grand soin de sauvegarder le mystère des êtres et des choses – ainsi Juliette est-elle toujours vue de l’extérieur, sans qu’on connaisse jamais ses mobiles – et refuse de tout expliquer, car il sait, pour avoir lu Spencer, que la vérité ultime est inaccessible.

 

Autobiographie ?

 

Le Calvaire est un roman largement autobiographique, où le romancier transpose, pour s’en purger, sa dévastatrice liaison de près de quatre années avec une femme de petite vertu, Judith Vimmer, rebaptisée ici Juliette Roux. Mais le thème fondamental, un être porteur de grandes espérances et détruit à petit feu par une passion destructrice, Mirbeau envisageait de le traiter depuis longtemps : il en parlait dès 1868 à son confident Alfred Bansard. La différence entre ce projet de jeunesse, imaginé à partir de l’exemple d’un sien ami, et le roman achevé, c’est que son récit est nourri de sa douloureuse expérience personnelle, qui n'est réductible à aucune autre. Aussi prétend-il n’avoir surtout pas voulu faire de la “littérature” et ne s'être aucunement soucié de composer, par opposition aux romans bien structurés de Zola, comme il l'écrit à Paul Bourget : « En écrivant, je ne me suis préoccupé ni d'art, ni de littérature, [...]  je me suis volontairement éloigné de tout ce qui pouvait ressembler à une œuvre composée, combinée, écrite littérairement. J'ai voulu seulement évoquer une douleur telle quelle, sans arrangement ni drame. »

Néanmoins il s’agit bien d’une fiction et, même si nombre d’épisodes de la vie de son anti-héros sont empruntés peu ou prou à sa propre expérience, il ne faudrait surtout pas en inférer que tous les faits et gestes du personnage sont imputables à l’auteur du récit fictionnel. C’est une erreur qu’ont pourtant commise – volontairement ? – plusieurs commentateurs malveillants, dans l’espoir de démonétiser un écrivain qui commençait à sentir un peu trop le soufre..

C’est après avoir côtoyé les abîmes du dégoût et du désespoir, et résisté à la tentation du suicide, que Mirbeau, à Audierne, en 1884, a repris peu à peu goût à la vie, s’est purgé du vieil homme au contact de la nature maternelle et de ces hommes héroïques et simples que sont les marins bretons. Quand il est rentré à Paris au bout de sept mois, il était bien décidé à y parachever sa thérapie, à entamer sa rédemption et à conquérir de haute lutte une place de choix dans le champ littéraire. La rédaction du Calvaire lui a précisément permis de réaliser ce triple objectif. Non sans mal : car le chapitre II, sur la débâcle de l’armée de la Loire en 1870, a choqué la directrice de la Nouvelle Revue, Juliette Adam, qui a refuser de le pré-publier, et a suscité un énorme scandale chez les professionnels du patriotisme, qui ont décrété que le romancier était un traître vendu aux Allemands..

 

Démystification

 

Il faut dire que Mirbeau n’a pas craint de choquer un lectorat misonéiste et a pris délibérément le contre-pied de la littérature conventionnelle et à l'eau de rose, en présentant, de la réalité sociale et humaine, une perception très noire, choquante pour le confort moral des lecteurs, et en faisant de la société contemporaine une critique radicale, foncièrement anarchisante, bref démystificatrice :

            * Démystification de la famille, dont « l'effroyable coup de pouce » déforme à jamais l'intelligence des enfants et détruit leur génie potentiel

            * Démystification de l'armée, dirigée par des brutes incompétentes, qui traitent leurs hommes pire que du bétail, qui gaspillent criminellement les vies humaines et les ressources naturelles, et qui combinent la cruauté et l'égoïsme à la plus insondable bêtise.

            * Désacralisation et démystification de l'idée de patrie, au nom de laquelle on sacrifie les forces vives de la nation et on fait s'entretuer des hommes, qui, en temps de paix, eussent pu développer fraternellement leurs potentialités de bonheur et de création

            * Désacralisation et démystification de l'amour, piège tendu par la nature aux desseins impénétrables, et qui n'est qu'une effroyable torture en même temps qu’une source de déchéance morale. Car l’amour que peint Mirbeau, à la façon de Félicien Rops, ce n’est pas  « l'amour frisé, pommadé, enrubanné », dont les fabricants de romans de salon font leurs choux gras, mais « l'amour barbouillé de sang, ivre de fange, l'amour aux fureurs onaniques, l'amour maudit, qui colle sur l'homme sa gueule en forme de ventouse, et lui dessèche les veines, lui pompe les moelles, lui décharne les os ». Les relations entre les sexes reposent en effet sur un éternel malentendu, et un abîme d’incompréhension les sépare à tout jamais, faisant de l’amour une duperie et, souvent, un duel à mort.

            * Démystification du plaisir, que Mirbeau, après Baudelaire, compare à un fouet qui nous conduit inéluctablement « de tortures en supplices, du néant de la vie au néant de la mort », et nous fait haleter comme d'effroyables damnés. Le roman se termine par la vision d’une frénétique danse macabre : « Dans la rue, les hommes me firent l’effet de spectres fous, de squelettes très vieux qui se démantibulaient, dont les ossements, mal rattachés par des bouts de ficelle, tombaient sur le pavé, avec d’étranges résonances. Je voyais les crânes osciller, au haut des colonnes vertébrales rompues, pendre sur les clavicules disjointes, les bras quitter les troncs, les troncs abandonner leurs rangées de côtes… Et tous ces lambeaux de corps humains, décharnés par la mort, se ruaient l’un sur l’autre, toujours emportés par la fièvre homicide, toujours fouettés par le plaisir, et ils se disputaient d’immondes charognes. »

            * Démystification  de toutes les valeurs d'une société où tout marche à rebours du bon sens et de la justice, où les artistes de génie comme Lirat sont condamnés à l'incompréhension de critiques tardigrades, aux ricanements d'un public misonéiste, et, partant, à la misère, alors que du gibier de potence accumule des fortunes mal acquises dans les tripots ou dans des trafics baptisés “affaires”, et que les Nana et les Juliette Roux se pavanent au Bois, admirées et applaudies par les ouvriers inconscients dont elles volent le pain.

            P. M.

            Bibliographie : Aurore Delmas, « Le Calvaire : Quelques remarques sur le statut de l’œuvre et le statut du narrateur », Cahiers Octave Mirbeau, n° 9, 2002, pp. 39-49 ; Sharif Gemie,  « Mirbeau et Habermas : l'exemple du Calvaire », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 38-344 ; Anna Gural-Migdal, « Entre naturalisme et frénétisme: la représentation du féminin dans Le Calvaire », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 4-17 ; Claude Herzfeld, Octave  Mirbeau – “Le Calvaire” – Étude du roman, L’Harmattan, 2008, 121 pages ; Samuel Lair, « Octave Mirbeau et le personnage du peintre », Les Cahiers du C.E.R.F., n° XX, Université de Bretagne occidentale, 2004, pp. 119-129 ; Samuel Lair, « Éros victorieux », Cahiers Octave Mirbeau, n° 9, 2002, pp. 50-63 ; Pierre Michel, « Autour du Calvaire : huit lettres d'Octave Mirbeau à Paul Hervieu », Littératures, Toulouse, n° 26, printemps 1992, pp. 221-256 ; Pierre Michel,  « Introduction », in Œuvre romanesque d’Octave Mirbeau, Buchet/Chastel – Société Octave Mirbeau, 2000, t. I, pp. 99-110 ; Pierre Michel,  « Du calvaire à la rédemption », introduction au Calvaire, Éditions du Boucher, 2003,  pp. 3-16 ; Virgine Quaruccio, « La Puissance du mystère féminin dans Le Calvaire », Cahiers Octave Mirbeau, n° 6, 1999, pp. 74-85 ; Thierry Rodange, « Du Calvaire à La Câlineuse de Rebell », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 152-159 ; Éléonore Roy-Reverzy,  « Le Calvaire, roman de l'artiste », Cahiers Octave Mirbeau, n° 2, 1995, pp. 23-38 ; Anita Staron,  « L’Expérience de la guerre chez Octave Mirbeau et Louis-Ferdinand Céline », in Écrire la rupture, Du Lérot éditeur, 2003, pp. 217-234 ; Anne-Cécile Thoby, « Sous le signe de Caïn - Les moblots d’Octave Mirbeau et de Léon Bloy », Cahiers Octave Mirbeau, n° 6, 1999, pp. 86-99 ; Robert Ziegler,  « Textual suicide in Mirbeau's Le Calvaire », Symposium, Syracuse, printemps 1997, pp. 52-62 ; Robert Ziegler,  « La Croix et le piédestal dans Le Calvaire de Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 12, 2005, pp. 35-51. 

 

 


LE CAOUTCHOUC ROUGE

Il s’agit d’une plaquette de 36 pages grand format, publiée en 1994 à Bruxelles par Les Libraires Momentanément Réunis. Elle comporte un sous-chapitre de La 628-E8 de 1907, portant le même titre, où Mirbeau  révèle et stigmatise le scandale du caoutchouc dans les plantations d'hévéa du roi des Belges Léopold II, au Congo. L’essentiel de cette brochure est constitué par une postface, extrêmement érudite, de l’éditeur, Émile Van Balberghe, « Un Sadisme colonial » (pp. 11-29).  

Voir les  notices Afrique, Colonialisme, Anticolonialisme, Belgique, Colonisons et La 628-E8.

 

 


LE COMEDIEN

Le Comédien est une brochure de 40 pages parue chez Brunox fin novembre 1882 et qui se présente sous une forme originale, car elle peut se lire dans les deux sens. Elle comprend en effet deux textes  disposés tête-bêche : d’un côté, l’article de Mirbeau contre la cabotinocratie, qui a fait scandale dans Le Figaro du 26 octobre 1882, complété par sa lettre à Francis Magnard, et, de l’autre, la réponse de Coquelin, qui prend la défense de la profession outragée. Il semble qu’au moins six éditions aient été retirées, dont la plupart portent la date de 1883. Le Comédien a été rédigé par Mirbeau à la demande du directeur du Figaro, Francis Magnard, mais celui-ci, effrayé par le scandale provoqué par le pamphlet de son porte-plume, a pris peur et s’est désolidarisé. Furieux, Mirbeau a voulu, mais en vain, provoquer son directeur en duel, puis, contraint et forcé, est alors retourné au Gaulois d’Arthur Meyer, où il n’a pas manqué d’accuser Le Figaro de s’être fait le défenseur des intérêts des cabotins.

Ce pamphlet comporte en fait deux volets. C’est tout d’abord une charge, fort injuste, contre le comédiens, accusé d’être des « réprouvés » privés de personnalité de par leur métier de caméléon : « Qu'est-ce que le comédien ? Le comédien, par la nature même de son métier, est un être inférieur et un réprouvé. Du moment où il monte sur les planches, il a fait l'abdication de sa qualité d'homme. Il n'a plus ni sa personnalité, ce que le plus inintelligent possède toujours, ni sa forme physique. Il n'a même plus ce que les plus pauvres ont : la propriété de son visage. Tout cela n'est plus à lui, tout cela appartient aux personnages qu'il est chargé de représenter. Non seulement il pense comme eux, mais il doit marcher comme eux ; il doit non seulement se fourrer leurs idées, leurs émotions et leurs sensations dans sa cervelle de singe, mais il doit encore prendre leurs vêtements et leurs bottes, leur barbe s'il est rasé, leurs rides s'il est jeune, leur beauté s'il est laid, leur laideur s'il est beau, leur ventre énorme s'il est efflanqué, leur maigreur spectrale s'il est obèse. Il ne peut être ni jeune, ni vieux, ni malade, ni bien portant, ni gras, ni maigre, ni triste, ni gai, à sa fantaisie ou à la fantaisie de la nature. Il prend les formes successives que prend la terre glaise sous les doigts du modeleur. [...] Le comédien est violon, hautbois, clarinette ou trombone, et il n'est que cela. » De surcroît, en jouant tous les grands sentiments, il contribue à « déshonorer » la vieillesse et la souffrance. Mirbeau fera son mea culpa de ces accusations tout à fait excessives, voire carrément absurdes, dans « Pour les comédiens », qu’il fera paraître le 20 avril 1903, le jour de la première de sa grande comédie Les affaires sont les affaires à la Comédie-Française. Il est cependant un point sur lequel il ne reviendra pas : pour lui, il n’appartient en aucune façon aux comédiens de se substituer aux auteurs et, à cet égard, le décret de Moscou instaurant, en 1812, le comité de lecture de la Comédie-Française lui a toujours paru très dangereux.

Mais ce qui donne à ce pamphlet univoque une portée bien différente des traditionnelles imprécations des prêtres catholiques contre les acteurs, c’est la conclusion. Car ce que dénonce Mirbeau, en fait, c’est le star-system, c’est le pouvoir reconnu aux grands acteurs de cabotiner en toute impunité, c’est leur médiatisation à outrance, qui fait qu’on accorde beaucoup plus de prestige et de respect aux interprètes qu’aux auteurs, aux histrions qu’aux grands artistes créateurs, au vernis superficiel qu’à la substance des œuvres. Il y voit le symptôme d’une société décadente, où tout marche à rebours du bon sens et de la justice : « Et plus l'art s'abaisse et descend, plus le comédien monte. Quand, au grand soleil de la Grèce, à la pleine clarté du jour, le peuple applaudissait, emporté dans le génie de Sophocle, le comédien n'était rien, il disparaissait sous le souffle superbe de l'œuvre. Aujourd'hui, le comédien est tout. C'est lui qui porte l'œuvre chétive. Aux époques de décadence, il ne se contente pas d'être le roi sur la scène, il veut aussi être roi dans la vie. Et comme nous avons tout détruit, comme nous avons renversé toutes nos croyances et brisé tous nos drapeaux, nous le hissons, le comédien, au sommet de la hiérarchie, comme le drapeau de nos décompositions. » Bien sûr, Mirbeau aura vite fait de jeter dans les poubelles de l’histoire les « croyances » et les « drapeaux » du vieux monde dont il est encore le défenseur à gages. Mais il continuera de voir dans la société de son temps une organisation moribonde qui « croule sous le poids de ses propres crimes » (« Ravachol », L’Endehors, 1er mai 1892) et qu’il souhaitera dynamiter.

Voir aussi les notices Théâtre et Comédie-Française.

P. M.

 

 Bibliographie : Jean-François Nivet, « Mirbeau et l’affaire du Comédien », Les Cahiers, n° 35, Comédie-Française / Actes Sud, mai 2000, pp. 27-41 ; Jules Truffier, Mercure de France, 15 janvier 1939, pp. 325-348.

 

 


LE CONCOMBRE FUGITIF

C’est sous ce titre qu’Arléa a fait paraître, en 1992, un recueil de contes de Mirbeau, dans la collection « Les grands humoristes » (152 pages). À l’exception d’un seul, ils ont été recueillis dans les Contes cruels ou dans les Contes drôles, mais ils sont reproduits ici sans la moindre indication de date ni de provenance et l’on y trouve aussi bien des fantaisies et des contes plaisants que des contes tragiques et saisissants, sans le moindre souci d’unité thématique ou stylistique. On y trouve : « Le Concombre fugitif », « Explosif et baladeur », « Mon jardinier », « Le Mur », « La Vache tachetée », « Un point de vue »,  « Pantomime départementale »,  « Le gamin qui cueillait les cèpes », « Un joyeux drille », « Les Millions de Jean Loqueteux », « Mon pantalon », « Idées générales », « Vers le bonheur », « La Peur de l'âne », « La Tristesse de Maît' Pitault », « L'Enfant mort », « Une bonne affaire », « Les Bouches inutiles » et « La Mort du père Dugué ».  

Le conte qui donne son titre au recueil est une fantaisie à la façon d’Alphonse Allais. Grand amateur de fleurs, pour lesquelles il a  « une passion presque monomaniaque », Mirbeau est en quête d’une fleur rarissime et rend visite à un jardinier granvillais du nom de Hortus, qui a une affection toute particulière pour  « les plantes qui font des blagues », parmi lesquelles un facétieux concombre capable de faire des bonds pour échapper à toute prise. Dans « Explosif et baladeur », qui en constitue la suite, Hortus écrit au romancier pour lui faire part d’une bien triste nouvelle : le fugitif a disparu, et il se pourrait bien qu’Alphonse Allais n’y soit pas étranger...

Voir les notice Contes drôles et Contes cruels.

P. M.

 

 

 


LE FOYER

 Rédigé en collaboration avec Thadée Natanson, Le Foyer est une comédie en trois actes (primitivement en quatre actes), créée à la Comédie-Française le 8 décembre 1908 et aussitôt publiée, d’abord dans L'Illustration théâtrale, n° 103, le 12 décembre 1908, puis en volume chez Fasquelle, au début de l’année 1909. Pour réussir à faire jouer sa pièce, Mirbeau a dû mener bataille contre Jules Claretie, administrateur de la Maison de Molière, qui, après l’avoir reçue en décembre 1906, non sans l’avoir initialement et prudemment refusée, avait pris peur devant ses multiples audaces et avait fini par interrompre arbitrairement les répétitions, le 4 mars 1908, ce qui avait entraîné une procédure judiciaire. C’est donc paradoxalement à une décision de cette “Justice” qu’il a tant vilipendée que Mirbeau doit d’avoir pu investir une seconde fois cette Bastille théâtrale qu’était la Comédie-Française. La pièce suscita un scandale, tant par le sujet traité que par le dénouement théâtralement fort incorrect, et plusieurs représentations ont été perturbées par des militants de l’Action Française. Des maires de province, tel celui d’Angers, ont même tenté d’interdire la pièce dans leur ville, au cours de la tournée Baret, au cours de l’hiver 1909.

Il s'agit en effet d'une pièce au vitriol, qui dénonce tout à la fois la charité-business, la pourriture des classes dirigeantes, la Tartufferie des élites sociales et politiques et l'exploitation économique et sexuelle des enfants dans des foyers prétendument “charitables”. Au centre de l’imbroglio, une personnalité hautement “respectable” et dotée d’une grande « surface sociale » : le baron Courtin, sénateur bonapartiste, leader de l’opposition catholique, et de surcroît académicien et éminent spécialiste de la charité. Or cet homme, si honorable en apparence, s’est rendu coupable d’importants détournements de fonds au détriment du Foyer qu’il préside et où, par ailleurs, se déroulent de drôles de scènes : la directrice, Mlle Rambert, y fait fouetter des fillettes devant de respectables vieux messieurs libidineux et offre des récompenses très particulières à celles qui lui plaisent. Lorsqu’éclate un double scandale – celui de l’abus de biens sociaux, sans qu’il soit possible à Courtin de renflouer la caisse, se double en effet de la mort d’une fillettes “oubliée dans un placard” –  il lui faut, pour éviter la prison et sauvegarder son honneur, à la fois trouver de quoi rembourser les grosses sommes dilapidées et empêcher le gouvernement républicain et la presse d’exploiter l’affaire. Courtin recourt alors aux services de son richissime ami Biron, ancien amant de sa femme Thérèse, qui finit par accepter d’avancer les fonds et de reprendre Le Foyer, mais à la condition implicite de retrouver son statut d’amant, et à la condition explicite de faire trimer davantage encore les adolescentes du Foyer, afin qu’il devienne très rentable pour lui. Quant au gouvernement, s’il consent à ne pas poursuivre Courtin, c’est en échange de son précieux silence dans une bataille politique qui s’annonce serrée. Tout est donc bien qui finit bien pour le politicien pourri et le concussionnaire impuni, qui va pouvoir partir tranquillement en croisière sur le yacht de Biron, avec sa femme et les deux amants d’icelle, le vieux Biron et le jeune d’Auberval, et y peaufiner à loisir son discours académique sur les prix de vertu... Ce dénouement n’a pas manqué de faire grincer des dents : profondément immoral, puisque c’est le cynisme éhonté qui triomphe, il n’en est pas moins inéluctable, une fois présentés les protagonistes et plantés les jalons de l’action dramatique, obligeant du même coup le spectateur à prendre conscience de l’abîme qui sépare la prétendue « morale », dont se réclament haut et fort les puissants de ce monde et leurs turpitudes effectives. Si « les salauds triomphent toujours d’être des salauds », comme l’écrit Mirbeau à l’époque, c’est qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de France, et il ne s’y résigne pas. C’est pourquoi, au lieu d’accepter de  « taire le mal », comme Courtin y invite un jeune journaliste un peu trop porté sur la satire, Mirbeau ne peut s’empêcher de crier haut et fort son indignation et s’emploie une nouvelle fois à dévoiler les maux de la société et à les rendre tellement visibles qu’il ne sera plus possible de les occulter.

Le Foyer est une excellente pièce, même si elle n’est pas construite selon les canons de la pièce « bien faite ». Certes, Mirbeau y respecte encore les conventions théâtrales en usage, ce qui semble rapprocher Le Foyer du boulevard. Mais c’est pour mieux servir son entreprise de subversion. Ce n’est pas seulement une efficace comédie de mœurs au vitriol, c’est aussi une remarquable comédie de caractères. Les trois personnages principaux, Courtin, Thérèse et Biron, frappent par la vérité de leur comportement et de leurs répliques, révélatrices du fond de leurs âmes, par leur complexité psychologique et par leurs contradictions, qui font de ces fripouilles des êtres faibles et qu’il n’est pas totalement interdit de plaindre quand il leur arrive de souffrir, comme à tout un chacun : ainsi, malgré ses millions et son cynisme, Biron souffre d’être durement confronté à la vieillesse et à la solitude ; malgré ses vilenies, Courtin, le beau parleur qui finit par se duper lui-même, est épouvanté par les conséquences angoissantes de son comportement irresponsable ; malgré ses infidélités, Thérèse est déchirée entre, d’un côté, le souci de sa dignité de femme et l’espoir d’être régénérée par l’amour, et, de l’autre, son devoir d’épouse et la nécessité où elle se retrouve de se sauver de la ruine et du déshonneur en acceptant d’être ignominieusement maquignonnée. La comédie est, certes, grinçante et subversive, et d’aucuns ont prétendu n’y voir qu’une trop lourde charge, mais elle fourmille de notations justes et reste éminemment théâtrale et dramatique.

Reprise en 1989, dans une mise en scène de Régis Santon, et avec Jacques Dacqmine, Annie Sinigalia et François Lalande dans les rôles principaux, Le Foyer a frappé par son étonnante modernité, a remporté un triomphe et a reçu en 1990 le Molière de la meilleure pièce de l’année.

P. M.

 

Bibliographie : Philippe Baron, « Le Foyer à Berlin », Cahiers Octave Mirbeau, n° 10, 2003, pp. 256-266  ; Léon Blum,  Au théâtre, Paris, Ollendorff, 1909, t. II, pp. 268-282 ;  Adolphe Brisson, Le Théâtre, Paris, Les Annales, tome IV, 1909, pp. 221-238 ; Yannick Lemarié, « Le Foyer : une pièce théorique ? », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, mars 2007, pp. 158-173 ; Pierre Michel,  « La Bataille du Foyer », Revue d'histoire du théâtre, 1991, n° 3, pp. 195-230 ; Pierre Michel, « Le Vrai-faux journal d'Octave Mirbeau », Les Écritures de l'intime - La correspondance et le journal, Actes du colloque de Brest d'octobre 1997, Champion, avril 2000, pp. 125-132 ; Pierre Michel, « Introduction » au Foyer, in Théâtre complet, Eurédit, 2003, t. III, pp. 25-34 ;  Geoffrey Ratouis, « La Bataille du Foyer à Angers, février 1909 », Cahiers Octave Mirbeau, n° 7, avril 2000, pp. 217-227.

 

 


LE JARDIN DES SUPPLICES

Ce roman, publié en 1899, au plus fort de l’affaire Dreyfus, à la veille du procès d’Alfred Dreyfus à Rennes, est le point d’orgue d’un long combat contre la société capitaliste.

 

Un texte de combat


Le Jardin des supplices est d’abord un texte de combat dont  les trois parties dénoncent, l’hypocrisie et, les travers de la société européenne.

Dans le « Frontispice », Mirbeau nous présente une conversation, entre intellectuels, sur la « loi du meurtre » qui régit les relations entre les hommes. Cette loi naturelle, « c’est un instinct vital qui est en nous... qui est dans tous les êtres organisés et les domine, comme l'instinct génésique.... » ; « le meurtre est une fonction normale – et non point exceptionnelle – de la nature et de tout être vivant », affirment deux des participants. La société la prend même en charge : « Le besoin inné du meurtre, on le refrène, on en atténue la violence physique, en lui donnant des exutoires légaux : l'industrie, le commerce colonial, la guerre, la chasse, l'antisémitisme... parce qu'il est dangereux de s'y livrer sans modération, en dehors des lois, et que les satisfactions morales qu'on en tire ne valent pas, après tout, qu'on s'expose aux ordinaires conséquences de cet acte, l'emprisonnement... les colloques avec les juges, toujours fatigants et sans intérêt scientifique... finalement la guillotine... »

Dans « En mission », première partie du récit enchâssé intitulé Le Jardin des supplices, il évoque les “qualités” récompensées dans la société bourgeoise. Il décrit la jeunesse provinciale du narrateur marquée par le rôle du père, puis par celui d'Eugène Mortain, politicien corrompu. Le père, commerçant, est décrit comme un homme dont la philosophie est de « mettre les gens dedans ». Le collège apparaît comme une réduction du monde des adultes, avec ses combines pour gagner de l'argent. E. Mortain « recelait en lui […] une âme de véritable homme d'état » et « tenait de son père la manie profitable et conquérante de l'organisation ». En quelques lignes Mirbeau dénonce l'appareil étatique, qui permet aux hommes politiques sans scrupules de s'enrichir. Le narrateur est donc élevé dans un monde où le vol et la malhonnêteté triomphent. À la mort de son père, il décide de retrouver à Paris son ami, qui est entre-temps devenu ministre. Il se lance alors dans la politique, mais échoue, car cet aventurier est trop “honnête”... Après cet échec, il fait chanter son ami, qui, pour se débarrasser de cet ami devenu compromettant, l’expédie aux Indes en tant qu' « embryologiste » à le recherche de « l’initium protoplasmique de la vie organisée ».

Dans « Le Jardin des supplices », deuxième partie de son récit, il dénonce la cruauté des hommes qui se prétendent « civilisés » et l’iniquité de la “Justice”. La mort et la souffrance sont omniprésentes, universelles. Elles sont institutionnalisées à travers l'armée, les religions et la loi : « Les passions, les appétits, les intérêts, les haines, le mensonge ; et les lois, et les institutions sociales, et la justice, l'amour, la gloire, l'héroïsme, les religions, en sont les fleurs monstrueuses et les hideux instruments de l'éternelle souffrance humaine... [...]. Et ce sont les juges, les soldats, les prêtres qui, partout, dans les églises, les casernes, les temples de justice s'acharnent à l'œuvre de mort… » D’où l’ironique dédicace du roman : « Aux Prêtres, aux Soldats, aux Juges, aux Hommes, qui éduquent, dirigent, gouvernent les hommes, je dédie ces pages de Meurtre et de Sang. »

 

Une « monstruosité littéraire »


Le Jardin des supplices est aussi une « monstruosité littéraire ». Le roman est en effet constitué de trois parties sans rapport évident les unes avec les autres. Le « Frontispice » met en scène une discussion « scientifique » sur le meurtre entre membres de l’intelligentsia parisienne : tous sont d’accord pour reconnaître que c’est le propre de l’homme et que c’est le fondement de toutes les sociétés humaines. Dans « En mission », Octave Mirbeau dresse une caricature des milieux politiques de la Troisième République et ridiculise la science à travers  les mobiles de  la pseudo-expédition scientifique  et la rencontre du narrateur avec un grotesque « très grand savant ». Sur le bateau qui le conduit en Orient, le narrateur anonyme, au visage ravagé, qui lit le récit de son expérience aux personnages rassemblés dans le « Frontispice », fait la connaissance de  Clara, une Anglaise fort émancipée, qui lui fait découvrir la face cachée de la colonisation. Dans la troisième partie, « Le Jardin des supplices » stricto sensu, il dépeint la relation sado-masochiste qui l’a lié à la sadique Clara, qui lui a fait visiter le bagne de Canton et s’est enivrée de la vision des horribles supplices infligés à des condamnés, notamment les supplices du rat, de la cloche et de la caresse. Le roman est construit à partir de récits parus antérieurement dans des journaux indépendamment les uns des autres. Simplement juxtaposés, ils forment le squelette du « roman ». Mirbeau, en adoptant ce type de construction, s’oppose à la structure du roman balzacien ou zolien. Les critiques ne se priveront pas de l’attaquer sur le manque de composition de son récit, sur la forme plus que sur le fond. Ils en souligneront aussi les invraisemblances, dont le romancier n’a cure. Mirbeau juxtapose les récits comme les impressionnistes les couleurs : c’est le tout qui donne du sens à l’œuvre.

 

Un roman initiatique


Le Jardin des supplices met en scène l’initiation du narrateur par Clara : la violence qu’elle exerce sur lui va lui ouvrir les yeux sur la cruauté du monde, sur la vraie nature de l’homme, sur le socle sanglant des sociétés et sur les épouvantables massacres perpétrés par les Anglais et les Français. Mirbeau met en scène le sadisme et le masochisme des personnages et reprend pour cela le cliché de la femme fatale de l’époque : Anglaise aux cheveux roux et aux yeux verts. Curieusement, il dote ces femmes cruelles de prénoms évoquant la lumière : on trouve une autre  Clara dans « Pauvre Tom ! » et une Clarisse dans « Le Bain ». C’est l’initiatrice Clara qui dévoile le programme de l'initiation entreprise dans la deuxième partie du roman : « Je t'apprendrai des choses terribles... des choses divines... tu sauras enfin ce que c'est que l'amour !... Je te promets que tu descendras, avec moi, tout au fond du mystère de l'amour... et de la mort !... » De fait, elle initie le narrateur en lui transmettant des vérités qui lui étaient inconnues, qu'il combat d’abord puis finit par accepter, car elles sont incarnées dans le parcours initiatique, ou illustrées par les récits et les actes des personnages. Ces vérités concernent la nature de l'homme, celle de l'amour, ou encore celle de la beauté. C'est une véritable leçon de philosophie qu'elle donne au narrateur. Il découvre, tout au long de son parcours, l'horreur qui, en s'intensifiant, sature ses sens et annihile sa pensée. Ce cheminement à l'intérieur du bagne l'a transformé. Sa nouvelle vision du monde et son rapport à la mort sont d'abord signifiés par un intense mal de tête, comparé à une torture, puis transcrit dans ses paroles : « Et l'univers m'apparut comme un immense, comme un inexorable jardin des supplices... Partout du sang, et là où il y a plus de vie, partout d'horribles tourmenteurs qui fouillent les chairs, scient les os, nous retournent la peau, avec des faces sinistres de joie... ».

 

Un roman décadent


Enfin, Le Jardin des supplices est le texte qui clôt ce que les critiques ont appelé la littérature décadente, tendance littéraire née sous le parrainage de Baudelaire, qui en est le précurseur et qui était, comme Mirbeau, révolté contre la société : sensible est ici l’influence du poète sur le romancier. Ils ont tous les deux une conception sadique de l’amour, en unissant l’exercice de la cruauté au plaisir, à la satisfaction sexuelle ; mais le premier décrit souvent une femme victime et le second développe plutôt l’image de la femme fatale. Pour Baudelaire, il s’agit de profaner la nature à travers la femme, alors que, chez Mirbeau, la conception de l’amour repose sur l’idée de la guerre des sexes : chez lui, Les Fleurs du mal ont abouti aux pleurs du mâle. Le plaisir que l’amour procure permet d’échapper un instant à la cruauté de la réalité. Mais, au lieu d’apaiser le désir, il ne fait que l’exacerber, conduisant l’individu à la recherche éperdue du plaisir sous toutes ses formes (particulièrement les formes anormales), la seule délivrance étant la mort. Le goût pour les perversions de Clara et de sa maîtresse Annie illustre cette quête. Mais, alors que Baudelaire perçoit l’œuvre de Satan derrière les perversions de l’homme, Mirbeau y voit la conséquence de pulsions sexuelles et d’un inconscient exacerbé par la société. À l’explication morale de Baudelaire, il substitue une explication clinique et “sociologique”. D’une certaine manière, Mirbeau “laïcise” certaines idées baudelairiennes.

Le Jardin des supplices permet de nombreuses lectures, comme le souligne la bibliographie donnée par Pierre Michel dans sa préface. Pourtant, on attend une étude génétique de ce récit composite, qui mettrait en lumière le travail d’écriture et de réécriture de Mirbeau.

Voir aussi les notices Collage, Recyclage, Chine, Meurtre, Sadisme, Masochisme et Hystérie.

F. S.

 

Bibliographie : Emily Apter, « The Garden of scopic perversion from Monet to Mirbeau », October, n° 47, hiver 1988, pp. 91-115 ; Ioanna Chatzidimitriou, Ioanna, « Le Jardin des supplices et les effets discursifs du pouvoir », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, mai 2007, pp. 35-47 ; Fernando Cipriani, « Un giardino mostruoso e crudele a misura della società decadente : Le Jardin des supplices », in Dal discorso letterario al discorso sociale, Sigraf Edizioni Scientifiche, Pescara, 2007, pp. 221-266 ; Michel Delon, préface du Jardin des supplices, Gallimard, Folio, 1988, pp. 7-37 ; Jérôme Gouyette, « Sacrilèges et souffrances sacrées dans Le Jardin des supplices », in Approches de l'idéal et du réel, Presses de l'Université d'Angers, 1993, pp. 379-397 ; Samuel Lair, « Une illustration littéraire du mythe de l'Éternel Retour : Le Jardin des supplices, d'Octave Mirbeau (1899) », in Studia Romanica Posnaniensa, Poznan, volume XXV, 2008, pp. 49-65 ; Louise Lyle, « Charles Darwin dans Le Jardin des supplices », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, mars 2007, pp. 47-64, mars 2009 ; Pierre Michel, « La Première ébauche du Jardin des supplices : En mission (1893) », Cahiers Octave Mirbeau, Angers, n° 1, 1994, pp. 171-192 ; Pierre Michel, « Le Jardin des supplices : entre patchwork et soubresauts d'épouvante », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, 1996, pp. 46-72 ; Pierre Michel, « Introduction » au Jardin des supplices, in Œuvre romanesque d’Octave Mirbeau, Buchet/Chastel - Société Octave Mirbeau, t. II, pp. 133-154 ; Pierre Michel, « Le Jardin des supplices, ou : du cauchemar d’un juste à la monstruosité littéraire », introduction au Jardin des supplices, Éditions du Boucher, 2003, pp. 3-31 ; Jean-Luc Planchais, « Clara : supplices et blandices dans Le Jardin », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 47-57 ; Mario Praz, La Chair, la Mort et le Diable : le romantisme noir, Gallimard/Tel, 1998 ; Julia Przybos, « Délices et supplices : Octave Mirbeau et Jérôme Bosch », in Actes du colloque Octave Mirbeau d’Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 207-216 ; Elena Real, « L'Imaginaire fin-de-siècle dans Le Jardin des supplices », in Actes du colloque Octave Mirbeau d'Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 225-234 ; Elena Real, « El espacio fantasmático del jardín en El Jardín de los suplicios de Octave Mirbeau », in Actes du colloque de Lleida Jardines secretos : estudios en torno al sueño erótico, Edicions de la Universitat de Lleida, 2008, pp. 191-206 ; Éléonore Roy-Reverzy, « D'une poétique mirbellienne : Le Jardin des supplices », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, 1996, pp. 30-45 ; Seminari pasquali di analisi testuale, n° 8, Le Jardin des supplices, Edizioni ETS, Pise, 1993, 93 pages ; Fabien Soldà, « Le Jardin des supplices : roman d'initiation ? », Cahiers Octave Mirbeau, n° 2, 1995, pp. 61-86 ; Fabien Soldà, « Octave Mirbeau et Charles Baudelaire : Le Jardin des supplices ou Les Fleurs du mal revisitées », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 197-216 ; Simone Vierne. Rite, roman, initiation, Presses Universitaire de Grenoble, première édition 1973, deuxième édition revue et augmentée 1987 ; Robert Ziegler, « Hunting the peacock - The pursuit of non-reflective experience in Mirbeau's Le Jardin des supplices », in Nineteenth century french studies, été 1984, vol. 12, n° 4, pp. 162-174 ; Robert Ziegler, « Utopie et perversion dans Le Jardin des supplices », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 91-114.

 

 

 


LE JOURNAL D'UNE FEMME DE CHAMBRE

Le Journal d'une femme de chambre, publié chez Fasquelle en juillet 1900, est le roman le plus célèbre de Mirbeau. Une première mouture a paru en feuilleton dans L’Écho de Paris, du 20 octobre 1891 au 26 avril 1892, alors que le romancier traverse une grave crise morale et littéraire, travaille à contre-cœur et ne se soucie aucunement de revoir sa copie en vue de la publier en volume. Une deuxième version, fortement remaniée, a paru en dix livraisons dans la dreyfusarde Revue Blanche,  du 15 janvier au 15 juin 1900, c’est-à-dire au lendemain de l’affaire Dreyfus : Mirbeau y. développe considérablement la mouture primitive, par alluvions successives et mixage de textes, et  déplace l’action principale pendant l’Affaire. Lors de la publication en volume, il insère in extremis deux chapitres sans rapport évident avec la chambrière diariste, transgressant ainsi la crédibilité romanesque, et introduit dans son récit des imparfaits du subjonctif et autres signes de littérarité, histoire d’éviter de le voir classé parmi les romans naturalistes honnis, comme le sujet eût pu s’y prêter. Le roman a été accueilli dans un silence gêné et rarissimes ont été les comptes rendus dans la presse. Mais le succès de ventes a été considérable ; 146 000 exemplaires ont été vendus du vivant de l’auteur.

 

Subversion des normes

 Le romancier a choisi la forme d’un journal, dont les chapitres sont datés et rédigés sur le coup, plutôt que celle de mémoires, car elle lui permet de juxtaposer des séquences où le passé interfère avec le présent au gré des souvenirs, alors que le récit après coup tend à conférer du sens et de la cohérence et à transformer en destin la vie des protagonistes. Il est aussi possible, dans un journal, de mélanger les tons et les genres, selon l’humeur du diariste (et celle du romancier, qui ne fait jamais oublier sa présence), ce qui contribue également à rompre avec la linéarité du roman traditionnel et avec la prétendue objectivité des romans qui se veulent réalistes. La subjectivité du journal offre aussi l’avantage de ne nous donner qu’une version pas toujours plausible des événements rapportés : ainsi, au risque de frustrer l’attente de ses lecteurs, Mirbeau ne nous apporte aucune certitude sur la culpabilité de Joseph, soupçonné par la diariste d’avoir violé et tué une fillette. De surcroît, le fait même de donner la parole à une chambrière, Célestine, constitue déjà une transgression des codes littéraires en usage, en même temps que de la hiérarchie sociale, car une simple « subalterne » n’était pas censée prendre la plume, à une époque où la littérature apparaissait comme l’apanage de la classe dominante, qui disposait de ce fait du monopole de la parole et, partant, de la respectabilité.

Mais le journal de Célestine n’est pas seulement un nouvel exemple de mise à mal des conventions littéraires : il est aussi un outil au service d’une entreprise de subversion des normes et de démystification de la société. Car il présente l’intérêt incomparable de nous faire percevoir les êtres et les choses par le trou de la serrure. À travers le regard d’une diariste qui n’a ni ses yeux, ni sa langue dans sa poche, Mirbeau nous fait pénétrer dans les coulisses peu ragoûtantes du theatrum mundi et dans l’intimité des nantis, depuis la petite bourgeoisie provinciale – celle des Lanlaire, au patronyme grotesque, qui doivent leur richesse injustifiable aux filouteries de leurs « honorables » parents respectifs  –  jusqu’aux milieux parisiens les plus huppés. Il nous fait découvrir les nauséabonds dessous du beau monde, les « bosses morales » des classes dominantes et les turpitudes de la société bourgeoise, d’ordinaire cachées sous des dehors d’honorabilité, notamment les perversions sexuelles en tous genres, dont la plus célèbre est le fétichisme de la bottine, chez un certain M. Rabour. C’est avec une jubilation vengeresse qu’il arrache le masque de respectabilité des puissants, fouille dans leur linge sale et débusque les canailleries camouflées derrière de belles « grimaces » qui ne trompent que les naïfs.

 

Enfer social, pourriture et nausée

Le roman est conçu comme une exploration pédagogique de l'enfer social et Célestine, nouveau Virgile, a pour mission de nous en faire traverser les cercles et de nous en exhiber les nauséeuses horreurs. En effet, alors qu’elle est échouée dans un bourg normand, Le Mesnil-Roy, chez ses nouveaux maîtres, les Lanlaire, elle évoque, au fil de ses souvenirs et de la plume, toutes les places qu’elle a faites depuis des années, dans les maisons les plus respectables, du moins en apparence, car la plupart des maîtres sont gratinés. Au terme de ce voyage à travers les corruptions de la haute, force est au lecteur de bonne foi de faire sien le constat lucide et vengeur de Célestine : « Si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtes gens. ».

Mais la pourriture qui règne chez les nantis contamine peu à peu les domestiques. Pour eux la vie est un enfer, mais, bien souvent, à l’instar de Célestine elle-même, au lieu de se révolter et de s’organiser pour subvertir un ordre hypocrite et inique, ils ne voient d’issue qu’en accédant à leur tour au statut de maître. Forme moderne de l’esclavage, la condition des gens de maison, comme on disait, est bien dénoncée par la chambrière, que le romancier dote d’une lucidité impitoyable : « On prétend qu’il n’y a plus d’esclavage... Ah ! voilà une bonne blague, par exemple... Et les domestiques, que sont-ils donc, sinon des esclaves ?... Esclaves de fait, avec tout ce que l’esclavage comporte de vileté morale, d’inévitable corruption, de révolte engendreuse de haines. » Selon elle, le domestique est un être « disparate », « un monstrueux hybride humain », qui « n’est plus du peuple, d’où il sort », sans être pour autant « de la bourgeoisie où il vit et où il tend ». Si tous les serfs des temps modernes sont condamnés à l’instabilité, à la surexploitation et à de perpétuelles humiliations, les femmes de chambre sont de surcroît traitées comme des travailleuses sexuelles à domicile, ce qui est souvent le premier pas vers la prostitution. L’un des dilemmes auxquels est confrontée Célestine est précisément de savoir si elle n’aurait pas intérêt à franchir le pas de la galanterie et d’entrer “en maison”. Mais Mirbeau ne nourrit pour autant aucune illusion sur les capacités de révolte de la gent domestique, car elle est aliénée idéologiquement et presque toujours corrompue par ses maîtres : Célestine elle-même, malgré sa lucidité et son dégoût, finit par devenir maîtresse à son tour et par houspiller ses bonnes, dans « le petit café » de Cherbourg où elle a suivi le jardinier-cocher Joseph, antisémite et sadique, enrichi par le vol audacieux de l’argenterie des Lanlaire, et dont elle s’est persuadée qu’il a violé et assassiné une petite fille, Claire. Comble de la déception du lecteur : elle se dit même prête à le suivre « jusqu’au crime », tels sont les derniers mots de son journal...

À travers le personnage de Joseph, membre actif de toutes les ligues antisémitiques de Haute-Normandie, Mirbeau s’emploie à discréditer les partisans du sabre et du goupillon. Car cet énigmatique et impénétrable Joseph, aux allures reptiliennes, est un sadique, qui jouit de faire durer l'agonie d'un canard. Le romancier nous incite à en conclure que les motivations des anti-dreyfusards s'enracinent dans le cerveau reptilien, que les nationalistes et les antisémites qui ne cessent de crier « Mort aux Juifs »  ne sont que des assassins en puissance, et que le combat des dreyfusistes est bien celui des Lumières contre les ténèbres, de la pensée libre contre la part d'inhumain que tous les hommes, lointains descendants des grands fauves, portent en eux. De même, à travers l'enthousiasme bestial des domestiques réactionnaires pour les valeurs en toc de leurs maîtres qu’ils copient sans vergogne – l'armée, la monarchie, l'argent –, il nous fait comprendre que seuls les esprits bas, incultes, idéologiquement aliénés par le poids de leur servitude, peuvent encore se laisser leurrer par les grands mots mystificateurs de patrie, de noblesse, de religion et d'honneur.

Si la diariste Célestine parvient bien à nous faire partager sa révolte contre l’injustice sociale, elle est elle-même incapable de lui donner un contenu positif en s’engageant dans une lutte collective : ses révoltes spontanées, qu’elle appelle ses « folies d’outrages », sont sans lendemain et se révèlent totalement contre-productives pour elle et sans la moindre utilité pour les autres. Seul son journal, publié par le romancier, est susceptible d’avoir des effets à long terme dans la vie réelle, pour mettre un terme à l’esclavage domestique. Ce qui contribue à l’enliser dans une vie quotidienne routinière et humiliante et une servitude acceptée avec fatalisme (selon elle, les domestiques ont « la servitude dans le sang »), c’est l’écœurement existentiel dont témoigne son journal et qui est celui de Mirbeau lui-même. Bien avant Sartre, il s’emploie en effet à susciter chez nous une véritable nausée existentielle et met en lumière le tragique de la condition humaine en peignant la vie quotidienne dans tout ce qu’elle a de vide, de vulgaire et de sordide. Mais, par la magie du style et grâce au secours des mots, qui nous vengent de tous nos maux, le roman-exutoire se révèle paradoxalement tonique et jubilatoire et la nausée apparaît comme la condition d’une élévation.

Voir aussi les notices Roman, Domesticité, Complexe d’Asmodée, Démystification, Respectabilité et Pessimisme.

P. M.

 

Bibliographie : Camen Boustani,, « L’Entre-deux dans le journal intime d’une femme de chambre »,  Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 74-85 ; Reginald Carr, « La Normandie dans Le Journal d'une femme de chambre »,  Actes du Colloque Octave Mirbeau du Prieuré Saint-Michel de Crouttes, Éd. du Demi-Cercle, 1994, pp. 69-80 ; Maria Carrilho-Jézéquel,  « Rhétorique de la satire dans Le Journal d'une femme de chambre », Angers,  Cahiers Octave Mirbeau, n° 1, 1994, pp. 94-103 ; Maria Carrilho-Jézéquel, « La Tentation du grotesque dans Le Journal d'une femme de chambre », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, mai 1997, pp. 250-256 ; Gaétan Davoult, Gaétan, « Déchet et corporalité dans Le Journal d’une femme de chambre », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 115-137 ; Serge Duret, « Éros et Thanatos dans Le Journal d'une femme de chambre », Actes du colloque Octave Mirbeau d'Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 249-267 ; Serge Duret, « Le Journal d'une femme de  chambre ou la redécouverte du modèle picaresque », Angers, Cahiers Octave Mirbeau, n° 2, mai 1995, pp. 101-124 ; Serge Duret, « Le Journal d'une femme de chambre : œuvre baroque ? », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, mai 1997, pp. 236-249 ; Serge Duret, « L'Odyssée de la femme de chambre », Europe, n° 839, mars 1999, pp. 27-36 ; Sándor Kálai,, « Des yeux d’avare, pleins de soupçons aigus et d’enquêtes policières” (Le Journal d’une femme de chambre et le roman policier) », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, mars 2007, pp. 95-77 ; Yannick Lemarié, « Les âmes ont du poil aux pattes », Cahiers Octave Mirbeau, n° 5, 1998, pp. 4-21 ; Pierre Michel,  « Introduction » au Journal d’une femme de chambre et Notes, in Œuvre romanesque d’Octave Mirbeau, Buchet/Chastel - Société Octave Mirbeau, 2001, t. II, pp. 339-368 et pp. 1237-1314 ; Pierre Michel, « Le Journal d’une femme de chambre, ou voyage au bout de la nausée », introduction au Journal d’une femme de chambre, Éditions du Boucher, 2001, pp. 3-31 ; Katalin Pór, « Perversions et crise de la société dans Le Journal d'une femme de chambre », Octave Mirbeau : passions et anathèmes, Actes du colloque de Cerisy, 28 septembre-2 octobre 2005, Presses de l’Université de Caen, 2007, pp. 171-184 ; Annie Rizk, « De Mirbeau à Genet,  la révolte sociale fragmente-t-elle le sujet littéraire ? », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, 2010, pp. 68-76 ; Anita Staron, « “La servitude dans le sang”. L'image de la domesticité dans l'œuvre d'Octave Mirbeau », Statut et fonctions du domestique dans les littératures romanes, Actes du colloque international des 26 et 27 octobre 2003, Lublin, Wydawnictwo UMCS, 2004, pp. 129-140 ; Gabriella Tegyey, « Claudine et Célestine : le journal et son fonctionnement », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 86-98 ; Arnaud Vareille,  « Clara et Célestine, deux prisonnières mirbelliennes », Revue des Lettres et de traduction, Kaslik (Liban), n° 11, novembre 2005, pp. 387-410 ; Robert Ziegler, « Fetish and Meaning : Le Journal d’une femme de chambre », ch. VII de The Nothing Machine – The Fiction of Octave Mirbeau, Rodopi, Amsterdam – New York, 2007, pp. 133-148 ; Robert Ziegler, Robert, « Le perroquet, le chien et l’homme dans Le Journal d’une femme de chambre », Cahiers Octave Mirbeau, n° 16, mars 2009, pp. 39-56.

 

 


LE PETIT GARDEUR DE VACHES

Sous ce titre a paru, en 1922, chez Flammarion, dans la collection « Une Heure d'oubli », n° 137, une brochure de 62 pages  petit format, qui comporte six contes et nouvelles de Mirbeau :  outre « Le Petit gardeur de vaches », paru dans le Gil Blas le 2 août 1887, on y trouve « L’Octogénaire »,  Mémoire pour un avocat, « Le Colporteur », « Les Bouches inutiles » et « Paysage de foule ». Tous ces textes ont été recueillis en 1990 dans les Contes cruels.

Voir les notices Contes cruels et Mémoire pour un avocat.

 

P.M.


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